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magiftrats d'en faire leur devoir, & en cas de négligence en donne, avis à l'empereur. Enfin, les évêques avoient infpećtion fur l'adminiftration & l'emploi des revenus & des deniers communs des villes, & la conftruction ou réparation des ouvrages publics. Tel fut le fecond état de la jurifdiction eccléfiaftique, pendant lequel les empereurs devenus chrétiens, foutenoient de leur autorité celle des évêques, & leur donnoient quelque inspection fur les affaires temporelles, par l'eftime & la confiance qu'ils avoient en eux; & les évêques de leur côté infpiroient au peuple la foumiffion & l'obéiflance aux fouverains, par principe de confcience, comme faifant partie de la religion. Ainfi les deux puiffances, la fpirituelle & la temporelle, s'aidoient & s'appuyoient mutuellement.

La chute de l'empire d'Occident, & la domination des barbares commença, fi je ne me trompe, à altérer cette union. Les Romains n'avoient que du mépris & de l'averfion pour ces nouveaux maîtres, qui, outre leur groffiéreté & leur férocité naturelle, étoient tous païens ou hérétiques. Au contraire le refpe&t & la confiance des peuples augmenta pour les évêques, qui étoient tous Romains, & fouvent des plus nobles & des plus riches. Mais avec le tems les barbares devenus chrétiens, entrérent dans le clergé & y portérent leurs moeurs en forte que l'on vit des clercs, & des évêques mêmes, chaffeurs & guerriers. Ils devinrent auffi feigneurs, & comme tels, obligés de fe trouver aux affemblées dans lesquelles fe régloient les affaires de l'état, & qui étoient en même tems parlemens & conciles nationaux.

V:

Conciles natio

naux.

Or je regarde ces affemblées comme la principale fource de l'extenfion de la jurifdiction eccléfiaftique hors de fes bornes & des entreprifes fur la temporelle. Nous en voyons un terrible exemple dès la fin du feptiéme fiécle, au douzième concile de Tolède, qui déclara le roi Vamba déchu de la couronne, & fes fujets déchargés de leur ferment. Cette opinion, que les évêques pouvoient dépofer les rois, fit un tel Hift. liv.xt. n. 29. › progrès pendant les deux fiécles, fuivans, que les rois eux-mêmes en convenoient, comme il paroît par la requête de Charles le Chauve, préfentée au concile de Savoniéres en 859, contre Venilon archevêque de Sens.

Hift. liv. XLIX. n.

46.

VI.
Droit nouveau.
Liv. XLIV. n. 22.

4. Difc. n. 2.

Les fauffes décrétales d'Ifidore, qui parurent vers la fin du huitiéme fiécle, apportérent un grand changement à la jurifdiction fur trois articles: les conciles, les jugemens des évêques, & les appellations. Les conciles devinrent beaucoup plus rares, depuis que l'on crut que l'on ne pouvoit en tenir fans la permiffion du pape ; & dans le même tems il furvint un obstacle encore plus grand à la tenue des conciles, fçavoir, les guerres civiles & les hoftilités univerfelles, depuis le règne de Louis le Débonnaire & le milieu du neuviéme fiécle. Ces défordres rompoient le commerce d'une ville à l'autre, & par conféquent rendoient impoffibles les affemblées des évêques : vous avez vu les plaintes qu'en faifoit Ives Liv. Lxv. n. 8. ep. de Chartres. Or la ceffation ou l'interruption des conciles provinciaux 84. étoit une grande plaie à la jurifdiction eccléfiaftique.

Hift. liv. Lix. n. 28. 3. Difc. n. 14.

La difficulté de juger les évêques en étoit une autre, introduite auffi 4. Difc. n. 3.

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25.9. 1. c. 16.

1.7.

3.q.1. c. 35, 37. c.

0.51.

par les fauffes décrétales, en réservant au pape feul leur jugement, & ajoutant de nouvelles règles fur les qualités des accufateurs & des témoins. Or cette difficulté de corriger ou dépofer les mauvais évêques, a caufé l'impunité de leurs crimes & la chute de la difcipline. Enfin les appellations au pape fans moyen & en tout état de caule, achevérent d'anéantir la jurifdiction ordinaire. Voyez ce qu'en difoit Hincmar, & enfuite Ives de Chartres & S. Bernard.

