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de dire la même chofe d'une infinité de perfonnes? Tout ce qui donne dans le monde la qualité de grand homme, n'eft fouvent qu'un exterieur dont l'éclat les éblouit & les trompe en leur cachant les defordres de leur cœur, & les rendant fort contens d'eux-mêmes, lorfqu'ils devroient ne penfer qu'à gémir & à pleurer de leurs miferes.

VII.

de

Quoique tout manque à certaines perfonnes, elles ne laiffent pas trouver en elles affez dequoi s'élever au deffus des autres; elles reffemblent à des philofophes, qui ne pouvant rendre raifon de quelques effets de la nature, croyent en avoir affez décou vert les caufes quand ils les ont rapportées à des qualitez qu'ils appellent occultes, aimant mieux faire cette réponfe qui ne fignifie rien, que d'avouer leur ignorance. Ces perfonnes les imitent en quelque forte, lorfque ne voyant en elles-mêmes aucun fujet de s'eftimer, elles s'imaginent qu'il y a dans le fond & le fecret de leur cœur quelques qualitez cachées qui les élevent au-deffus de leurs freres, &

qui leur donnent fujet de fe préferer effectivement à eux, fans qu'elles puif fent dire, ni qu'elles fçachent pourquoi.

VIII.

L'orgueil naturel & general des hommes prend tellement avantage de toutes chofes, qu'il s'éleve même de celles qui ne font nullement eftimables, & qui ne font point à eux, ou qui leur font communes avec un grand nombre de perfonnes. Les uns fe glorifient d'être François, & les autres d'être Efpagnols, ou Anglois, ou Ak lemans; chaque nation prétend furpaffer les autres peuples: & chaque particulier prétend avoir part à ce que fa nation a de plus confiderable & de plus illuftre.

I X.

Il n'y a rien de fi vain ni qui dépende fi peu de nous & qui nous appartienne moins, que ce qu'on appelle nobleffe; elle ne fert fouvent qu'à nous rendre plus ridicules ceux qui manquent de jugement & d'efprit; elle augmente les mauvaises inclinations & infpire plus de hardieffe à faire le

mal. Comme l'on dit de certaines maladies, qu'elles fe plaifent dans le corps des riches, parce qu'elles y font traitées délicatement on peut dire que toute forte de vices se plaisent davantage dans l'ame des nobles & des grands du monde; parce qu'ils y font Hattez, autorisez & refpectez, au lieu d'être repris, châtiez & combatus, & qu'ils paffent même pour des vertus quand ils font couverts de pourpre,

& d'écarlate.

X.

Mais il n'eft pas besoin d'être d'une race fort illuftre pour fe vanter de fa nobleffe; c'eft affez pour nous donner de la fierté, que notre grand pere n'ait point payé de taille, quoiqu'il ne s'en foit peut-être exemté que par adreffe, Les petites gens fe portent autant à fe relever le plus qu'ils peuvent, & avec autant de raifon que les autres; ils ne fe tiennent pas moins glorieux de cé que leur pere,ou quelques-uns de leurs parens a fervi un comte, ou un marquis, & de ce que leur mere a été dans une grande maifon, que s'ils étoient de cette maifon, & s'ils étoient comites ou marquis eux-mêmes.

X I.

C'est une efpece de noblesse dans l'efprit des artifans, d'être nez de gens qui étoient habiles dans leur art, & cela s'étend jufqu'aux emplois les plus vils. Un ouvrier se vantera de la force ou de l'adreffe de fon pere; & il prendra autant de plaifir à en parler, qu'un grand, à compter des feigncurs parmi les ancêtres.

X II.

Rien ne paroît fi grand que la generofité d'Alexandre, qui faifoit gloire de s'expofer à la mort pour conquerir des royaumes. On loue encore tous les jours ce prince dans les harangues publiques : & un roy se tient affez Joué quand on le compare à ce heros; mais dans la verité on peut dire, qu'une infinité de soldats qui reçoivent de fang froid un coup de moufquet plûtôt que de fortir du pofte où on les a placez; qui font toujours prêts à mettre le feu à la porte d'une ville affiégée, qui s'approchent des murailles pour y jetter des grenades, ont à

peu près au

tant

tant de fujet de fe vanter qu'Alexandre le Grand; & y aïant pour le moins autant de peril, de courage & de hardieffe dans leurs actions que dans celles de ce prince, ils ne meritent pas moins de gloire & de louange que lui. On rapporte d'un foldat Suiffe, que comme il marchoit fur le pont de Neuilly,fon capitaine s'arrêtant tout à coup, & baillant fa pique, lui tira un ail hors de fa place; quelque douleur que ce foldat en reffentît, il ne quitta point fon rang; mais fans s'étonner il acheva d'arracher fon œil, il le jetta dans l'eau, & avec fon mouchoir, il étancha le fang comme il put, fans que perfonne s'en apperçût qu'après qu'on fût arrivé à Saint-Germain.Peu de gens fe pourroient vanter d'une auffi grande action que celle de ce Suiffe, & cependant il y a apparence que c'étoit un homme fort groffier, qui paffoit à fumer, à boire & à dormir tout le temps qu'il n'étoit point fous les armes.

XIII.

Les hommes regardent comme une grande chofe d'être Roi de la Chine: & cette idée les empêche de trouver Tome II.

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