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Il ne faut pas neanmoins s'étonner de la foibleffe humaine, quelque grande qu'elle foit. C'eft affez d'être homme pour être capable de toute forte de miferes; & il n'y a point de condition ni de vertu qui nous en exemte entie

rement.

Il eft de l'humilité chrétienne de nous connoître tels que nous fommes de confiderer nos maux, avec les caufes qui les produifent,& d'en chercher plûtôt les remedes, que de nous en inquieter inutilement.

Une des plus ordinaires fources de divifion entre les hommes, eft qu'ils ne s'entendent pas bien les uns les autres; prefque tous leurs differends & toutes leurs querelles font fondées fur de fauffes explications qu'ils donnent aux paroles & aux actions de leurs freres, dont ils ne s'éclairciffent jamais ils fe portent facilement à leur attribuer de mauvaises intentions > quelque vertueux qu'ils foient: on s'attache même à fes conjectures & à fes foupçons, comme à des veritez infaillibles; & on aime mieux condamner tout le monde, que fes propres imagi

nations.

Ainfi nous fommes femblables à ceux

qui avoient entrepris de bâtir la tour Babylone,puifque nous ne nous entendons point les uns les autres, comme ils ne s'entendoient pas eux-inêmes; mais il y a cette difference, que la confufion des langues étoit neceffaire pour empêcher qu'ils n'achevasfent l'ouvrage qu'ils avoient entrepris contre les ordres de Dieu: au lieu que les differens langages dont il s'agit dans ce difcours, retardent la conftruction de la celefte Jerufalem, & l'ouvrage de notre falut, à quoi les ordres de Dieu nous obligent de travailler, & qui ne fe peut faire dans la paix,

que

que par un peuple qui n'ait qu'un même efprit, qu'un même cœur & qu'un même langage. C'eft un effet de la providence qu'il y ait de la difference entre les vifages des hommes; mais c'eft un effet du peché, qui a effacé en nous l'image de Dieu,& qui nous a éloignez de fon unité, que nos difpofitions interieures foient encore plus differen

tes.

Il n'y a point d'homme qui n'ait des paffions, des vices, des ignorances, des opinions, des bizarreries particulieres: & ce qui eft plus déplorable, c'eft que toutes nos idées & nos con

f

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ceptions reçoivent l'impreffion de ces mauvaifes qualitez qui font en nous. Elles en font penetrées : & comme chacun a fa maniere de concevoir, on fe fait auffi un langage qui y eft proportionné, que perfonne n'entend que nous; comme nous n'entendons point celui des autres.

Nous fommes encore femblables à ceux qui regardent à travers d'un verre jaune ou bleu ; ils voyent tout, de la couleur qu'ils ont devant les yeux, quoique cette diverfité de couleurs ne foit qu'une fuite de la differente difpofition des parties du verre,& qu'elle ne foit pas dans les objets qu'ils regardent. La difference qu'il y a, c'eft que ce verre étant visible, ils favent qu'il eft devant leurs yeux, & ils l'ôtent quand il leur plaît; mais nos paffions qui viennent de la corruption de notre cœur font invifibles & fi fort attachées à notre ame, que nous ne pouvons les en feparer par nos propras forces. Elles nous cachent à nous-mêmes tout ce que nous fommes,& elles nous font paroître nos freres tout autres qu'ils ne font. C'eft cependant fur cés fauffes vûes & fur ces fauffes illufions, que nous ofons les condamner

pendant que nous nous juftifions nous-mêmes; & qu'au lieu que nous fommes toûjours contens de nous, nous ne le fommes prefque jamais des

autres.

C'eft ainfi que nos difpofitions interieures gâtent tout, quand elles font mauvaifes. Il arrive fouvent qu'une fauffe prudence, un mauvais raifonnement, un rafinement hors de propos, une conjecture mal fondée, un foupçon, une pure fantaisie, un rapport fait avec malignité, une parole dite par hazard & fans deffein, un mot que l'on entend de travers, donnent mille penfées fur les actions & fur les paroles de nos amis, forment mille nuages dans l'efprit, & rempliffent le cœur d'amertume & d'inquietude. Nous nous imaginons qu'ils nous déguifent leurs fentimens, quand ils font tout ce qu'ils peuvent pour nous les faire découvrir: nous prenons fujet de nous défier d'eux, lors même qu'ils fe portent le plus à nous obliger: leur froideur & leur chaleur nous fcandalifent également; nous ne pouvons fupporter qu'ils paroiffent indifferens à notre égard, & s'ils ne fe conduifent d'une maniere qui foit conforme à no

que

tre goût, nous croyons qu'il n'y a de la diffimulation & de l'adreffe dans tout ce qu'ils témoignent de leurs fentimens. Nous nous plaignons de la liberté qu'ils prennent, & puis nous nous plaignons de ce qu'ils n'en prennent pas affez; de ce qu'ils ne nous employoient point, où de ce qu'ils nous employoient trop. Nous interpretons les chofes les plus innocentes à notre defavantage. Quand nous fommes perfuadez qu'on manque d'amitié pour nous, qu'on nous méprife & qu'on fe laffe de nous fupporter, on ne fauroit rien faire qui nous contente.Nous croyons que toutes les paroles & les actions de nos freres font les marques de leur peu de charité; enfin lorfque notre efprit est bleffé à leur égard, quoique fans fujet, nous ne manquons point de trouver que nous avons raison d'être mal fatisfaits de leur conduite. Il faut avouer qu'il y a bien des petiteffes dans l'ame des hommes: ils font femblables à de petits enfans, qui ne fachant pas bien,ou ne pouvant expliquer ce qu'ils veulent,s'irritent contre leur nourrice, de ce qu'elles ne fatisfont pas à des defirs qu'elles ne peuvent comprendre,

&

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