Imágenes de páginas
PDF
EPUB

tion

que

je reffens entre ce qu'ils font & ce que je puis faire, ne fouffre pas que j'aye la moindre penfée de m'égaler à eux.

X I X.

Mais en cela, je n'ay rien qui ne me foit commun avec un grand nombre de perfonnes. Tous ceux qui ont appris par leur propre experience, que quelques efforts qu'ils faffent, ils ne forment que des penfées très-baffes & très-foibles; qu'ils ont beaucoup de peine à s'exprimer; qu'ils ne s'expriment qu'avec confusion & defordre ; que leur memoire ne leur fournit prefque rien; que leur imagination ne conçoit rien vivement; que leur efprit fe laffe & fe brouille dans les moindres difficultez. Ceux, dis-je, qui fe fentent en cet état, font contraints de l'avouer: & ainfi le fentiment de leur foibleffe réprime quelquefois leur orgueil, mais il en refte toûjours en eux qu'ils ne connoiffent pas affez; & com, me il n'y a prefque perfonne qui ne croye être quelque chofe, l'orgueil général & commun de tous les hommes rentre ici dans fes droits.

X X.

Si nous étions raifonnables, il suffiroit pour abattre entierement notre vanité, & pour nous humilier en toute chofe, de confiderer combien font épaiffes les tenebres qui nous environnent; & combien notre confcience nous reproche de fautes qui nous devroient remplir de confufion. Il faudroit tenir nos yeux toûjours arrêtez fur nos miferes, fur nos pechez & fur nos foiblesses, afin de les regarder dans la lumiere de Dieu, & de nous en occuper continuellement; mais quoiqu'elles foient fi manifeftes, que nous ne pouvons pas nous empêcher de les reconnoître. Cette vûe nous humiliant & nous mortifiant plus que nous ne voudrions, nous en détournons bien-tôt les yeux, & nous les jettons avec beaucoup de malignité fur le prochain, pour chercher dans fa conduite quelque défaut qui nous donne lieu de nous préferer à lui. Nous nous portons même à cenfurer principalement ceux qui incommodent le plus notre orgueil, en ce que leurs talens. les élevent beaucoup au- deffus de

nous; & que nous fommes tous de l'humeur de ce bourgeois d'Athênes, qui croyoit avoir droit de condamner Periclés à l'exil, à caufe de la peine que lui faifoit la réputation & l'éclat de la vertu d'un fi grand homme.

XXI.

Saint Augustin remarque, que tout orgueilleux eft envieux & jaloux ; cependant comme il n'y a rien de fi bas, ni de fi honteux que ce vice, tout fuperbe aprehende extrémement d'y paroître fujet; mais fi la vertu des autres nous fait de la peine, c'eft une marque certaine que notre ame est atteinte de cette maladie de l'orgueil,& qu'elle paroît encore plus manifeftement en nous, lorfqu'étant convaincus par le fentiment & l'experience de nos foibleffes, que nous fommes beaucoup au - deffous de certaines perfonnes, nous faifons d'autant plus d'effort pour les rabaiffer, jufqu'à les traiter en quelque maniere comme s'ils étoient nos ennemis, quoiqu'ils ne nous ayent point fait d'autre mal, que celui d'ètre plus eftimez que nous.

[ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small]

XXII.

Ainfi au lieu que nous fupportons facilement les défauts des gens du commun, fans leur en faire de grands reproches ; que nous n'affectons point d'en parler, & que les regardant comme les fuites neceffaires de la foibleffe humaine, nous en avons compaffion; nous montons comme fur une monta

gne d'orgueil, pour y découvrir quelques taches dans les perfonnes de réputation; nous les envifageons dans toute leur étendue; nous en examinons toutes les caufes & tous les effets; nous en tirons des confequences à leur defavantage; nous diffimulons tout ce qui ferviroit à les excufer; nous prenons plaifir à les publier & à y donner l'air le plus malin qu'il nous eft poffible; & nous nous vengeons ainfi de la peine que leur réputation nous fait.

179

DES

DIFFERENS LANGAGES

DES HOMMES.

N voit tout les jours des perfonnes, qui vivent dans une même maifon fuivent les mêmes exercices, & qui d'ailleurs font à Dieu,& fans interêt,qui ne peuvent pourtant demeurer long-temps enfemble, fans quelque forte de divifion, & fans fe faire beaucoup de peine les uns aux autres. Ils ont quitté le monde, & tous les embarras qui pourroient troubler leur repos; ils n'ont prefque qu'une feule chose à faire dans la folitude, qui eft de fe fupporter mutuellement, & ils ne le peuvent qu'avec de grandes difficultez. On ne fauroit douter qu'ils n'ayent quelque charité, mais elle eft encore bien imparfaite, quand elle n'éteint pas dans leur cœur les femences de division, que l'homme ennemi jette par toute la terre, & qui croissent insensiblement avec le bon grain,

« AnteriorContinuar »