des

Le décret de Gratien affermit & augmenta les changemens introduits dans la jurifdiction, étant reçu pour unique règle dans les tribunaux eccléfiaftiques : ce qui a duré près de quatre cens ans. Car les constitutions papes, postérieures à cette compilation, roulent fur les maximes 70, 83. Hift. liv. L. qu'elle contient. Or Gratien a enchéri fur les fauffes décrétales en deux articles importans, l'autorité du pape, & l'immunité des clercs. Car il foutient que le pape n'eft point foumis aux canons; & que les clercs ne peuvent être jugés par les laïques en aucun cas. Le pape Nicolas I avoit déja avancé cette maxime dans fa réponse aux Bulgares, en difant : Vous ne devez point juger les prêtres ou les clercs, vous autres laïques, ni examiner leur vie vous devez tout laiffer au jugement des évêques. Pour prouver l'immunité des clercs, Gratien rapporte quatre fauffes décrétales; premiérement la prétendue lettre du pape Caïus à l'évêque Hift. liv. XLVI. n. Felix : puis la feconde du pape Marcellin, la première de faint Alexandre, faint Silveftre dans le concile Romain. Enfin il rapporte la fauffe loi de Conftantin adoptée par Charlemagne, qui, fans parler des clercs en particulier, renvoie aux évêques toutes les caufes de ceux qui les auront choifis pour juges, même malgré leurs parties adverses.

11. q. c. I. t.3,7, 14.

8.

c. 10, 23.

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Par tous ces différens moyens, la jurifdiction eccléfiaftique fe trouva fort changée dès le douzième fiécle; tant par le mêlange du temporel avec le fpirituel, que par l'extenfion de l'autorité du pape au préjudice des évêques. Car outre les appellations, fouvent le pape évoquoit à lui les caufes en premiére infance, ou les renvoyoit à fes légats ou à d'autres juges par lui délégués; & il accordoit des citations générales ou particuliéres pour comparoître à fon tribunal. Les exemptions & les autres priviléges ôtoient encore un grand nombre de caufes aux juges ordinaires. Mais quel en étoit le fondement, finon l'opinion vague que le pape pouvoit tout ce qu'il vouloit, & n'étoit point foumis aux canons? Autrement, comment pouvoit-il fouftraire à la jurifdiction des évê. ques, fans leur confentement, des églifes particuliéres, ou des ordres entiers de religieux ? Vous avez vu les reproches que faifoit faint Bernard aux abbés de fon tems, de rechercher ces exemptions; & au pape Eugène de les accorder trop facilement, contre le bien général de l'églife. Il est vrai qu'il ne lui en contefte pas le pouvoir, faute d'être affez inftruit de l'ancienne difcipline oubliée de fon tems.

Mais elle étoit encore connue cent ans auparavant, comme il parut au concile d'Anfe, près de Lyon, tenu en 1025. L'évêque de Mâcon s'y plaignit que des moines de Clugni qui étoient dans fon diocèle, avoient été ordonnés fans fa permiffion par l'archevêque de Vienne. Odilon, abbé de Clugni, produifit un privilége du pape pour l'exemption de fon

monaf

monaftére: mais le concile y oppofa les canons du concile de Calcédoine

& des autres, en conféquence defquels les évêques déclarérent nul le

privilége, & l'archevêque de Vienne reconnut fa faute. Tant ces évê. Hift liv. LXI. n. 7. ques étoient perfuadés que le pape n'étoit pas au-deffus des canons. Il 1.9. Conc. p. 1177 eft vrai qu'au concile de Châlon tenu trente-huit ans après, cù préfi doit S. Pierre Damien comme légat, on confirma les priviléges de Clu gni: ce qui montre que l'opinion avoit déja changé touchant la puiffance du pape.

La jurifdiction des ordinaires fe trouvoit encore notablement reftrein

te par celle des légats, fi fréquens depuis l'onziéme fiécle : tant les légats v.4. Difc. n. 11. à latere, que ceux qui réfidoient fur les lieux, & avoient la légation par le privilége de leur fiége ou par commiffion particuliére. Tous, comme représentant le pape, avoient jurifdiction privativement à tous les évêques, de quelque dignité qu'ils fuffent, même les patriarches; & pou. voient déléguer d'autres juges.

VIII. Entreprises fur

C. 3. de imm. in 6.
Rain. 1296. n. 25.

Hift. lib. LXXIX. ♫

43.

