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I V.

Mais quand plufieurs perfonnes de pieté fon prévenues d'une même erreur, & qu'ils fe croyent obligez en confcience d'en perfuader les autres, leur conversation devient alors le piege du monde le plus dangereux : car l'opinion qu'on a de leur vertu, les bonnes œuvres qu'on leur voit faire, les marques de leur charité & de leur defintereffement, donnent d'une part beaucoup de poids à leurs difcours: & d'une autre part, s'ils croyent que les regles de la pieté les engagent à faire paffer quelqu'un pour auffi méchant qu'ils l'eftiment, ils le décrient avec tant de force, qu'il n'y a prefque pas moyen d'y réfifter: de forte qu'on peut dire, qu'il n'y a point de calomniateurs fi dangereux que les devots qui étant dans l'aveuglement ou dans l'ignorance, mettent leur devotion à médire de ceux qu'ils ne connoiffent pas. Leur zele aveuglé les anime contre les ferviteurs de Dieu, comme celui des Juifs les animoit contre JefusChrift. Ils ne favent ce qu'ils font, non plus que les ennemis de notre fauveur,

mais ils ne laiffent pas d'entraîner dans leurs fentimens beaucoup de perfonnes, que leur vie d'ailleurs irreprochable, trompe au préjudice des-gens-de bien.

V.

De-là vient que quand un grand nombre de perfonnes eftimées, confpire à noircir la réputation de quelqu'un, il faut néceffairement qu'il fuccombe à la calomnie qui croît de plus en plus, & qui prend toujours de nouvelles forces. On n'examine point quel eft le fondement du bruit qui s'est répandu : chacun s'en rapporte aux autres, & prétend avoir droit de former fon opinion fur la leur, ou de tenir les mêmes difcours.

Cela fait, qu'il eft impoffible de remedier aux abus qui font embrassez ou maintenus par de grandes communautez, parce qu'on ne fçauroit entreprendre de les combattre fans exciter contre foy d'horribles tempêtes, ni fans s'expofer à être décrié, & à devenir l'objet de la haine de tout le monde.

V I.

Nul ne doit fe croire exemt de cette corruption, où l'on est d'autant plus en danger de tomber, qu'on s'en eftime moins capable, & qu'on fe défie moins de fa foibleffe. Il fuffit pour cela d'être trop crédule, ou de donner trop de créance à un grand nombre de gens-de-bien, de fe laiffer tromper à l'apparence de la verité, & de la prendre pour la verité même.

Mais afin d'éviter un piege fi dangereux, il eft bon de confiderer ce qui eft arrivé aux plus grands faints de l'Eglife fur le fujet d'Origene, de faint Chryfoftome, & de plufieurs autres ; & avec quelle animofité de grands perfonnages fe font traitez les uns les autres d'heretiques, de fchifmatiques & d'apoftats pendant des fiécles entiers, fans qu'on ait pû reconnoître la verité de plufieurs faits, que longtems après.

VII.

Que fi des perfonnes d'ailleurs éclairées & faintes fe trompent quelquefois fur des matieres & des affaires pu

bliques, dont ils pourroient prendre une plus grande & plus affurée connoiffance, & dont il ne faudroit jamais parler fans en avoir des preuves certaines; qui doute que des gens-debien ne faffent beaucoup de fautes dans leurs converfations ordinaires, en débitant des faits entierement faux, dont ils font malheureusement perfuadez; & que ceux qui les entendent ne faffent encore beaucoup de fautes en les croyant trop legerement, ou avec trop d'attache: Nous rencontrons à tout moment tant de chofes capables de nous tromper, qu'il n'y a prefque pas moyen de les éviter toutes; & même la trop grande précaution dont nous uferions pour nous en garantir, nous engageroit quelquefois dans l'erreur. Si nous fommes fort crédules, nous recevrons beaucoup de fauffetez; & fi nous nous rendons fort difficiles, nous nous priverons nous-mêmes de plufieurs veritez qui peuvent être importantes à notre falut. Lorfque nous foupçonnons trop aifément de menfonges des gens de-bien, nous leur faifons injuftice; & lorfque nous entrons dans les fentimens qu'ils ont au defavantage des autres, nous nous mettons

en danger de faire des jugemens té

meraires.

,

VIII.

On ne fçauroit exprimer combien if fe répand d'erreurs & de fauffetez dans le monde, ni combien elles font faire de fautes dans les converfations ordinaires des hommes: il faut pourtant en marquer quelques-unes, avec les principes & les fources d'où elles naiffent, afin de les éviter autant qu'il fera poffible. Les peuples entiers fe perfuadent aifément les chofes qui leur font avantageufes, & s'efforcent de les autorifer, fans examiner fi elles font veritables. Comme les Efpagnols croyent que c'est une gloire à leur nation d'avoir eu faint Jâques pour apôtre, & de poffeder encore fes reliques ils tiennent l'un & l'autre fait pour indubitable, fans avoir égard aux preuves contraires de l'hiftoire ; & ils tâchent de l'autorifer par une devotion à laquelle on ne fçauroit refuser de fe rendre fans paffer chez eux pour impie. Quoique les Provençaux ayent veritablement plufieurs reliques de faints, ils s'attachent particulierement à celles qu'ils n'ont pas ; & relevent

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