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Bahabon effrayé d'un avis qui ne s'accordoit que trop avec l'état de fes affaires, prit fur le champ la fuite & le chemin de Corita. Mais il quitta la route de ce Bourg, pour gagner un bois qu'il apperçut dans la campagne, & dans lequel il s'enfonça, réfolu de s'y tenir caché, jufqu'à ce que la nuit vânt lui prêter fes ombres , pour continuer fa marche plus fûrement. C'étoit dans la faifon où les arbres font parés de toutes leurs feuilles. Il choiftt le plus touffu, pour y monter & s'y affit fur des branches qui l'enveloppoient de leur feuillage.

Se croyant en fûreté dans cet endroit, il perdit peu-à-peu la crainte de l'Alguazil; & comme les hommes font ordinairement les plus belles réfléxions du monde, quand les fautes font commi

fes, il fe repréfenta toute fa mauvaise conduite, & fe promit bien à lui-même, fi jamais il fe revoyoit en fonds, de faire un meilleur usage de fon argent. Il jura fur tout qu'il ne feroit jamais la duppe de ces faux amis qui entraînent un jeune homme dans la débauche, & dont l'amitié fe diffipe avec les fumées du vin.

Tandis qu'il s'occupoit des différentes pensées qui fe fuccédoient les unes aux autres dans fon efprit, la nuit furvint. Alors fe démêlant d'entre les branches & les feuilles qui le couvroient, il étoit prêt à fe couler en bas, lorfqu'à la foible clarté d'un nouvelle Lune, il crut difcerner une figure d'homme. A cette vûe, qui lui rendit fa premiere peur, il s'imagina que c'étoit l'Alguazil, qui l'ayant fuivi à la piste, le cher

choit dans ce bois, & fa frayeur redoubla quand il vit qu'au pied .du même arbre, fur lequel il étoit, cet homme s'aflit après en avoir fait le tour deux ou trois fois.

Le Diable Boiteux s'interrompit lui-même en cet endroit de -fon récit Seigneur Zambullo, dit-il à Don. Cléofas, permettezmoi de jouir un peu de l'embarras où je mets votre efprit en ce moment. Vous êtes fort en peine de fçavoir qui pouvoit être ce mortel qui fe trouvoit-là si mal-à-propos & ce qui l'y amenoit. C'est ce que vous apprendrez bien-tôt. Je n'abuferai point de votre patience.

Cet homme après s'être affis au pied de l'arbre dont l'épais feuillage déroboit à fes yeux Don Pablos, s'y repofá quelques inftans. Puis il fe mit à creufer la terre avec un poignard, & fit une pro

STAATSBIBLIOTHER
BAMBERG

fonde foffe, où il enterra un fac de buffle. Enfuite il combla là foffe, la recouvrit proprement de gazon, & fe retira. Bahabon qui avoit obfervé tout avec une ex

attention, & dont les allar

mes s'étoient changées en tranfports de joie, attendit que l'homme fe fût éloigné, pour defcenIdre de fon arbre, & aller déterrer le fac, où il ne doutoit pas qu'il n'y eût de l'or ou de l'argent. II fe fervit pour cela de fon coûteau; mais quand il n'en auroit pas eu, il fe fentoit tant d'ardeur pour ce travail, qu'avec fes feules mains, il auroit pénétré jufqu'aux entrailles de la terre.

D'abord qu'il eut le fac en fa puiffance, il fe mit à le tâter, & perfuadé qu'il y avoit dedans des efpeces, il fe hâta de fortir du bois avec fa proie, craignant alors

beaucoup moins la rencontre de l'Alguazil, que celle de l'homme à qui le fac appartenoit. Dans le raviffement où cet Ecolier étoit d'avoir fait un fi bon coup, il marcha légérement toute la nuit, fans tenir de route affurée, fans fe fentir fatigué, ni incommodé du fardeau qu'il portoit. Mais à la pointe du jour, il s'arrêta fous des arbres, affez près du bourg de Molorido, moins, à la vérité, pour fe repo-, fer, que pour fatisfaire enfin la. curiofité qu'il avoit de fçavoir ce que fon fac renfermoit. Il le délia donc avec ce frémissement agréable qui vous faifit, au moment que vous allez prendre un grand plai-, fir. Il y trouva de bonnes doubles piftoles; & pour comble de joie, il en compta jufqu'à deux cens cinquante,

Après les avoir contemplées

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