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URANIE.

'Ah! Tullie vous ni penfez pas. Le danger des mauvaifes compagnies eft d'autant plus grand qu'on n'eft prefque jamais affez en garde contre elles. Le plaifir nous entraîne, il nous féduit. Il entre dans le cœur, fans qu'on s'en apperçoive, fans qu'on y penfe. Le cœur fe livre, il eft même livré, qu'on croit encore en être le maître. Défiezvous de votre cœur, rien n'échappe plus aifément. Rien ne coûte plus à récouvrer. Je dis bien plus, il n'y a prefque rien d'innocent dans une mauvaife compagnie, & prefque rien de mauvais dans une bonne.

TULLIE.

Comment donc les chofes ne font elles pas par elles-mêmes ou innocentes, ou criminelles ?

URANIE

Non fans doute, il y en a d'indife rentes par elles-mêmes, qui font approuvées ou blâmées, felon les per fonnes qui les font.

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TULLIE.

Expliquez-vous je vous prie.
URANIE.

On fait une collation, une promenade, fi vous voulez à une heure induë. N'eft-il pas vrai, que fi vous faites ces parties, avec des perfonnes fans réputation, on y foupçonnera bien de mauvaifes chofes. Si vous les faites au contraire avec des perfonnes generalement approuvées on n'en foupçonnera = rien, elles pafferont pour innocentes, elles ne feront point défapprouvées. Encore un coup; rien n'eft plus important à une jeune perfonne comme vous, qui entre dans le monde, que de s'y faire une bonne réputation; mais foïez sûre que vous ne l'acquererez jamais en fréquentant de mauvaises compagnies.

TULLIE.

Mais ne m'avouerez-vous pas qu'il eft bien trifte de dépendre ainfi du jugement d'autrui ?

URANIE.

Trifte ou non, c'eft une neceffité, perfonne ne s'en eft encore difpenfé, &

le monde ne commencera pas par vous à fe relâcher du droit qu'il prétend avoir de juger, de ce qu'il voit & de ce qu'il entend. Mais il dépend de vous, de ne point donner lieu à de mauvais jugemens, & le plus sûr moïen pour les éviter, eft de ne s'attacher qu'à d'honnêtes gens.

TULLIE.

Ne feroit-ce pas plûtôt fait de laiffer penfer le monde, de le laiffer dire, & de fe mettre au-deffus de fes jugemens bons ou mauvais? Car enfin quoi de plus fâcheux, de plus gênant que d'être ainfi toûjours en garde contre les jugemens des hommes.

URANIE.

Cela feroit bon fi vôtre réputation

n'en dépendoit pas. L'on ne peut ni

l'on ne doit avoir de l'indifference, pour ce qui peut la rendre bonne ou mauvaise. D'ailleurs cette dépendance des jugemens d'autrui, n'eft peut-être pas auffi fâcheufe que vous le pourriez croire. C'eft une efpece de digue contre la corruption des hommes, c'eft un frein qui retient les paffions, c'eft (pour anfi dire, le rempart de la vertu.

Combien

Combien de

gens ne feroient pas

fi pré

cautionnez, fi attentifs, à leur conduite s'ils ne craignoient rien des jugemens du monde ? Vous trouvez cette dépendance gênante, mais c'est une gêne utile, & peut-être même neceffaire. D'ailleurs quand nous pourrions nous rendre indépendans des opinions des hommes, pourrions-nous nous mettre au - deffus des jugemens de Dieu ? Croïez-vous qu'il approuve plus que les hommes, qu'on fe livre à de mauvaifes compagnies, à des dangers continuels de perdre fon innocence? Il faudroit qu'il fit un miracle pour conferver la fageffe d'une jeune perfonne qui verroit inceffamment de mauvais exemples. Prétendre une pareille chose, ce feroit le tenter, & comme nous ne devons jamais tenter Dieu, nous ne pouvons éviter avec trop de foin les mauvaises compagnies.

TULLIE.

Vous m'accablez; je me rends. Mais fçavez vous ce que vous avez gagné avec tous vos beaux difcours. Vous m'allez avoir fur les bras, je ne vous quitte plus. Si je vous fuis à charge,prenez-vous-en à vous même.

C

URANIE.

Cette charge me fera bien legere & bien douce, & afin que vous n'en doutiez pas, je vous permets de ne m'en délivrer que quand vous m'en verrez plaindre.

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