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Tentimens fecrets qui nous font infinuez par le plaifir. Je fçai mieux que perfonne de quel bon naturel Dieu vous a pourvûë, mais c'eft le tenter que de vous expofer à la compagnie dont nous parlons, je ne fçai rien de plus dangereux.

TULLIE.

Hé pourquoi donc ! Il faut que vous foïez bien fufceptible pour craindre fi fort de prendre les fentimens des gens que vous voïez, & d'être ébranlée par leur exemple.

URANIE.

J'ofe dire, que vous devez l'être plus que moi. Vous êtes plus jeune, vous êtes douce, vous aimez à plaire, & par vos bonnes qualitez même la mauvaise compagnie vous eft plus dangereufe qu'à bien d'autres.

TULLIE.

Je vous ai pourtant oui dire la , que bonne conduite ne confifte pas feulement à imiter ce qui eft bon, mais à fuïr ce qui eft mauvais.

B

URANIE.

Il eft vrai, mais je n'ai pas prétendu que vous en concluriez qu'on peut voir les gens qu'il faut fuir. Les paffions fe communiquent aifément. Il est bien difficile d'être bon en frequentant ceux, qui ne le font pas.

TULLIE.

Il faut donc que j'aïe un grand fonds de bonté, car je vois indiféremment les gens qui me plaifent fans examiner ce qu'ils font, & je ne crois pas en être plus mauvaise.

URANIE.

Vous n'avez encore gueres vêcu. L'innocence de vôtre cœur, vous empêche de fentir & même de prévoir le danger des mauvaifes compagnies. Cependant avec cette innocence on ne laiffe pas de fe perdre. Rien n'eft fi diffi cile que de réparer la perte de fa réputation on la perd fouvent fans faire de

mal.

TULLIE.

Sans faire de mal, & pourquoi ?

URANIE.

C'eft que nous avons à compter avec le monde qui eft injufte, & qui ne l'eft peut-être pas trop fur ce point. Car enfin il me femble qu'il eft affez naturel de juger que nous ne cherchons que les gens qui nous plaifent, & qu'ils ne nous plaifent que par la conformité qu'ils ont avec nos inclinations.

TULLIE.

Avec tout cela vous avoüerez qu'on pafferoit bien mal fon tems fi , pour conferver fa réputation il falloit fe priver de toutes les personnes agréables & divertiffantes.

URANIE.

Eh pourquoi? Ne voulez-vous pas que les perfonnes vertueufes foient di

vertiffantes.

TULLIE

C'eft que les mefures que ces per fonnes-là fe font une loi de garder, font bien opposées à la vivacité & à la gaïeté de la converfation.

URANIE.

Vous croïez donc qu'on ne peut fe divertir qu'en fortant des regles? Cependant il y a mille fujets innocens fur lefquels les perfonnes fages font auffi vives qu'on le peut, ou du moins qu'on le doit être. Mais quand cela ne feroit pas, le feul amour de mon repos me feroit éviter les mauvaifes compagnies. En effet, je crois que l'on doit être bien inquiette, quand on eft avec des gens: contre lefquels il faut être toûjours en garde.

TULLIE.

Eh pourquoi fe tant tourmenter, à quoi bon tant de défiances ?

URANIE.

Si vous deviez aller dans un lieu mal-fain, dont l'air fut infecté, & dont on ne revint prefque point fans être malade, ne feriez-vous point fur vos gardes, ne prendriez-vous point de précautions ?

TULLIE.

Le plus sûr feroit de n'y point aller, ou fi je ne pouvois m'en difpenfer

je me précautionnerois tout de mon

mieux.

URANIE.

Fort bien, & fi vous aviez à voïager par un païs, plein de voleurs & d'affaffins dont on vous eût raconté les hiftoires les plus tragiques, comment en uferiez-vous ?

TULLIE.

Tout de même; ou je n'irois pas ou je prendrois toutes les précautions imaginables.

URANIE.

L'innocence court-elle moins de rifques dans les mauvaises compagnies, le cœur eft-il moins en danger de fi corrompre, la réputation y eft-elle plus en sûreté ?

TULLIE.

Oüi fans doute. Car enfin le mauvais air agit fur moi, malgré moi. Il n'en eft pas de même du cœur pour le corrompre, il faut qu'il fe livre luimême.

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