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des fources de femblables égaremens; nous nous approprions, pour ainfi dire, les perfonnes qui ont du rapport à nous, & nous les préferons aux autres que nous confiderons comme étrangers à notre égard. Un confeffeur eftimera davantage les penitens qui s'adreffent à lui ; & un fuperieur favorifera davantage les religieux qui lui témoignent de la confiance. Dans les monafteres de filles, celles qui font plus fouvent auprès des fuperieures,' ont plus de credit fur leur efprit, & c'eft la récompenfe de l'attache qu'el les ont pour elles. Les moindres maux des perfonnes qui font proches de nous, nous touchent extrémement & nous fommes prefque infenfibles à tous les autres.

Ces illufions nous plaifant beaucoup & faifant ordinairement la matiere de nos entretiens, nous trompons ceux à qui nous en parlons, & ils nous trompent à leur tour.

X V.

En un mot, comme nous n'avons de nous-mêmes que de la corruption & des tenebres, & comme nous en

fommes tout pleins, il eft impoffible que quand nous ne veillons pas fur nous, ni ne faifons affez d'efforts pour les arrêter, elles ne fe répandent dans tout ce qui fort de notre cœur. Si nous nous laiffons aller à nos pensées, elles deviennent toutes ou inutiles, ou mauvaises. Si nous nous abandonnons à nos defirs, ils feront tous dereglez, & fi nous fuivons la cupidité qui réĥde dans notre langue; elle produit une infinité de faufsetez, de legeretez & de difcours témeraires & indifcrets au defavantage du prochain. D'ailleurs nous ne fommes pas moins disposez à recevoir le mal qu'à le communiquer; & ainfi lorfqu'on nous dit quelque parole qui flatte notre amour propre & qui s'accorde avec nos interêts nous nous fentons très-portez à l'entendre, & à la conferver dans notre efprit.

XV I.

On croiroit peut-être que cela n'eft vrai, que des perfonnes feculieres, & que leurs pechez font plus contagieux & plus grands que ceux des perfonnes confacrées à Dieu; mais j'ofe dire que les entretiens que les religieux ont

entr'eux, causent fouvent plus de défordres que ceux des feculiers mêmes. Il y a une infinité de matieres dont les gens du monde peuvent parler fans fe nuire beaucoup : comme un mar-’ chand, de fon commerce : un ouvrier, de fon ouvrage : & un magiftrat, des procès, dont il eft juge; & ils ne font point ordinairement de faute confiderable en parlant de ces chofes, parce qu'ils ont befoin de s'en inftruire, ou d'en inftruire les autres, & que rien ne les oblige à le faire.

Mais un religieux renfermé dans fon cloître, où il doit ne penfer qu'à faire penitence, à garder fa regle, à se nourrir de la parole de Dieu, à l'adorer, à l'entretenir, à le prier & à garder pour cela un entier filence envers les hommes, ne fauroit le rompre pour leur parler, fans quelque néceffité extraordinaire, qu'il ne renverfe toutes les regles, & tous les devoirs de fa profeffion; car alors il quitte la parole de Dieu, pour fe nourrir de fa propre parole; il defobéit à fon fuperieur; pour obéir à la convoitife de la langue; il interrompt l'entretien qu'il devroit avoir avec Jefus-Chrift, pour s'entretenir avec le monde ; & ne fai

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fant que fuivre & fatisfaire fon propre efprit, il néglige & il perd l'efprit de la penitence & de la veritable pieté.

XVII.

Mais afin d'entrer dans une plus particuliere difcuffion des divers fujets de nos entretiens, il faut confiderer que chacun y parle de ce qui revient & fe rapporte à fon inclination, ou à fon emploi: les fçavans agitent quelque queftion & quelque point de philofophie, de mathematique, de théologie, d'hiftoire. Les gens de guerre font le recit des batailles, des fieges & des rencontres où ils fe font trou vez. Les bourgeois rempliffent leurs converfations de leurs affaires, de celles de leurs parens & de leurs familles,' de leur ménage, des nouvelles du tems, & ils y mêlent même quelquefois des difcours de pieté ; enfin on peut s'entretenir d'une infinité de chofes, fans parler mal de son prochain.' Mais les religieux, & principalement les religieufes, n'ont point tant de chofes à dire, puifque toute leur fcience eft bornée à la connoiffance des chofes de Dieu, & des perfonnes avec

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qui elles vivent; les chofes de Dieų leur donnent d'autant moins envie de parler, que quand elles en font touchées, le premier effet que la pieté produit dans leur efprit, eft le defir de fe taire. Pour les perfonnes qu'elles connoiffent, l'envie qu'elles ont d'en parler les portant à y chercher de la fatisfaction & du goût, leur amour propre n'en trouve pas ordinairement à louer ces perfonnes. Il est au contraire humilié & mortifié quand on les loue; & il prend plus de plaifir à en juger, à en médire, à exagerer leurs défauts, & à trouver à redire dans les vertus les plus édifiantes; il a même de la peine à finir des difcours de cette nature; & quelques longs qu'ils foient, ils femblent courts à fa malignité.

XVIII.

de

Cependant on ne fe contente pas découvrir ou de condamner les veritables défauts du prochain. Si on a quelque chagrin, quelque mauvaife humeur, quelque averfion contre lui; on explique tout à fon defavantage, & on tire de fes actions & de fes difcours des confequences pernicieuses. On lui

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