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d'Avignon, où on leur fit inutilement mille violences pour tirer d'eux la lettre de Boniface au roi de France. L'univerfité de Paris, informée de ce mauvais traitement, en porta fes plaintes à Charles VI, & agit fi fortement par fes remontrances auprès de lui, que ce monarque écrivit au pape Clement en termes très-forts, qu'il ne pouvoit fouffrir qu'on violât le droit des gens, en retenant prifonniers ceux qu'on lui envoyoit, & demandoit la liberté des deux chartreux. Clement, qui n'ofoit défobliger le roi, les relâcha, proteftant, quoique très-fauffement, qu'il avoit ignoré leur commiffion. Il fit même femblant de vouloir concourir à l'union avec Boniface; & en renvoyant ces religieux, il leur ordonna de dire au roi qu'il contribueroit auffi de fon côté pour une fi bonne action, de tout ce qu'on pouvoit attendre de lui, & qu'il étoit prêt de facrifier pour cela & fa dignité & fa vie. Ces chartreux partirent donc, & n'arrivérent à Paris que vers la fin de Décembre.

Ils trouvérent le roi Charles VI attaqué de cette étrange maladie qui jufqu'à fa mort ne lui laiffa que quelques bons intervalles, & qui attira, par les déplorables fuites qu'elle eut, des maux infinis fur la France. Il y avoit déja quelque tems que ceux qui l'approchoient s'étoient apperçus de quelque altération dans fon efprit & dans fes paroles. Mais fon mal éclata d'une maniére fort tragique le cinquième d'Août, lorsqu'il marchoit en bataille contre le duc de Bretagne. A la vue d'un gueux de fort mauvaise mine qui le fuivit pendant près de demi-heure, criant après lui, quelque effort qu'on fît pour le faire taire, & pour le repouffer: Roi, où vas-tu? Ne paffe pas outre; car tu es trahi, & on te doit livrer à tes ennemis. Le roi entra dans une fi grande fureur, qu'il couroit çà & là comme un phrénétique, frappoit de fon épée tous ceux qu'il rencontroit, & tua quatre hommes, parmi lesquels étoit un chevalier de Guienne nommé le bâtard de Polignac. Enfin fon épée fe rompit heureusement pour ceux qu'il continuoit à poursuivre; on fe faifit de lui l'emmena en fon palais, & on le mit fur un lit, où il demeura deux jours entiers fans aucun fentiment, en forte que les médecins croyoient à tout moment qu'il alloit expirer.

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Cet accident fut caufe que les chartreux ne purent avoir audience que dans le mois de Décembre: le roi étant guéri, ils furent écoutés favorablement. Le bref du pape fut lu en plein confeil, & le roi en parut très-fatisfait; mais on délibéra fi l'on répondroit à Boniface, & quel tour on prendroit pour le faire: car n'étant point reconnu en France, on ne pouvoit pas lui écrire comme au pape, fans offenfer Clement; & d'autre côté Boniface n'eût pas été content, fi on lui eût écrit comme à un intrus. On prit donc le parti de lui répondre de vive voix par les mêmes chartreux, malgré toute l'oppofition de Jean duc de Berri oncle du roi & grand ami de Clement, que le roi approuvoit fort ce qu'il lui avoit écrit, & qu'il étoit réfolu d'employer tous fes bons offices & toutes les forces pour procurer l'union à l'églife. Avec cette réponse on renvoya les deux chartreux, & on leur donna deux compagnons du même ordre, dont l'un étoit prieur de la chartreufe de Paris. Et pour mieux témoigner la bonne volonté du roi, on les chargea

de

de lettres pour tous les princes d'Italie, qu'on invitoit à fe joindre à Charles VI pour feconder fes bonnes intentions. Après cela l'on ordonna des priéres publiques, & des proceffions pour l'heureux fuccès de cette députation, & l'on publia dans l'univerfité que chacun eût à donner des mémoires fur les moyens qu'il croiroit les meilleurs pour parvenir à l'union.

XXXVIII: Affemblée de l'u niverfité pour faire ceffer le

Hift.univ.Parif.

