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étrange qu'un de ces rois fe voyant près d'être dépouillé d'une fi haute dignité par fon ennemi, aima mieux fe donner la mort que de furvivre à fon malheur; mais il y a mille chofes que notre paffion nous fait autant & quelquefois plus eftimer, que les rois n'eftiment leur royaume, & dont la perte nous caufe autant, ou plus de douleur. Il eft bon d'accoûtumer les hommes qui fe glorifient de certaines actions, à en confiderer d'autres dont ils ont un extrême mépris; & leur montrer que ce qu'ils eftiment le plus, ne vaut pas mieux que ce qu'ils jugent eux-mêmes, très-méprifable.

XIV.

Entre les diverfes chofes qui paroiffent fort éloignées les unes des autres il n'y en a point qui fe rencontrent fi fouvent enfemble que l'orgueil & la baffeffe: parce que les hommes font vains & fuperbes, rien ne leur eft fi ordinaire que de fe vanter; & parce que le peché leur a ôté tout ce qu'ilsavoient de grand, ils fe vantent de tout ce qu'ils ont, & de tout ce qu'ils font,quelque méprifable que cela foit: leur orgueil les porte jufqu'à fe glori

fier de ce qui leur eft commun avec les bêtes, comme de courir bien vîte, de fauter & de nager. Ils fe glorifient même de leurs vices & de leurs defordres, comme d'avoir bû & mangé avec excès ; d'avoir trompé de certaines perfonnes & d'en avoir maltraité d'autres. Enfin, quoiqué les hommes ne foient que trop ridicules en eux-mêmes, par le malheureux état où le peché les a réduits, ils feignent fouvent d'avoir fait des chofes encore plus ridicules, pour avoir la fatisfaction de

s'en vanter.

Ne leur perfuadera-t-on jamais de ne fe glorifier de rien,après avoir confideré ce que la foi & la raison même leur apprend,qu'il eft injufte de fe glorifier des bonnes chofes qui ne font pas à nous, mais à Dieu; que c'eft une extravagance de fe glorifier de celles qui ne font dignes que de confufion; & que les grands n'ayant d'eux-mê-. mes, comme le refte des hommes, que le peché & le menfonge, ils ne fe doivent aucunement en cela préferer aux

autres.

X V.

Notre orgueil n'eft pas ordinaire

ment aflez aveugle pour nous faire croire que nous avons de certaines qualitez, que tout le monde voit que nous n'avons pas. Comme une telle

perfuafion ne ferviroit qu'à nous rabaiffer,en nous rendant ridicules, nous n'avons pas de peine à nous en défendre; mais nous fommes tentez de diminuer le prix & l'excellence de ces qualitez,afin qu'on ne nous en eftime pas moins, pour ne les point avoir. Une perfonne, par exemple, qui n'a appris ni le latin, ni le grec, ni les mathematiques, ne fe vantera pas qu'il eft plus habile dans ces fciences que ceux qui y ont confumé toute leur vie; mais afin que fon ignorance ne le rende pas moins eftimable qu'eux, il rabattra le plus qu'il pourra de l'avantage qu'elles leur donnent fur lui, & peut, il les réduira à rien.

s'il

XVI.

Lorfque l'on eft plein de la bonne opinion de foy-même, & que pour s'eftimer autant qu'un autre, il n'en coûte que de fe perfuader qu'on a autant d'efprit que lui, on fe porte facilement à le fuppofer. Un homme fup

pofoit très-fauffement qu'il avoit autant d'intelligence que les plus habiles gens de notre fiecle, & concluoit de-là, qu'il pourroit écrire auffi-bien qu'eux; & en effet, il s'en tenoit si affuré, qu'après avoir fait un méchant libelle, il ne craignoit point de le préferer à tous les écrits du temps.

XVII.

Il eft vrai que l'orgueil de cette perfonne avoit quelque chofe de fort groffier; car pour l'ordinaire quand on auroit les mêmes fentimens, on les diffimule,& on les cache; parce que pour peu que l'on ait de prudence, on s'apperçoit aifément que le plus mauvais moyen de perfuader qu'on eft habile c'eft de le dire, ou de témoigner qu'on en eft perfuadé foy-même. Les plus adroits fe réduifent donc à tâcher de le faire dire aux autres, & ils expofent leurs ouvrages au public dans cette vûe; fi on loue leurs livres, ils fe réjouiffent de ce que le monde eft raifonnable; & fi au contraire on les méprife, ils fe plaignent interieurement de l'injuftice ou de l'aveuglement des hommes, fans que le jugement defa

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vantageux du public diminue rien de celui qu'ils font à leur avantage.

XVIII.

Quoique cette derniere cfpece d'orgueil foit affez commune, elle n'est pas néanmoins des plus dangereufes & on peut être fort orgueilleux fans l'être en cette maniere: car pour peu qu'on ait de jugement, de raifon & d'équité en lifant les écrits des autres, on apprend à fe connoître foy-même; & fi on croit encore avoir beaucoup d'efprit, on voit bien qu'on n'en a pas affez pour de grands ouvrages, quand on ne fe trouve pas capable d'y réuffir. C'est ce que j'éprouve moy-même, puifque quelque grand que foit mon orgueil, il ne m'empêche pas de reconnoître que je fuis très-incapable de faire des livres femblables à ceux que je lis tous les jours; & que je n'ay ni autant de facilité à m'expliquer, ni autant d'invention, d'art, de force & d'autres bonnes qualitez que j'en remarque dans les auteurs de ces livres. La vue de mon impuiffance me contraint d'avouer qu'ils me furpaffent en ces chofes : & l'extrême difpropor

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