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te príe, que ma bouteille ait la préférence. Parbleu! s'écria don Cléophas, il faut avouer que ce sont d'heureux mortels que ces inquisiteurs! Je vous en réponds, reprit Asmodée; peu s'en faut que je n'envie leur sort, et de même qu'Alexandre disait un jour qu'il aurait voulu être Diogène s'il n'eût pas été Alexandre, je dirais volontiers que, si je n'étais pas diable, je voudrais être inquisiteur.

Allons, seigneur écolier, ajouta-t-il, allons présentement punir l'ingrate qui a si mal payé votre tendresse. Alors Zambullo saisit le bout da manteau d'Asmodée, qui fendit une seconde fois les airs avec lui, et alla se poser sur la maison de dona Thomasa.

Cette friponne était à table avec les quatre spadassins qui avaient poursuivi Léandro sur les gouttières. Il frémit de courroux en les voyant manger deux perdreaux et un lapin qu'il avait payés et fait porter chez la traîtresse avec quelques bouteilles de bon vin. Pour surcroît de douleur, il s'apercevait que la joie régnait dans ce repas, et jugeait, aux démonstrations de dona Thomasa, que la compagnie de ces malheureux était plus agréable que la sienne à cette scélérate. O les bourreaux! s écria-t-il d'un ton furieux : les voilà qui se régalent á mes dépens! Quelle mortification pour moi !

Je conviens, lui dit le démon, que ce spectacle n'est pas fort réjouissant pour vous ; mais, quand on fréquente les dames galantes, on doit s'attendre à ces aventures: elles sont ar

rivées mille fois en France aux abbés, aux gens de robe et aux financiers. Si j'avais une épée, reprit don Cléophas, je fondrais sur ces coquins, et troublerais leurs plaisirs. La partie ne serait pas égale, repartit le boiteux, si vous les attaquiez tout seul. Laissez-moi le soin de vous venger: j'en viendrai mieux à bout que vous. Je vais mettre la division parmi ces spa dassins en leur inspirant une fureur luxurieuse. Ils vont s'armer les uns contre les autres. Vous allez voir un beau vacarme.

A ces mots il souffla, et il sortit de sa bouche une vapeur violette qui descendit en serpentant comme un feu d'artifice, et se répandit sur la table de dona Thomasa. Aussitôt un des convives, sentant l'effet de ce souffle, s'approcha de la dame, et l'embrassa avec transport; les autres, entraînés par la force de la même vapeur, voularent lui arracher la grivoise. Chacun demande la préférence, ils se la disputent : une jalouse rage s'empare d'eux, ils en viennent aux mains, ils tirent leurs épées et commencent un rude combat. Cependant dona Thomasa pousse d'horribles cris. Tout le voisinage est bientôt en rumeur; on crie à la justice : la justice vient; elle enfonce la porte, elle entre, et trouve deux de ces bretteurs étendus sur le plancher. Elle se saisit des autres, et les mène en prison avec la courtisane. Cette malheureuse avait beau pleurer, s'arracher les cheveux et se désespérer, les gens qui la conduisaient n'en étaient pas plus touchés que Zambullo,

qui en faisait de grands éclats de rire avec Asmodée.

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Eh bien dit ce démon à l'écolier, êtes-vous content? Non, répondit don Cléophas. Pour me donner une entière satisfaction, portez-moi sur les prisons; que j'aie le plaisir d'y voir enfermer la misérable qui s'est jouée de mon amour. Je me sens pour elle plus de haine en ce moment que je n'ai jamais eu de tendresse. Je le veux bien, lui répliqua le diable; vous me trouverez toujours prêt à suivre vos volontés, quand elles seraient contraires aux miennes et à mes intérêts, pourvu que ce soit pour votre bien.

Ils volèrent tous deux sur les prisons, où bientôt arrivèrent les deux spadassins, qui furent logés dans un cachot noir. Pour Thomasa, on la mit sur la paille avec trois ou quatre autres femmes de mauvaise vie qu'on avait arrêtées le même jour, et qui devaient être transférées le lendemain au lieu destiné pour ces sortes de créatures.

Je suis présent satisfait, dit Zambullo ; j'ai goûté une pleine vengeance; ma mie Thomasa ne passera pas la nuit aussi agréablement qu'elle se l'était promis. Nous irons où il vous plaira continuer nos observations. Nous sommes ici dans un endroit propre à cela, répondit l'esprit. Il y a dans ces prisons un grand nombre de coupables et d'innocents : c'est un séjour qui sert à commencer le châtiment des uns et à purifier la vertu des autres. Il faut que je vous

montré quelques prisonniers de ces deux espèces, et que je vous dise pourquoi on les retient dans les fers.

CHAPITRE VII.

Des prisonniers.

AVANT que j'entre dans ce détail, observez un peu les guichetiers qui sont à l'entrée de ces horribles lieux. Les poètes de l'antiquité n'ont mis qu'un Cerbère à la porte de leurs enfers; il y en a ici bien davantage, comme vous voyez. Ces guichetiers sont des hommes qui ont perdu tout sentiment humain. Le plus méchant de mes confrères pourrait à peine en remplacer un. Mais je m'aperçois, ajouta-t-il, que vous considérez avec horreur ces chambres, où il n'y a pour tous meubles que des grabats: ces cachots affreux vous paraissent autant de tombeaux. Vous êtes justement étonné de la misère que vous y remarquez, et vous déplorez le sort des malheureux que la justice y retient: cependant ils ne sont pas tous également à plaindre; c'est ce que nous allons examiner.

Premièrement, il y a dans cette grande chambre, à droite, quatre hommes couchés dans ces deux mauvais lits l'un est un cabaretier accusé d'avoir empoisonné un étranger qui creva l'autre jour dans sa taverne. On pré

tend que la qualité du vin a fait mourir le défunt; l'hôte soutient que c'est la quantité, et il sera cru en justice, car l'étranger était Allemand. Et qui a raison du cabaretier ou de ses accusateurs? dit don Cléophas. La chose est problématique, répondit le diable. Il est bien vrai que le vin était frelaté; mais, ma foi, le seigneur allemand en a tant bu, que les juges peuvent en conscience remettre en liberté le cabaretier.

Le second prisonnier est un assasin de profession, un de ces scélérats qu'on appelle valientes, et qui, pour quatre ou cinq pistoles, prêtent obligeamment leur ministère à tous ceux qui veulent faire cette dépense pour se débarrasser de quelqu'un secrètement. Le troisième, un maître à danser qui s'habille comme un petit-maître, et qui a fait faire un mauvais pas à une de ses écolières. Et le quatrième, un galant qui a été surpris, la semaine passée, par la ronda, dans le temps qu'il montait, par un balcon, à l'appartement d'une femme qu'il connaît, et dont le mari est absent. Il ne tient qu'à lui de se tirer d'affaire en déclarant son commerce amoureux ; mais il aime mieux passer pour un voleur, et s'exposer à perdre la vie, que de commettre l'honneur de sa dame.

Voilà un amant bien discret! dit l'écolier. Il faut avouer que notre nation l'emporte sur les autres en fait de galanterie. Je vais parier qu'un Français, par exemple,, ne serait pas capable comme nous de se laisser pendre par discrétion. Non, je vous assure, dit le diable; il monterait

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