Imágenes de páginas
PDF
EPUB

beaucoup la devotion de la fainte Baume, fur ce qu'ils prétendent y poffeder le corps de fainte Marie Madeleine.

I X.

Mais il n'y a point de preuve plus évidente de l'ardeur avec laquelle nous embraffons les plus grandes fauffetez, quand elles nous font avantageufes que ce qui eft arrivé dans le neuviéme fiécle de l'Eglife. Tout le monde fçait qu'il plut alors à un nommé Ifidore, d'attribuer aux anciens papes, des lettres qui paroiffoient manifeftement forgées par un impofteur; cependant elles furent adoptées de ceux dont elles favorifoient les prétentions; & ils les ont maintenues enfuite avec tant de

force, que dans les fiécles passez c'eût été chez eux une marque d'herefie d'en douter; quoique maintenant c'est la marque d'une ignorance groffiere, de ne les pas eftimer entierement fauffes.

X.

Les particuliers fe rendroient ridicules, s'ils prétendoient ne fe tromper jamais, pendant que les peuples en

tiers, de grandes églifes & des communautez celebres fe trompent fi confiderablement ; & que cette experience oblige tous les hommes de fe reconnoître fujets au même malheur. Chacun a fon amour propre, des interêts particuliers, de mauvaises humeurs, des paffions, des travers d'efprit des emportemens, des foibleffes, des vûes bizarres, de faux raifonnemens, des attaches & des averfions fecrettes: ces chofes dont perfonne ne doit prétendre être exemt, font autant de fources d'erreurs; & elles font cependant le fujet de prefque tous les entretiens des hommes.

X I.

[ocr errors]

Une mere qui aime fon enfant avec paffion, n'en voit point les défauts. Or les hommes s'aiment ordinairement plus que les meres les plus paffionnées n'aiment leurs enfans: c'eft pourquoi ils ont tant de peine à fouffrir les réprehenfions, & à avouer ce qu'on leur reproche. Ils font mêmes fi attachez à certaines opinions, qu'ils en font gloire dans leurs entretiens, & qu'ils tâchent de perfuader à tout le mon

de, qu'il n'y a rien de plus vrai, ni de plus folide.

Si une perfonne de lettres fe met dans la tête quelque faux fyftême, il en parlera continuellement; & quelque extravagante que foit fa pensée; il la publiera comme un chef-d'œuvre de fon efprit. Le même amour propre qui l'y porte, fait fouvent fait fouvent que dans d'autres fortes d'emplois chacun fe forme des fentimens felon fon humeur, ou felon fon interêt; qu'il y demeure attaché, & qu'il regarde comme des aveugles tous ceux qui n'y entrent point.

Nous fommes encore dans une femblable disposition au regard de notre confcience. Au lieu de nous fervir des avis qu'on nous donne, & de nous rendre aux regles communes, nous nous arrêtons à celles que nous nous faifons nous-mêmes; nous croyons que tout le monde doit fuivre notre inclination, & nous allons jufqu'à prétendre que nos fuperieurs font obligez d'apprendre de nous, quelle conduite ils doivent tenir à notre égard.

XII.

Voilà les fujets des difcours des home

mes, quand ils s'entretiennent les uns les autres, & quand ils parlent d'euxmêmes. Or ils en parlent fouvent, parce qu'ils s'aiment beaucoup, & ce qui les regarde fe préfente plus aifément à leur efprit que toute autre chofe. Comme ils ne doutent prefque jamais qu'ils n'ayent raifon, & comme leur paffion leur fait prendre tous les biais & tous les tours capables d'infpirer leurs mauvais fentimens aux autres, ils les y engagent fouvent ; & c'eft là le fruit ordinaire de leurs converfations.

C'eft auffi ce qui fait que les amis qui en ont de fréquentes enfemble, fe communiquent mutuellement leurs fauffes maximes, leurs humeurs les plus bizarres & leurs autres défauts, ou au moins ceux qui ne paffent point pour défauts dans leur efprit. Comme un mauvais maître de philofophie, qui ne débite que des faufferez, ne laiffe pas de les perfuader à fes difciples; ainfi les imparfaits, quand ils font amis, fe trompent ordinairement les uns les autres, & leurs amitiez devient une focieté des mêmes erreurs, des mêmes égaremens, & fouvent des mêmes pechez.

XIII.

Notre amour propre nous infpire encore de fauffes opinions de notre prochain, felon nos differens interêts: il nous prévient en faveur de nos amis, de nos parens, de ceux qui font de même humeur que nous, ou de qui nous attendons quelque avantage. Nous ne voyons prefque jamais les défauts de ces perfonnes, mais nous les excufons & nous les juftifions entierement, ou au moins nous les diminuons beaucoup; au lieu que nous relevons avec exageration leur capacité, leur merite & leur vertu: & nous nous attachons tellement à eux, qu'il ne nous reste que de la froideur, de l'indifference & même de l'averfion pour le refte des hommes, dont les moindres défauts nous paroiffent très-grands.

De-là naiffent une infinité d'erreurs, qui demeurent d'autant moins fteriles,

que nous en entretenons continuellement les autres ; & que nous tâchons avec beaucoup d'adreffe & de foin de les leur perfuader.

XIV.

Nos divers emplois nous font auffi

Tome II.

S

[merged small][ocr errors]
« AnteriorContinuar »