Pour recevoir ces mémoires, on mit dans le cloître des Mathurins un coffre bien fermé, avec une ouverture en haut comme à un tronc ; & il y eut cinquante-quatre docteurs nommés pour les examiner, & en faire des extraits. Ils firent leur rapport dans une affemblée générale fchifme. compofée des quatre facultés, où après qu'on eut recueilli les fuffrages fecrets, on trouva qu'ils concluoient tous à prendre l'une de ces trois voies, ou la ceffion volontaire des deux papes pour en élire un autre; ou le compromis, par lequel ils remettroient leur droit entre les mains to.4. p. 687. des arbitres qui feroient nommés par eux-mêmes ou par d'autres pour décider ce différend; ou enfin le concile général, qui auroit de JefusChrift même fon autorité, étant affemblé en cette occafion du confentement des fidèles. Les docteurs Pierre d'Ailli & Gilles des Champs eurent ordre de compofer un écrit qui feroit préfenté au roi en forme de lettre, & dans lequel on juftifieroit ces trois moyens d'union, avec une réponse à toutes les difficultés qu'on pourroit y oppofer. Nicolas de Clemangis, Champenois, bachelier en théologie de la maifon de Navarre & le plus célèbre profeffeur de rhétorique qui fût dans l'univerfité eut ordre de mettre cette lettre en latin, ou plutôt de la compofer en cette langue fur les mémoires que les docteurs lui four

niroient.

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Cependant les quatre chartreux envoyés par le roi de France vers Boniface étant arrivés à Péroufe, lui préfentérent les mémoires dont on les avoit chargés, & ajoutérent de bouche les difpofitions de Charles VI; mais tous ces beaux projets n'eurent aucun effet, parce que les deux concurrens étoient d'intelligence à foutenir chacun fes droits pendant qu'ils fe déchiroient en public. Boniface, mécontent du rapport des chartreux, au lieu de perfifter dans la parole qu'il avoit donnée fit que foutenir par d'autres lettres qu'il étoit le vrai pape, & ne ceffoit de fe plaindre de ce qu'on reconnoiffoit encore Clement qu'il traitoit d'intrus; enforte qu'il renvoya ces quatre religieux avec une lettre bien différente de la premiére. Il n'y propofoit point d'autre voie que de le reconnoître, & d'obliger Clement à céder. « Ce que nous n'avons » pu comprendre, dit-il au roi, c'eft que ceux qui ont fait antipape » Robert de Genève, ou qui lui ont adhéré, fe prévalant de votre »jeuneffe, vous ont tellement fafciné les yeux, que vous ne pouvez pape. » voir la vérité ; de quoi nous fommes fenfiblement affligés. Toutefois » nous espérons fermement que Dieu vous éclairera, & vous fera » connoître le bon droit de notre prédécefleur Urbain. » Enfin il conclud en exhortant le roi à abandonner Robert. Cette lettre eft du vingtiéme de Juin 1393. Le roi ne put la recevoir, parce qu'il étoit dans un Tome XIV.

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XXXIX. Boniface veut noiffe pour vrai qu'on le recon

XL:

Clement refuse

les voies propo

fité.

Charles VI.

accès de fa maladie. Les ducs de Berri & de Bourgogne, qui la reçurent, jugérent qu'elle ne méritoit aucune réponse.

Clement, auquel le roi avoit envoyé la premiére lettre de Boniface jouoit de fon côté fon rôle à Avignon. Il protefta qu'on ne devoit avoir fées par l'univer- aucun égard à cette lettre, comme étant celle d'un intrus. Il ordonna auffi des priéres & des proceffions, & compofa même avec fes cardinaux un office particulier & une meffe dont toutes les paroles étoient autant de prières & de voeux pour la paix, & il les envoya à Paris avec des indulgences: il vouloit que l'on crût qu'il ne defiroit pas cette paix avec moins d'ardeur que Boniface; mais accoutumé aux honneurs du Moine de faint monde, il ne pouvoit goûter les moyens de l'union. Il témoigna dans Denis, Hift. de le même mois, que c'étoit ce qu'il craignoit davantage, quand il apprit que l'univerfité de Paris avoit conclu qu'on ne la pouvoit efpérer que par la renonciation au pontificat des deux compétiteurs qui entretenoient le fchifme. Il écrivit alors à frere Jean Goulain, religieux Carme & docteur en théologie, qu'il avoit affaire de lui, pour trouver des raifons contre cette opinion & pour la réfuter & afin de le rendre plus. obftiné & plus ardent, il lui donna un pouvoir fans bornes, d'abloudre de toutes fortes de cas réservés, & de donner de grandes indulgences; & lui commanda de prêcher que toutes les voies d'union qu'on vouloit produire ne valoient rien, & qu'il n'y en avoit point d'autre que de faire une ligue fainte entre tous les princes chrétiens pour chaffer Boniface de fon fiége, & pour faire rendre au feul pape Clement l'obéiffance qui eft due au vicaire de Jefus-Chrift. Goulain fervit Clement felon fes intentions; mais l'univerfité, auffi furprise de fon zèle aveugle que fcandalifée de ces propofitions, le retrancha de fon corps: il méritoit même une plus grande peine.

