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gle fur le pied de la mitigation, fe contentent ordinairement de ne pas tomber plus bas. Ce n'eft pas-là l'efprit de l'évangile. JESUS-CHRIST dit à tous fes difciples, c'eft-à-dire, à tous les Chrétiens: Soyez parfaits, comme votre Pere célefte eft parfait. Et encore: Efforcez-vous d'entrer par la petité porte, il n'y entrera pas qui voudra.

Je dis donc, que tout Chrétien étant obligé de tendre à la perfection felon fon état, il vaut mieux demeurer dans le monde, faifant toujours quelque pas vers la perfection, que fe repofer à l'abri d'un monastére & d'un habit religieux, comme fi on avoit affuré fon falut en faifant les vœux. Je n'eftime guéres plus ces religieux tièdes & indifférens pour la perfection, que les morts revêtus d'un habit de religion, fuivant la dévotion d'Espagne. C'est une espèce d'hypocrifie de profeffer une règle que l'on n'obferve qu'imparfaitement: c'eft chercher l'honneur d'u ne vie au-deffus du commun, fans en vouloir fouffrir la peine, qui en fait le mérite. A force de relever la perfection de leur état, les religieux ont négligé de travailler à la perfection effective: ils femblent avoir cru s'en revêtir avec leur habit. Cette idée leur a fait mépriser tous ceux qui ne font pas de leur état, les prêtres mêmes & les évêques, dont il leur a paru que l'on pourroit se paffer, s'il ne falloit recevoir d'eux la cérémonie de l'ordination.

Matth. v. 48.

Luc. XIII. 24.

XIV: Affoibliffement

tienne.

Le relâchement des religieux a fans doute beaucoup nui à tous les Chrétiens. Les féculiers ont dit : Si ceux qui doivent être les modèles de la perfection, fe permettent telle & telle chofe, nous pouvons bien de la morale chré. nous en permettre davantage : s'ils ne jugent pas que telle & telle action foient des péchés, nous ne devons pas être plus fcrupuleux. Je pense auffi que l'affoibliffement de la théologie morale, introduit depuis quatre ou cinq cens ans, eft venu de la même fource. Les cafuiftes qui ont écrit dans ces derniers fiécles, étoient la plupart religieux,& religieux mendians, qui fe trouvoient prefque feuls en poffeffion des études & de l'administration de la pénitence. Or la mendicité eft un grand obftacle à la févérité & à la fermeté envers ceux dont on tire fa fubfiftance.

;

De plus, ces cafuiftes ne connoiffoient de l'ancienne difcipline fur la pénitence, que le peu qui s'en trouve dans le Décret de Gratien car ils ne remontoient pas plus haut, comme on voit par leurs citations. Ils ne connoiffoient ni les anciens canons pénitentiaux, ni les divers dégrés de penitence, ni les folides raifons qui les avoient fait établir. Ainfi fans en avoir le deffein, ils ont introduit deux moyens de laiffer régner le péché, l'un en excufant la plupart des péchés, l'autre en facilitant les abfolutions. C'eft ôter le péché, du moins dans l'opinion des hommes, que de leur enfeigner que ce qu'ils croyoient péché ne l'eft pas; c'est ce qu'ont prétendu faire les docteurs modernes, par leurs diftinctions & leurs fubtilités fcolaftiques, fur-tout par la doctrine de la probabilité.

A l'égard des péchés qu'on ne peut excufer, le remède eft l'abfolu tion facile, fans jamais la refufer, ni même la différer, quelques fréquentes que foient les rechutes. Ainfi le pécheur a fon compte, & fait

XV.

ce qu'il veut; tantôt on lui dit qu'il pèche à la vérité, mais que lé remède eft facile, & qu'il peut pécher tous les jours en fe confeffant tous les jours. Or cette facilité femble néceffaire dans les pays d'inquifition où le pécheur d'habitude qui ne veut pas fe corriger, n'ofe toutefois manquer au devoir pafcal, de peur d'être dénoncé excommunié, & au bout de l'an déclaré fufpect d'héréfie, & comme tel pourfuivi en juftice; auffi eft-ce dans ces pays-là qu'ont vécu les cafuiftes les plus relâchés.

Cette facilité d'abfolutions anéantit en quelque façon le péché, puifqu'elle en ôte l'horreur & le fait regarder comme un mal ordinaire & inévitable. Craindroit-on la fiévre, fi pour en guérir il ne falloit qu'avaler un verre d'eau ? Craindroit-on de voler ou de tuer, fi l'on en étoit quitte pour laver fes mains?. La confeffion eft prefque auffi facile quand il ne s'agit que de dire un mot à l'oreille d'un prêtre ; fans craindre ni délai d'abfolution, ni fatisfaction pénible, ni néceffité de quitter l'occafion. Mais infenfiblement je m'éloigne de mon fujet.

