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EULALIE.

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Ne craignez-rien; je le tournerai de tant de manieres qu'il me racontera lui-même tout ce que vous m'avez dit. J'en prendrai occafion de lui dire avec beaucoup de précaution & de douceur tout ce qui pourra l'amener infenfiblement aux réflexions que je viens de faire. Je feindrai que vous l'aimez tendrement, que vous avez le meilleur cœur du monde & que vous m'avez parlé de lui avec une circonfpection & une douceur dont j'ai été charmée. En un mot, comptez que je vous le renverrai tel que vous le pouvez fou haitter.

XANTIPE

Plaise à Dieu, ma chere Eulalie, de feconder vos bons deffeins.

EULALIE.

Ne doutez point qu'il ne le faffe, pourvû que vous ne vous manquiez pas à vous même, & que vous en ufiez de vôtre côté comme nous en fommes convenuës.

VI. ENTRETIEN. Que ceux qui font dans la haute fortune n'ont point d'amis, ou que du moins ils ne peuvent fçavoir s'ils font aimez.

ARISTIPE, CHRISANTE.

J

ARISTIPE.

E vous avoue que j'avois cru juf qu'à prefent, que ceux que la fortune favorife le plus, étoient ceux qui avoient, le plus d'amis, & qui avoient moins de lieu d'en douter. En effet, cette affi-duité que rien ne laffe, cette complaifance que rien ne rebute, ces empreffemens qu'on a pour eux, & qui paroiffent fi naturels, cette application continuelle à leur plaire, à executer leurs volontez, à prévenir même leurs defirs, doivent leur perfuader qu'ils font aimez. Sur de pareils garants, ne peut-on pas s'affurer d'un cœur? Car enfin qu'est-ce que l'amour le plus ten

dre & le plus ardent pourroit produire de plus convaincant?

CHRISANTE.

Il eft vrai, que cela feroit très-capable de perfuader, fi les hommes étoient dans le fonds tels qu'ils paroiffent être, & fi leur ceeur s'accordoit toûjours avec leurs actions. Mais les hommes ne font rien moins que ce qu'on les croit; tout eft deguifé dans leurs mœurs & dans leurs manieres. Ils font le plus fouvent par interêt , par crainte, par vanité ou par bien-féance, les mêmes chofes, & avec les mêmes dehors, que s'ils les faifoient par incli nation. Ils font tout entiers dans ce qu'ils font par ces motifs, à la referve du cœur, qui n'eft prefque jamais de la partie. Vous connoiffez Afpafie Que ne fit-elle point à la mort de fon premier mari? Ses larmes, fon defefpoir, tout marquoit un cœur vivement touché, on eût cru qu'elle étoit prête à s'enfermer dans le même tombeau. Rien ne paroiffoit plus naturel, que fa douleur. Son parti étoit pris, elle fou haittoit cette mort depuis long-tems, la place du défunt étoit retenue. Ce qu'on a vû depuis, n'a fervi qu'à en con vaincre les plus incredules.

ARISTIPĘ.

Ce principe prouve trop; fi l'on vouloit en tirer les confequences, il n'y a perfonne qui pût s'allurer d'être

aimé.

CHRISANTE.

Cela eft vrai, & c'est pourquoi, il eit fi-difficile de trouver des amis veritables dont on puiffe s'affurer. Cette difficulté eft extrême, pour ceux que la fortune favorife elle n'eft pas fi grande pour ceux qu'elle neglige; mais elle eft beaucoup moindre pour ceux qu'elle perfecute,

ARISTIPE.

Je connois bien des gens, qui ne font pas de vôtre fentiment, & qui font perfuadez que la profperité attire autant d'amis, que l'adverfité en éloigne.

CHRISANTE.

Il n'y a pourtant rien de fi vrai que ce que je viens d'avancer. En effet qu'on s'attache à un particulier dont la fortune peut à peine fuffire à lui fournir le neceffaire; qui ne peut prefque mi puire, ni fervir, qui même par des

econtre-tems imprevûs eft déja devenu, ou eft prêt de devenir à charge, oɑ dont le malheur, comme une espece de contagion, fe communique à tous ceux qui l'approchent, & perd enfin tous fes amis; il n'eft pas aifé de s'y méprendre, il n'y a gueres qu'une amitié folide, ou l'amour le plus tendre, qui puiffent former de pareilles liaifons. Il n'en eft pas de même des attachemens, qu'on a pour ceux que la fortune favorife, rien de plus équivoque, de plus douteux, & de plus difficile à penetrer,que les motifs qui arrachent, pour ainsi dire, tous ces devoirs qu'on leur prodigue peut-être à regret. Il eft vrai, que l'amour ou l'amitié peuvent les produire, mais la crainte, l'efperance, la vanité, l'ambition, l'habitude même, les befoins de la vie, la fituation où l'on fe trouye, la dure loi de la neceffité, peuvent auffi en être la caufe. Une infinité de fortunes dépendent d'un mot, que vous pouvez prononcer quand il vous plaira; il ne vous eft plus permis de fçavoir, fi l'on ne fait point pour votre rang, ce qu'on feroit pour la perfonne d'un autre. La mifere, donne de la compaffion, elle attendrit le cœur. La gran deur, au-contraire, forme des obftacles

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