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& fe fâchent même de la peine qu'elles prennent pour les contenter. Enfin on ne fauroit dire combien les hommes

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font peu raifonnables: la plûpart ont l'efprit fi mal tourné, qu'on ne peut rien faire qui leur plaife on croit quelquefois qu'ils defirent beaucoup ce qu'ils nous demandent, lorsqu'ils le demandent avec empreffement; & neanmoins, quelque diligence qu'on y apporte, quand on tâche de les fatisfaire, ils fe fâchent de cela même parce qu'ils ont déja changé d'avis. Ils veulent que nous devinions leurs intentions lorsqu'ils ne les favent pas eux-mêmes; & quoique cela foit impoffible, fi neanmoins nous ne le faifons pas, ils interpretent en mauvais fens, nos actions & nos paroles.

Mais il ne faut pas accufer les autres, fans reconnoître en même temps qu'on leur eft femblable. Quelque effort que faffent nos amis pour ne nous dire que des chofes raisonnables, ils ne laiffent pas quelquefois de nous bleffer: l'oreille de notre cœur est souvent pleine de paffions,qui changent le fens de leurs paroles. La jaloufie & la malignité qui dominent.dans notre ame, trouvent à redire à tout.Notre orgueil Tome II. е

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ne fauroit fupporter aucun langage que celui qui nous flate, encore faut-il qu'on nous flate avec adreffe & fans en rien faire paroître; car notre délicateffe eft toûjours en colere contre la verité & n'en fauroit fupporter la force.

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Comment fe peut-il faire qu'on entende le langage de fes freres, quand on s'imagine qu'ils ne nous parlent pas fincerement, que leurs paroles ne s'accordent point avec leurs pensées, & qu'ils veulent dire toute autre chofe, que ce qu'ils difent en effet ?

Celui qui eft en cette difpofition, doit faire réflexion fur foy-même ; & confiderer que ces impreffions pouvant plus facilement venir de la duplicité de fon cœur, que de celle de fon prochain,il eft bien plus raisonnable & plus naturel qu'il s'en accufe lui-même,que d'en accufer les autres; puifque le jufte dans ces occafions ne perd rien à fe croire coupable, au lieu qu'il n'est plus jufte, s'il accuse injustement une perfonne innocente. Celui qui defcend une riviere, s'il n'a les yeux que fur la terre, s'imagine que les maifons, les forêts, les montagnes s'approchent & fe retirent de lui; mais

pour fe détromper, il n'a qu'à remarquer le mouvement du batteau qui caufe toutes ces apparences, & il fortira de fon erreur.

C'est ce qui arrive quand nous avons tellement les yeux arrêtez fur les autres, que nous nous oublions nousmêmes; nous croyons que tous les mouvemens qui ne font que dans notre cœur, font effectivement en eux ; & nous les rendons coupables des fautes que nous feuls commettons; mais pour nous defabufer, nous n'avons qu'à rentrer dans notre cœur, à confiderer ce qui s'y passe, à remarquer ses diverfes agitations; & nous trouverons que ce que nous penfions voir dans les autres, n'eft veritablement qu'en nous.

On n'accufe prefque jamais fes freres de duplicité, que parce qu'on en a beaucoup foy-même; il faut être diffimulé pour croire que les autres le font: & fi on ne manquoit point de charité, on ne fe perfuaderoit pas aifément qu'ils en manquent à notre égard; on ne s'irriteroit pas en tant de rencontres, où il n'y a pas fujet de s'irriter; on croiroit fimplement ce qu'ils difent, fans donner lieu à des foup

çons; on excuferoit avec l'adreffe de la charité tout ce qui pourroit recevoir quelque excufe, & on fupporteroit avec patience & humilité ce qui feroit entierement inexcufable. Afin neanmoins de ne fe pas laiffer furprendre aux apparences de ces deux vertus,il eft bon de confiderer que rien n'eft fi commun parmi les hommes, que d'avouer qu'il faut fouffrir avec patience,mais qu'on abuse auffi de cette maxime:car il arrive fouvent que fur le faux foupçon que nos freres nous font injuftice, nous leur en faifons nous-mêmes de très-grandes, en les condamnant fans raifon; puifque nous prétendons être patiens dans des maux que nous nous faifons nous-mêmes, fans que les autres y ayent aucune part, & nous imputons à leur dureté toutes les peines que nous fouffrons, quoiqu'elles ne viennent que du déreglement de notre efprit.

pa

Il faut renoncer à cette forte de tience, qui étant toute corrompue & l'effet de notre malignité, ne ferviroit qu'à irriter Dieu contre ceux qui oferoient en faire un facrifice; car il n'eft pas un Dieu d'iniquité, pour s'appaides hofties fi impures, & il les

fer

par

rejette de devant fes yeux. Pour guerir ces fortes de peines, il n'eft pas befoin de patience; il ne faut que corriger notre déreglement, & il fe trouvera que nous n'aurons plus rien à fouffrir.

Il y a auffi une fauffe humilité, qui est un vrai rafinement d'orgueil. Lorfque cette paffion vit en nous, elle nous rend très-infenfibles, non feulement aux injures veritables,mais encore aux moindres apparences d'injures, quelques fauffes qu'elles foient; nous croyons aifément qu'on nous méprife; nous obfervons les paroles & les moindres geftes; & s'ils ne font pas comme nous les defirons, nous nous en plaignons. Cependant pour paroître auffi vertueux que nos freres nous paroiffent imparfaits, quoique nous n'en jugions ainfi, qu'à caufe que nous n'entendons pas leur langage; nous difons qu'il faut s'humilier, fouffrir ces rabaiffemens à l'imitation de Jefus-Chrift & endurer comme lui, qu'on nous foule aux pieds.

Ne nous trompons pas, cette prétendue humilité n'eft qu'une pure illufion. Celui qui eft veritablement humble, eft humble fans qu'il s'en apper

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