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prefque invincibles à l'amour qu'on pourroit être tenté d'avoir pour ceux qui font élevez à une haute fortune. Ils ne veulent point defcendre, ils ne peuvent fouffrir qu'on s'éleve jufques à eux; l'amour veut de l'égalité. Le moïen d'unir des chofes fi éloignées, & qui s'obstinent à ne point s'approcher?

ARISTIPE.

Mais vous m'avouerez › que les grands ont mille moïens de faire du bien, qui font autant de fecrets infaillibles de le faire aimer; ils peuvent rendre un cœur content, le combler de joïe, prevenir d'extrêmes befoins, ou y remedier.

CHRISANTE.

Il est vrai; mais on eft perfuadé que s'ils ont le pouvoir de faire du bien, ils en ont rarement la volonté; & s'ils veulent faire du mal, ils n'en trouvent que trop les occasions, & ne s'y fentent que trop portez. Cette même fortune, qui leur donne le pouvoir de faire du bien, leur donne auffi celui de nuire, & l'experience apprend qu'ils ne le veulent que trop fouvent. Ainfi l'efperance, &0 la crainte partagent les cœurs à leur

égard; mais ils ont d'autant plus de lieu de douter s'ils font aimez, qu'on n'eft gueres difpofé à aimer ce que

craint.

ARISTIP E.

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Si la grandeur a cet inconvenient, elle a d'ailleurs de grands avantages. Elle fe fait admirer, & il n'y a pas beaucoup de chemin à faire de l'admiration à l'eftime, & de l'eftime à l'a

mour.

CHRISANTE.

On ne peut pas nier qu'une grande fortune n'attire fouvent l'admiration. Mais on admire fouvent fans efti mer, & plus fouvent encore fans aimer. Le cœur entraîne fouvent l'ef prit, mais il ne le fuit pas toûjours. C'eft la douceur, c'eft la bonté, ce n'eft pas la grandeur qui fait aimer Car enfin, où trouve-t-on de ces Grandeurs douces & aisées, de ces Grandeurs modeftes & bien-faifantes, qui obligent tout le monde fans accabler perfonne ? Combien y en a-t-il peu qui aïent cette qualité finguliere de paroître au-deffus des autres fans le faire fentir; d'être diftinguez par un rang éminent, fans affecter de diftinction,

fans

fans bleffer cette vanité dont perfonnet n'eft exempt, & qui inspire une haine d'autant plus violente contre tout ce qui s'éleve au-deffus de nous qu'elle eft fecrette, & que toute naturelle qu'elle eft,on eft fans ceffe obligé de la reprimer..

ARISTIP E.

Il eft vrai qu'on ne fe croit ni grand, ni heureux, qu'autant qu'on fait remarquer & fentir fa felicité & fa grandeur. On veut des témoins, ou plûtôt des admirateurs de fa fortune; & l'on confentiroit fouvent à être moins heureux, pour le paroître davantage.

plûtôt

CHRISANTE.

Mais cette montre importune de la grandeur, cette affectation qu'ont la plupart des Grands de faire fentir d'une maniere odieufe ce qui les diftingue des autres, choque infinimenɛ ceux qui font au-deffous deux; ils la regardent comme une efpéce d'infulte qu'on fait à leur baffeffe & à leur dépendance. Ils s'imaginent qu'on ne peut fe voir fi fort au-deffus d'eux fans: les méprifer; & ce mépris eft ce qui revolte le plus le cœur,& ce qu'on par donne le moins..

H

ARISTIPE.

mais

Auffi eft-il vrai, que le mépris eft plus offenfant que la haine ; car enfin on peut eftimer ce qu'on haït, l'eftime ne peut fubfifter avec le mépris. On revient fouvent de la haine,, le mépris n'a point de retour.

que

CHRIS ANTE...

J'ajoûterai à ce que je viens de dire, que le fentiment de la premiere égalité la nature avoit mife entre les hommes, eft fi profondément gravé dans tous les cœurs, que tout eft capable de le réveiller. La raifon a beau reprefenter la neceffité de la fubordination,, & les inconveniens de l'indépendance, l'amour propre toûjours aveugle, toûjours fourd à tout ce qui peut choquer fa délicateffe, n'écoute rien, & nous force prefque à regarder comme une efpece d'ufurpation, ces diftinctions, ces rangs, ces richeffes; en un mot, tous ces avantages qui compofent, ce qu'on appelle une grande fortune. Je ne fçai, fi vous ferez de mon fentiment, mais il me femble que c'eft delà que vient le peu de difpofition qu'on fe fent à aimer: Ceux qui y font élevez, ou même le

penchant qui nous porte à les haïr. On ne peut prefque s'empêcher de les regarder comme des ufurpateurs, qui fe font emparez avec violence des avanta ges qui devroient être poffedez en commun. C'eft une illusion, c'est une erreur, mais le cœur ne peut s'empê-cher d'y donner.

ARIS TIPE..

Il eft vrai que la prévention où nous fommes contre ceux que la fortune favorife, eft fort commune, mais elleeft fouvent bien déraifonnable & bien outrée.

CHRISANTE.

Elle va fi loin, que ceux que nous avons élevez nous-même pour le bien de la focieté dont nous faifons partie, nous deviennent moins chers dès qu'ils ne font plus nos égaux. C'eft en vain que nous faifons refléxion, qu'ils n'ont ceffe de l'être, que par un choix trèslibre de nôtre part, & tout à fait indér pendant de toute autre vite que de celle de nôtre propre avantage; cette même fortune, dont nous fommes nous mêmes les auteurs, leur tient à nôtre égard en quelque façon lieu de crime,

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