J'ajouterai toutefois que les nouvelles dévotions introduites par quelDévotions nou ques religieux, ont concouru au même effet de diminuer l'horreur du yelles, péché, & faire négliger la correction des mœurs. On peut porter un fcapulaire, dire tous les jours le chapelet ou quelque oraifon fameuse, fans pardonner à fon ennemi, reftituer le bien mal acquis, ou quitter fa concubine: Voilà les dévotions qu'aime le peuple, celles qui n'engagent point à être meilleur. Et en pratiquant ces petites dévotions on ne laiffe pas de s'eftimer plus que ceux qui ne les pratiquent point, fe flatter qu'elles nous attirent une bonne mort: car on ne voudroit pas fe convertir pendant qu'on a de la jeuneffe ou de la fanté, il en coûteroit trop. De-là vient encore la dévotion extérieure au S. Sacrement. On aime bien mieux l'adorer expofé, ou le fuivre en proceffion, que fe difpofer à communier dignement.

25,

Jo. IV. 23.

Depuis que le travail des mains a ceffé chez les religieux, ils ont extrêmement relevé l'oraifon mentale, qui eft en effet l'ame de la religion chrétienne, puifque c'eft l'exercice actuel de l'adoration en efprit & en vérité, prefcrite par JESUS-CHRIST même. Mais il eft facile d'en Hift, liv, xIx. n. abufer. C'eft en quoi confiftoit principalement l'héréfie des Maffaliens, condamnée dès le quatriéme fiécle; & ce que les Catholiques leur reprochoient le plus, étoit le mépris du travail & la mendicité. Les Fraticelles des derniers tems leur reflembloient fort, & chez les Catholiques mêmes l'oraifon mentale a fervi de prétexte à plufieurs abus. Quand un moine Egyptien faifoit, en priant toujours, des nattes ou des paniers, on voyoit bien qu'il ne perdoit pas fon tems; mais il n'y a que Dieu qui fçache à quoi l'emploie celui qui, pendant une heure ou deux, demeure à genoux & les bras croifés.

Or cette dévotion oifive, & par conféquent équivoque a été la plus ordinaire depuis environ cinq cens ans, particuliérement chez les femmes, naturellement plus pareffeufes & d'une imagination plus vive. De-là vient que les vies des faintes de ces derniers fiécles, fainte Bri. gide, fainte Catherine de Sienne, la bienheureuse Angèle de Foligni

ne contiennent guéres que leurs pensées & leurs difcours, fans aucun fait remarquable: ces faintes employoient fans doute bien du tems à rendre compte de leur intérieur aux prêtres qui les dirigeoient ; & ces directeurs, prévenus en faveur de leurs pénitentes dont ils connoiffoient la vertu, prenoient aifément leurs pensées pour des révélations. & ce qui leur arrivoit d'extraordinaire, pour des miracles.

Ces directeurs étant nourris de la méthode & des fubtilités de la fcolaftique qui régnoit alors, ne manquérent pas de l'appliquer à l'oraison mentale, dont ils firent un art long & difficile prétendant diftinguer exactement les divers états d'oraifon, & les dégrés du progrès dans la perfection chrétienne. Et comme c'étoit la mode depuis long-tems de tourner toute l'écriture à des fens figurés, faute d'en entendre la lettre, ces docteurs y trouvérent tout ce qu'ils voulurent; & ainfi fe forma la théologie myftique que nous voyons dans les écrits de Rusbroc, de Taulére & des auteurs femblables. A force de fubtilifer, ils employoient fouvent des expreffions outrées, & avançoient des paradoxes auxquels il étoit difficile de donner un bon fens: tels que ceux du Jacobin Ecard, condamnés par le pape Jean XXII.

Ces excès pouffés plus loin, avoient produit au commencement du même fiécle, les erreurs des Beguards & des Beguines, condamnées au concile de Vienne; & l'on peut dire que dans tous les tems le démon s'eft fervi du même artifice, de plonger les hommes dans les vices les plus groffiers & les plus honteux, fous prétexte de la plus haute perfection tel fut dès le fecond fiécle Carpocras & fes faux Gnoftiques; & tel a été de notre tems Molinos & fes Quiétiftes. Un autre effet de la fpiritualité outrée eft le fanatifme, tel que celui de Grégoire Palamas, & des moines Grecs du mont Athos, dans notre quatorziéme fiécle : on n'y voit point de fenfualité, mais un orgueil & une opiniâtreté invincibles.

:

Revenons donc à l'adoration en efprit & en vérité, c'est-à-dire, à une oraison fimple & folide, telle que nous la voyons dans les premiers tems de l'églife, qui ait pour fujet & pour fondement des vérités de foi & des paroles de l'écriture; non des opinions d'école, des hiftoires fabuleufes, ou des repréfentations imaginaires, comme celles de faint Bonaventure. Une oraifon enfin, qui confifte plus dans les affections que dans les pentées, comme dit faint Auguftin, & qui tende directement à nous rendre meilleurs.