Les évêques ainfi refferrés cherchérent à étendre leur jurisdiction aux dépens des juges laïques, par trois moyens: la qualité des perfonnes, la qualité des caufes, & la multiplication des juges. Les perfonnes les laïques, étoient les clercs, dont, comme vous venez de voir, on avoit déja bien élargi les priviléges, en les fouftrayant entiérement à la jurifdiction féculiére. En forte que Boniface VIII, dans la fameufe décrétale Clericis laïcos, dit nettement que les laïques n'ont aucune puiffance fur les perfonnes ni fur les biens eccléfiaftiques. On étendit encore ce privilége, en aug. mentant à l'infini le nombre des clercs. Car depuis qu'on eut méprifé la fage difpofition du concile de Calcédoine contre les ordinations fans titre, les évêques firent autant de clercs qu'ils voulurent, fans choix & fans mefure: quelquefois par ce feul motif d'étendre leur jurifdiction. Plufieurs n'étoient point tonfurés, plufieurs recevoient les ordres mineurs ; & comme ils font compatibles avec le mariage, tout étoit plein de clercs mariés, qui, fans rendre aucun fervice à l'églife, s'occupoient du trafic & des métiers même les plus indécens: jufques-là que le concile de Vienne fe crut obligé de leur défendre d'être bouchers & de tenir cabaret, & auparavant on leur avoit défendu d'être jongleurs ou bouffons de profeffion. Enfin on étendit le privilége clérical aux domeftiques des eccléfiaftiques & à leurs familiers comme on les nomme: ce qui dure encore en Espagne. Or joignant enfemble l'exemption des clercs & leur nombre exceffif, il feroit à la fin resté peu de laïques : & il n'auroit tenu qu'aux évêques de fouftraire autant de sujets qu'ils auroient voulu à la puiffance féculiére.

La protection charitable que les évêques des premiers fiécles don noient aux veuves, aux orphelins & aux autres perfonnes foibles, devint un prétexte de révendiquer toutes leurs caufes: quoique ces perfonnes ne fuffent ni fans bien, ni fans pouvoir, comme des reines veuves & des rois en bas âge. On étendit ce prétendu droit fur les pélerins, & par conféquent fur les croifés, dont les biens furent mis fous la protection du faint fiége. Il n'y avoit pas jufqu'aux lépreux qui ne fuffent du Tome XIV.

Clement I.Devit.& honest. Cleric,

C. un, de vitg & hon, in 6,

Hift. liv. LXVII.n. 6. Difc. n. 13. 17. Conc. Nougar

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Hift. liv. LXXXIX. reffort de la jurifdiction de l'églife, comme féparés du refte des hommes par fon autorité. Et voilà pour les perfonnes.

Conc. d'Avign.

1282.c. 10.
Hift. liv. LXXVII. n.
63. Conc. de Bour

ges.

1286. c. 30. Hift. liv. LXXXVII,

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Hift. liv. LxxxI. në 27. LXXXV. n. 13,

IX.

Quant aux caufes, ce fut un moyen d'étendre la jurifdiction eccléfiaftique fur les laïques mêmes : & ils ne s'y oppofoient que foiblement. On le voit par les loix du roi Alphonfe de Caftille, compofées vers le milieu du treiziéme fiécle, où il attribue au juge eccléfiaftique des matiéres qu'il auroit pu révendiquer, comme l'état des perfonnes, le patronage, l'ufure, l'adultére, le facrilége. Saint Louis en ufa plus fagement car dans les loix qu'il donna en même tems fous le nom d'établissemens, il ne traite que des matiéres profanes; enforte qu'il ne donne aux eccléfiaftiques aucun fujet de plainte, fans toutefois autori fer leurs entreprises.

Or la qualité des caufes leur en fournit divers prétextes: comme
le ferment appofé à la plupart des contrats, & la connexité avec les
matiéres fpirituelles. Ainfi, à l'occafion du facrement de mariage, ils
prenoient connoiffance de la dot, du douaire & des autres conventions
matrimoniales: de l'adultére, de l'état des enfans, pour juger lefquels
étoient légitimes. Et comme on fuppofoit qu'il ne devoit point y avoir
de teftament fans legs pieux, plufieurs conciles ordonnérent que les
teftamens fe feroient en préfence du curé, & que l'évêque fe feroit
rendre compte de l'exécution. Or la connoiffance des teftamens attiroit
les fcellés & les inventaires.

Un autre prétexte d'étendre la jurifdiction fur les laïques, furent les
crimes eccléfiaftiques : c'eft à-dire ceux qui attaquent directement la re-
figion, comme l'héréfie & le fchifme; ou qui n'étoient point défendus
par
les loix civiles, comme l'ufure & le concubinage. Car les eccléfiaf-
tiques ont prétendu qu'il n'appartenoit qu'à eux d'en connoître : fauf
aux juges laïques de leur prêter fecours pour la capture des coupables
& l'exécution des jugemens; & d'ajouter les peines temporelles aux
fpirituelles. Et parce que, fuivant les nouvelles maximes, le crime d'hé-
réfie emportoit perte de biens, droits, feigneuries, même à l'égard
des fouverains: on en accufoit toujours ceux qu'on vouloit perdre, com-
me l'empereur Fridéric II, Mainfroi & tant d'autres. Sur quoi on ne
manquoit pas de prétextes. Car après avoir excommnunié un prince, &
mis fon état en interdit: s'il méprifoit les cenfures, comme il faifoit
le plus fouvent, on l'accufoit de ne pas croire la puiffance des clefs,
& dès-lors on le tenoit pour hérétique. On jugeoit de même de rout
particulier qui fouffroit un an l'excommunication fans fe mettre en
devoir de fe faire abfoudre.

