Imágenes de páginas
PDF
EPUB

en fort bonne compagnie. Mais pour l'intelligence de ce bon mot, il faut fçavoir qu'il a un frere, nommé Don André de Prada, qui étoit il y a quelques années Officier comme lui dans le même corps.

Il arriva qu'un jour un gros Fermier des Domaines du Roi aborda ce Don André, & lui dit : Seigneur de Prada, je porte même nom que vous, mais nos familles font différentes. Je fçai que vous êtes d'une des meilleurs maifons de Catalogne, & en mêr me-temps que vous n'êtes pas riche. Moi, je fuis riche & d'une naiffance peu illuftre. N'y auroitil pas moyen de nous faire part mutuellement de ce que nous avons de bon l'un & autre? Avez-vous vos titres de Nobleffe? Don André répondit:qu'oui. Cela Tom. II. Sec. Part,

Y

étant, repliqua le Fermier, fi vous voulez me les communiquer, je les mettrai entre les mains d'un habile Généalogifte qui travaillera là-deffus & nous rendra parens en dépit de nos ayeux. De mon côté, par reconnoiffance, je vous ferai préfent de trente mille piftoles. Sommes-nous d'accord? Don André fut ébloui de la fomme. Il accepta la propofition, confia fes pancartes au Fermier, & de l'argent qu'il en reçut acheta un terre confidérable en Catalogne, où il vit depuis ce temps-là.

Or fon cadet qui n'a rien gagné à ce marché, étoit hier à une table où l'on parla par hafard du Seigneur de Prada, Fermier des Domaines du Roi, & là-deffus: une Dame de la compagnie adreffant la parole à ce jeune Officier, lui demanda s'il n'étoit

pas parent de ce Fermier? Non, Madame, lui répondit-il, je n'ai pas cet honneur-là. C'eft mon frere.

L'Ecolier fit un éclat de rire à cette repartie, qui lui parut des plus plaifantes. Puis appercevant tout-à-coup un petit homme qui fuivoit un Courtifan, il s'écria: Hé, bon Dieu! Que ce petit homme qui fuit ce Seigneur lui fait de révérences ! il a fans doute quelque grace à lui demander. Ce que vous remarquez-là, reprit le Diable, vaut bien la peine que je vous dife la caufe de ces civilités. Ce petit homme eft un honnête Bourgeois qui a une affez belle maison de campagne aux environs de Madrid, dans un endroit où il y a des Eaux Minérales qui font en réputation. Il a prêté fans intérêt cette mailon pour trois mois

à ce Seigneur, qui y a été prendre les Eaux. Le Bourgeois en ce moment prie très-affectueufement ledit Seigneur de le fervir dans une occafion qui s'en préfente, & le Seigneur refuse fort poliment de lui rendre fervice.

Il ne faut pas que je laiffe échaper ce Cavalier de race Plebeïenne, lequel fend la preffe en tranchant de l'homme de condition. Il est devenu exceffivement riche en peu de temps par la fcience des nombres. Il y a dans fa maifon autant de domeftiques que dans l'hôtel d'un Grand, & fa table l'emporte fur celle d'un Miniftre pour la délicateffe & l'abondance. Il a un équipage pour lui, un autre pour fa femme, & un autre pour fes enfans. On voit dans fes écuries les plus belles mules & les plus beaux

chevaux du monde. Il acheta même ces jours paffés, & paya argent comptant, un fuperbe attelage que le Prince d'Espagne avoit marchandé & trouvé trop cher. Quelle infolence, dit Léandro! Un Turc qui verroit ce drôle-là dans un état fi floriffant, ne manqueroit pas de le croire à la veille d'effuyer quelque fàcheux révers de fortune. J'ignore l'avenir, dit Afmodée, mais je ne puis m'empêcher de penfer comme un Turc.

Ah! qu'est-ce que je vois, continua le Démon avec furprise? Peu s'en faut que je ne doute du rapport de mes yeux! Je démêle dans cette falle un Poëte qui n'y devroit pas être..Comment ofet-il fe montrer ici, après avoir fait des vers qui offenfent de Grands Seigneurs Espagnols? Il faut qu'il

« AnteriorContinuar »