XLI.

Le cardinal Pierre de Lune envoyé

Surita l. 3.

vint

Le cardinal Pierre de Lune, enflé du fuccès de fa légation d'Espagne où il avoit fait déclarer trois royaumes en faveur de Clement légat en France. dans le même tems à Paris dans l'efpérance d'y faire de pareils progrès. Il entreprit d'abord de gagner les principaux docteurs , par les belles promeffes qu'il leur fit de la part du pape; & comme parmi ces docreurs Pierre d'Ailli & Gilles des Champs étoient ceux qui lui réfiftoient plus fortement, & qui ne vouloient rien relâcher de leurs fentimens fur la ceffion, le légat engagea le pape à prier le roi de lui envoyer ces deux docteurs fous prétexte de vouloir les employer au fervice de l'églife: mais ces deux grands hommes dont toute l'ambition tendoit à la paix, & qui découvrirent ailément le piége qu'on vouloit leur tendre, refuférent conftamment, & demeurérent à Paris. L'écrit que Clemangis avoit dreffé fur les trois moyens de rétablir l'union, fut préfenté au roi, qui le fit traduire en François, afin qu'il pût être lu dans le confeil. Le roi en entendit la lecture avec plaifir, & le goûta; mais le duc de Berri & le légat, profitant des accès de la maladie du roi, changérent la difpofition de fon efprit, enforte que ce prince prit une autre réfolution: & quand l'univerfité retourna lui parler, le chancelier eut ordre de lui dire de la part du roi, qu'il lui défendoit de fe mêler de

cette affaire, ni de recevoir aucunes lettres fur ce fujet, fans les préfenter à fa majefté avant que de les ouvrir.

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XLII.

l'union.

XLIII.

L'univerfité, qui avoit été avertie de la réponse qu'on devoit lui faire, fit entendre au chancelier, en préfence du légat, qu'on ceffe- Zèle de l'univer roit dans les écoles toutes les leçons publiques & toutes fortes d'exer- fité deParis pour cices, jufqu'à ce qu'on eût favorablement répondu à leurs demandes : ce qu'ils firent avec beaucoup de fermeté nonobftant les menaces du légat, qui s'en retourna prefque auffi-tôt à Avignon, & les injures du duc de Berri, qui traita ces docteurs de rebelles & de féditieux, menaçant de les faire jetter dans la riviére, s'ils avoient encore l'audace de pourfuivre leur entreprise. L'univerfité ne fe rebuta pas pour un traitement fi indigne. Elle écrivit à Clement VII une lettre très-vigoureuse, où elle lui notifie les trois voies d'accommodement, lui fait des plain-Elle écrit vigou tes graves & hardies de Pierre de Lune fon légat, & le prie inftam- reufement au pament de ne pas différer à choisir l'une de ces trois voies. L'univerfité pe Clement.] reçut alors de grands éloges de fon zèle & de fa fermeté. Celle de Cologne lui écrivit pour lui demander confeil. Le doyen des cardinaux de Rome, Philippe duc d'Alençon fit la même chofe, Jean d'Arragon l'avoit fait auffi par où l'on voit l'estime extraordinaire où étoit alors l'univerfité de Paris, qui fut l'ame de toutes les négociations pour la paix de l'églife, & à qui l'on peut dire que l'Europe eut la principale obligation de l'extinction du fchifme.

Le pape Clement fit lire en plein confiftoire la lettre de l'univerfité: il l'entendit affez paifiblement jufques vers le milieu; mais quand il vit qu'on infiftoit fort fur la ceffion, & qu'on l'exhortoit à fe dé. mettre du fouverain pontificat: alors, comme s'il eût été frappé d'un coup mortel, il fe leva en grande colére de fon trône, & s'écria que cette lettre étoit pernicieufe & empoifonnée. L'univerfité avoit écrit en même tems aux cardinaux d'Avignon fur le même fujet, & tous, excepté Pierre de Lune, approuvérent fa réfolution. Les députés qui avoient apporté les lettres de l'univerfité, s'en retournérent fans réponfe, & même précipitérent leur départ, craignant pour leurs perfonnes. lis firent à Paris leur rapport de la maniére dont le pape avoit reçu leur lettre ce qui détermina l'univerfité à en écrire une autre pour fe plaindre au pape lui-même de la dureté de fes expreffions, en le priant de lui envoyer une réponse plus favorable; mais cette feconde lettre ne fut point rendue, car le pape étoit mort quand ces feconds députés arrivérent à Avignon. Voici quelle fut la caufe de fa mort.

Hift. univ. Parif. tom. 4.

