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çoive, & il fouffre le mépris, fans juger qu'on le méprife; parce que l'orgueil qui feul nous en donne le fentiment, eft éteint & mort en lui; tout ce que lui peuvent faire les hommes pour le rabaiffer, fe réduisant à le mettre au dernier lieu ;il trouve fa fureté & fes délices, dans un état où les fuperbes ne trouvent que la plus grande de toutes les miferes.

Nous ne devons donc pas être difficiles, ni délicats envers nos amis; mais tenir une telle conduite à leur égard, qu'ils n'y trouvent aucun fujet de défiance, ni ne fe croyent point obligez de fe contraindre avec nous. Il faut que la charité foit libre: & celui qui fait qu'il nous aime, a droit de nous oublier quelquefois; nous devons fouffrir fa negligence, fes rebuts, fon indifference & fa froideur, fans y avoir égard, ou fans lui en faire que des reproches agreables, & fans le foupçonner d'aucune infidelité. Ce feroit être de mauvaife humeur de fe plaindre s'il nous manque en de petites occafions; il faut plûtôt attribuer cela à la bonne opinion qu'il a de nous, qui l'empêche de s'obferver à notre égard: fon cœur alors nous doit fuffire, & nous

fommes obligez de le croire toûjours prêt à nous donner des marques de fon affection, dans les rencontres importantes, fans qu'il ait befoin de nous en affurer. Aimons notre prochain & permettons - lui de faire tout ce qui lui plaira; fi nous fommes bien difpofez il ne pourra plus nous offenfer, parce que nous prendrons en bonne part toutes les actions & fes paroles; & quand même il nous blefferoit, nous trouverons fes plaies utiles & avantageufes.

Ces réflexions & ces remarques font affez voir, que ce qui nous empêche fouvent d'entendre le langage des autres,& qui nous le fait expliquer trèsmal, c'eft principalement la mauvaise difpofition de notre cœur. Mais il y a encore une autre caufe de ce defordre, qui n'eft pas fi criminelle, ni fi mauvaise; c'est que nous ne prenons pas garde que les hommes ont autant d'idiomes & de langages differens,que de differentes humeurs; & que les mêmes paroles, ou les mêmes actions n'ont pas le même fens, ni la même fignification dans toute forte de perfonnes.

Nous appercevons bien quelque cho

fe de cette diverfité,dans celle des conditions & des usages qui en dépendent. Nous n'attendons pas d'un prince les mêmes honnêtetez, que d'un particulier; & nous croirions qu'un grand feigneur fe moqueroit de nous, s'il nous difoit, qu'il eft notre humble ferviteur. Lorfqu'une perfonne qui nous eft à peu près égale, nous tient ce langage, nous le recevons comme une civilité ordinaire; mais lorfqu'un homme de neant nous tient ce même langage, nous ne croyons pas en devoir faire aucune confideration; ce font bien les mêmes paroles, mais nous favons qu'elles fignifient autre chofe dans la bouche d'une perfonne de grande qualité, que dans celle d'u ne perfonne de baffe condition.

Quelque grande que foit cette diverfité dé conditions, elle n'est qu'exterieure & fujete aux changemens: un Roi peut devenir particulier, & un particulier peut être élevé fur le trône, comme un grand feigneur peut fe trouver réduit à l'état d'efclave: & nous avons affez d'exemples de perfonnes de baffe condition, qui ne font que trop élevées.

il y a d'autres differences beaucoup

plus

plus importantes & plus confiderables entre les hommes, parce qu'elles viennent des diverfes difpofitions de leurs ames. Rien ne tient fi fort à notre cœur, que nos inclinations & nos humeurs:& comme elles rendent les langages auffi differens que les hommes, nous tomberons dans de continuelles équivoques, fi nous prenons dans le même fens les difcours de ceux qui ont differentes humeurs & differentes inclinations.

On connoît, par exemple, des perfonnes fort ardentes & toutes pleines de feu, qui ne louent, ni ne blâment jamais rien qu'avec beaucoup d'exageration & de force. Lorfque ces perfonnes donnent des louanges exceffives à quelqu'un, fi on entend bien leur langage, on en conclura feulement qu'ils approuvent fa conduite; & lorfqu'ils ne lui donnent qu'une louange mediocre, on en conclura qu'ils ne l'eftiment point du tout.

Comme il fe trouve au contraire des perfonnes extrêmement froides, & qui font fort difficilement émues, on fe tromperoit beaucoup, fi on en attendoit de grands éloges: & il fuffit qu'ils témoignent approuver la conTome II.

R

duite de quelqu'un, pour nous donner lieu de juger qu'ils en font une grande eftime.

Si des gens d'une humeur libre en traitent quelqu'un de ridicule, pour la moindre méprise qui lui arriveroit, pendant que d'ailleurs ils lui confient leurs fecrets; il ne doit pas croire qu'ils le veuillent offenfer, mais feulement qu'ils veulent dire qu'il fe trompe.

Que fi un ami mélancolique, retiré & folitaire, ne rend point de vifite, rompra-t-on avec lui pour cela; ou fera-t-on bleffé de la conduite qu'il tient? Et ne jugera-t-on pas plûtôt que s'il n'avoit beaucoup d'amitié pour nous, il ne nous recevroit pas en fa maifon, ni ne nous traiteroit pas aussi honnêtement qu'il fait ?

Mais puifque les langages des hommes font fi differens, quel moyen y at-il de vivre avec eux, & de les entendre dans les converfations ordinaires ? Faut-il donc étudier toutes leurs diverses humeurs? Et les mêmes perfonnes n'étant pas long-temps dans une même difpofition; comment fe tirerat-on d'un fi grand embarras & d'une confufion fi étrange? Je ne vois pas qu'on puiffe y apporter d'autre reme

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