La multiplication des juges fut encore un grand moyen d'étendre la
Multiplication jurifdiction eccléfiaftique: car en général, plus il y a de juges & d'of-
des juges.
ficiers de juftice, plus il y a de procès. Les évêques des grands dio-
Conc. Chaft Gont. cèfes établiffoient des officiaux en divers lieux, outre la ville épifcopa-
le: les archidiacres eurent auffi les leurs, & les chapitres exemts avec
jurifdiction & territoire. Tous ces officiaux avoient ou pouvoient avoir
des vicegérens, pour tenir leur fiége en cas de maladie ou d'autres em-

1231. c. 2, 12. Hifi.liv.LXXX. n.4.

L

pêchemens; & ce n'étoit encore que les juges ordinaires, outre lefquels il y avoit des délégués, des fubdélégués & d'autres commiffaires. Comment trouver un fi grand nombre de juges capables de leurs fonctions? fans parler des autres miniftres de juftice.

Quant à en trouver de défintéreffés, il n'y falloit pas penfer: il étoit évident que l'intérêt étoit le principal motif qui engageoit le clergé

X. Avarice & chi;

à cette occupation fi peu agréable par elle-même. Si quelqu'un le faifoit cane. par charité comme un faint Ives, c'étoit un miracle. Tant que les évê- Hift. liv. xc. n. 31, ques & les clercs cherchérent principalement la gloire de Dieu & le falut des ames, c'est-à-dire, pendant les cinq ou fix premiers fiécles: ils fe trouvérent fuffifamment occupés de la priére, de l'inftruction des peuples & du foulagement des pauvres. Ils ne fe chargeoient d'arbitrages qu'à regret & dans la vue de réconcilier les parties. Mais depuis qu'ils voulurent dominer fur les laïques & amafler de richeffes, ils crurent qu'un des meilleurs moyens étoit de fe rendre maîtres de toutes leurs affaires; & l'ignorance des laïques leur en fournit l'occafion. Car elle alloit, comme j'ai dit ailleurs, jufques à ne fçavoir pas lire : enforte que les grands-feigneurs avoient des clercs pour fecrétaires & pour receveurs ou tréforiers, tenant les états & les comptes de leurs revenus. C'étoient des clercs qui étoient greffiers & notaires, avocats & procureurs; en un mot, qui exerçoient toutes les profeffions où il faut fçavoir écrire: d'où vient qu'on nomme encore clercs les jeunes praticiens.

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5. Difc. n. 5

2. Tim. 11

v. 5. Difc. n. 17.

C'eft ainfi que les eccléfiaftiques s'éloignérent infenfiblement de l'efprit de leur profeffion. Ils oubliérent le précepte de l'apôtre, que celui qui s'eft enrôlé au fervice de Dieu, ne doit point s'embarraffer d'affaires temporelles non feulement ils s'en embarraflérent mais ils s'en accablérent & s'y abîmérent. Loin de s'appercevoir de leur égarement, ils en faifoient gloire : ils étoient plus jaloux de cette jurisdiction outrée que des véritables droits de l'églife; & crioient qu'on vouloit la réduire en fervitude, dès qu'on s'efforçoit de mettre des bornes à leurs entreprises. C'eft la matiére la plus ordinaire des conciles du treiziéme & du quatorziéme fiécle. On y voit auffi jufqu'à quel excès on avoit pouffé la chicane, par les abus qui y font condamnés; entr'autres, d'em- 1237. pêcher les parties de s'accommoder, pour ne pas manquer de pratique: auieu que, dans les premiers fiécles, les évêques ne travailloient qu'à empêcher les fidèles de plaider. Il fembloit que la jurifdiction fut tournée en trafic, que la religion autorisât l'intérêt le plus fordide, & que Jefus Chrift fût venu enfeigner aux hommes de nouveaux moyens de gagner & de s'enrichir : lui qui a tant recommandé l'amour de la pauvreté, par fes difcours & par fon exemple.

Outre les prétextes particuliers d'étendre la jurisdiction eccléfiaftique, on en trouva un général, qui fut à raifon du péché. L'églife difoiton, en vertu du pouvoir des clefs, a droit de prendre connoiffance de tout ce qui eft péché, pour fçavoir fi elle doit le remettre ou le retenir, lier ou délier le pécheur. Or en toute conteftation pour quelque intérêt temporel, une des parties foutient une prétention injufte, & quelquefois toutes les deux; & cette injustice est un péché : Donc elle

Conc. de Lond.

Hift. liv. LXXXI, "

8,12

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