XLIV.
Le pape reçoir

fort mal fa lettre,

XLV. Mort du pape Clement VII.

Platina in Cle

Les cardinaux voyant que le pape, pour empêcher qu'on ne parlât de l'affaire de l'union, ne tenoit plus de confiftoire, s'affemblérent d'euxmêmes pour examiner la lettre qu'ils avoient reçue de l'univerfité & chercher quelque voie d'accommodement. Le pape leur ayant fait des reproches, ils lui répondirent qu'ils trouvoient les trois moyens que ment VII, la lettre propofoit, très-raifonnables; & qu'il falloit néceffairement qu'il en choisît un, s'il vouloit rétablir la paix dans l'églife. Cette parole fut pour lui un coup de foudre. Il tomba malade, fans toutefois garder le lit; & le mercredi feiziéme de Septembre 1394, comme au fortir de la

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XLVII.

Les cardinaux entrent au con

clave.

Niem. 1.3.c.33.

Rom. 6.

meffe il rentroit dans fa chambre, en fe plaignant d'un mal de cœur, il fut attaqué d'une apoplexie, & en mourut dans la cinquante-deuxiéme année de fon âge, ayant tenu le faint fiége près de feize ans.

Dès qu'on eut appris la mort de Clément VII, on s'empreffa de toutes parts pour empêcher les cardinaux d'Avignon d'élire un autre pape. L'univerfité de Paris envoya au roi une députation de docteurs, qui le priérent d'interpofer fon crédit pour engager les mêmes cardinaux à différer l'élection d'un fucceffeur, jufqu'à ce qu'il leur eût envoyé fes ambaffadeurs pour traiter avec eux des moyens de réunir l'églife. Le roi y confentit, à condition que l'univerfité rétabliroit fes leçons publiques & fes exercices, comme elle fit. Et en même tems Charles VI affembla fon confeil, où étoient fon frere le duc d'Orléans, fes oncles le duc de Berri & le duc de Bourgogne, l'évêque du Puy, Jean le Maingre dit Boucicaut, & d'autres feigneurs. L'intention du roi étoit d'envoyer à Avignon le patriarche Simon de Cramaud, Pierre d'Ailli & le vicomte de Melun, pour travailler à l'union; mais le duc de Berri ayant repréfenté que les cardinaux recevroient plus volontiers des laïques, on choifit Renaud de Roye & le maréchal Boucicaut, & on fit partir devant eux un courier chargé d'une lettre, dans laquelle le roi prioit les cardinaux de différer l'élection jufqu'à l'arrivée de fes envoyés. Le roi d'Arragon leur écrivit la même chofe on en fit autant en Allemagne, & Boniface IX envoya fes députés pour exhorter Charles VI, les cardinaux & les univerfités à profiter de cette occafion pour éteindre le

fchifme.

9

Toutes ces précautions furent inutiles. Quand le courier de France arriva, les cardinaux étoient déja au conclave, où ils étoient entrés le famedi au foir vingt-fixiéme de Septembre, & ils ne voulurent ouvrir ni la lettre du roi, ni les autres, que l'élection ne fût faite. Cependant pour faire voir à Charles VI qu'ils vouloient très-fincérement l'union, comme en effet le plus grand nombre la vouloit de bonne foi, ils fiDachery Spicil. gnérent un acte, par lequel ils promettoient, entr'autres chofes, avec ferment fur les faints évangiles, que celui qui feroit élu pape procu reroit l'union de tout fon pouvoir, jufqu'à prendre la voie de ceffion en fe dépofant du pontificat, fi la plus grande partie des cardinaux jugeoit qu'il fût à propos de le faire pour le bien de la paix. Cet acte fut figné par dix-huit cardinaux. Le premier étoit Gui de Maloëffe évêque de Paleftrine, dit le cardinal de Poitiers: Pierre de Lune étoit le feiziéme. Les cardinaux de Florence, d'Aigrefeuille & de faint Martial ne souscrivirent point, quoique préfens; & il y en avoit deux absens, Jacques évêque de Sabine, & Jean de Neufchâtel évêque d'Oftie. Il eft furprenant que, dans le formulaire du ferment des cardinaux, il ne foit point parlé de cette claufe, du cas que le concurrent cède auffi, comme l'hiftoire fuppofe qu'elle fut ftipulée.

XLVIII.

Ils élifent pour

papeBenoît XIII.

Les cardinaux ne furent que deux jours au conclave, & dès le vingthuitiéme de Septembre veille de S. Michel, ils élurent d'une voix unanime Pierre de Lune cardinal d'Arragon, qui prit le nom de Benoît XIII. Il étoit âgé d'environ foixante ans, & il y en avoit dix-neuf qu'il étoit

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