Difons un mot auffi de la prière publique, qui, depuis plufieurs fié cles eft devenue la principale occupation des religieux: demandons à Dieu que ce foit une véritable priére, & que le chant & les cérémonies extérieures foient foutenus & animés par l'efprit d'une fincére piété; que nous puiffions dire avec S. Paul: Je chanterai de l'efprit & de l'entendement: c'est-à-dire, que l'action naturelle de l'ame foit accompagnée du mouvement de la grace; autrement, le chant n'eft plus qu'un exercice de poitrine, & un fon femblable à celui des orgues, & des autres inftrumens inanimés; ce n'eft plus une prière. Pour la rendre férieuse il faudroit faire plus d'attention à la lettre qu'à la note: étudier foigneu

59.

Hift.liv.xcIII.n.

Liv. XcI. n. 58;

Liv. 111. n. 20.

Liv. xcv.n.9.

n. 3.
Epift. ad Prob.

Hift. liv. LXXXVI.

1. Cor. XIV. 157

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fement le fens littéral des pfeaumes & des autres parties de l'office; afin d'entendre au moins ce que l'on dit.

Nous devons, autant qu'il eft poffible, ne laiffer aux hérétiques aucun prétexte d'imaginer que la dévotion foit une invention nouvelle des Hift. lib. xv.n. 37, moines introduite par intérêt, ou par d'autres motifs humains. Pour cet effet il faut remonter jufqu'aux premiers fiécles de l'églife; & confidé. rer la vie que faint Clément Alexandrin propofe à tous les Chrétiens dans fon Pédagogue, & la peinture qu'il fait dans fes ftromates du Chrétien parfait, qu'il nomme Gnoftique, tout cela avant qu'il y eût des moines. C'eft-là où l'on voit que la vraie dévotion n'est pas un rafinement des derniers tems, mais la pratique de ce qu'ont enfeigné les apôtres, & ce que la tradition la plus pure a tranfmis aux fiécles fuivans. C'eft-là où l'on voit une dévotion grande, noble, folide, & infiniment éloignée des petiteffes qui dégénérent en fuperftition: une dévotion enfin qui n'est à l'ufage que de ceux qui veulent férieusement devenir meilleurs.

Je finis ici mes réflexions fur l'état des religieux; & comme je vois bien qu'il est trifte de les laiffer dans le relâchement qui régnoit au com. mencement du quinziéme fiécle, j'avertis le lecteur que dans les trois fiécles fuivans il s'eft formé de faintes réformes, qui ont relevé la plupart des ordres de leur décadence, comme nous voyons avec édification.

PREFACE.

PRÉ F A CЕ.

OM ME il n'y a perfonne qui ne convienne de l'utilité de l'étude de l'hiftoire eccléfiaftique & des avantages qu'on en peut tirer, je n'entreprendrai point ici d'en faire l'éloge; je me contenterai feulement de répéter après M. l'abbé Fleury, que rien n'est plus propre à nous confirmer dans la foi, que de voir la même doctrine qu'on nous enfeigne aujourd'hui, enfeignée dès le commencement par les apôtres, fcellée par le fang d'une infinité de martyrs, & confirmée par tant de miracles; que de trouver encore dans la conduite des faints, des exemples qui nous font connoître en quoi confifte la folide piété, & qui dé truifent les faux prétextes fur lefquels nous croyons bien fondés nos relâchemens, en montrant que la perfection chrétienne eft poffible, puifque Jefus Chrift l'a enfeignée, & que les faints l'ont effectivement pratiquée.

J'ajouterai que le but de l'hiftoire tend encore à former des hommes raisonnables, nés pour la fociété en leur mettant devant les yeux les défauts de ceux dont on décrit la conduite, afin qu'ils en profitent. Ainfi lire l'hiftoire, ce n'eft pas charger fa mémoire d'un grand nombre de dates, de noms & d'événemens; beaucoup de gens fe croient habiles en ce genre, pourvu qu'ils puiffent feulement redire ce qu'ils ont lu ou entendu dire, & penfent dès-lors qu'ils peuvent paffer pour fçavans. Le véritable ufage de cette étude eft plutôt de connoître les hommes, & d'en juger fainement; d'étudier leurs motifs, leurs opinions, leurs paffions, pour en découvrir tous les refforts, les tours & les détours, les illufions qu'elles font à l'efprit, & les furprifes qu'elles font au cœur; c'eft de réfléchir naturellement & fans art fur ce qu'on y trouve de plus remarquable, afin que la lecture qu'on en fait puiffe nous rendre & raisonnables & chrétiens, qualités qui font inséparables, quand il s'agit de la vraie probité.

En effet, que fert-il de fçavoir en général que les hommes font & vicieux & vertueux, qu'ils font fujets à beaucoup de paffions & à de fort grands défauts , que les uns par le fecours de la grace les ont corrigés, que d'autres ont perfévéré & font morts

Tome XIV.

f.

M.Fleury, difcoura premier.

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