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qui font auprès d'eux, & principalement avec celles qui font de la même condition. Ils examinent la fcience de ces perfonnes, leur adreffe, leur capacité, leur pieté, leurs bonnes & mauvaises qualitez, leurs vertus & leurs vices; ils examinent auffi les leurs ; mais avec cette difference, que leur malignité leur fait concevoir les autres plus imparfaits qu'ils ne font ; au lieu que l'amour propre leur cache une partie de leurs propres défauts. Sur ce fondement ils donnent aux autres la place qu'ils leur jugent convenable, & ils prennent la meilleure pour euxmêmes; ils favorifent enfuite leurs amis, & ils tâchent de mettre dans le dernier rang ceux qui ne reviennent pas à leur humeur.

Voilà ce que l'on fait, quand on fe laiffe aller à fon orgueil; mais on le fait fouvent d'une maniere fi imperceptible, qu'on ne s'en apperçoit pas : car on eftime fes fentimens fi raifonnables & fi juftes, qu'on tient pour des efprits fort déraifonnables, ou fort prévenus, tous ceux qui refusent d'y

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XXIII

Un Religieux, par exemple, qui fe croit digne de quelque charge, & capable de rendre du fervice à fa maifon; qui s'imagine avoir du mérite, de la fcience, de l'adreffe & de la conduite; qui a enfin affez bonne opinion de foimême, pour fe mettre au-deffus de plufieurs de fes freres, fe bleffe aifément, s'il voit que ceux qu'il eftime peu, font plus confiderez que lui, & qu'il eft exclus des principaux & des plus importans emplois; il fe porte alors facilement à juger qu'on lui fait injuftice, & il s'abandonne enfuite aux murmures & aux reproches.

On ne voit guéres de gens fi groffierement fuperbes, qu'ils fe vantent d'avoir plus d'efprit, d'habileté ou de mérite que les autres; & les orgueilleux évitent d'autant plus de fe louer eux-mêmes, que cela les rendroit ridicules; mais ils tâchent de faire connoître qu'ils remarquent bien l'imprudence & l'indifcretion de leurs freres : & ils prennent ce tour, afin d'infinuer adroitement qu'ils ont plus de conduite & de jugement qu'eux;qu'ils

font mieux inftruits des regles,& qu'ils éviteroient les fautes où les autres. tombent. Ceux qui n'ont aucune connoiffance de la poefie, ni de la Peinture, ne fe preferent pas aux Poetes ni aux Peintres, lorsqu'ils trouvent à redire dans leurs ouvrages, parce qu'ils font convaincus par leur propre experience, qu'ils ne fçauroient faire ni des vers, ni des tableaux; mais notre orgueil nous perfuade toujours, que nous fommes exemts des défauts que nous reprenons: & c'est pour le perfuader auffi à tout le monde, que nous témoignons remarquer ces défauts dans nos freres.

XXIV.

Il n'y a point de gens plus expofez à cette tentation, que ceux qui ont été autrefois confiderez dans une communauté, ou ecclefiaftique, ou religieufe, ou feculiere; qui y ont eu des charges & des emplois, & qui l'ont fervie; car fi on ceffe de leur donner des marques de la confiance qu'ils prétendent avoir meritée; fi on ne les confulte point, & fi on ne reçoit point leurs avis, lorfqu'ils entreprennent de

les donner; fi on ne leur communique point les affaires & ce qu'il y a de plus fecret ; fi on ne fuit pas leurs penfées en toutes chofes; ils s'imaginent auffi-tôt qu'on leur fait tort, & qu'on n'a que du mépris & de l'ingratitude pour eux: ils s'indifpofent & fe préviennent contre les perfonnes qu'ils. croyent indifpofées & prévenues à leur égard ils font une infinité de jugemens temeraires, & ils font ingenieux à trouver dans les difcours & dans les actions des autres dequoi augmenter leurs peines.

Quand on en eft venu jufques-là, le mal eft prefque fans remede; car les foupçons & les défiances qu'on a conçues de ceux dont on croit être injuftement traité, les réduifent à une entie re impuiffance de nous contenter,quelque chofe qu'ils faffent. Le foin qu'ils ont de nous prévenir par des avances également humbles, obligeantes & honnêtes, ne nous paroît qu'une adreffe & un artifice pour nous tromper. Après nous être mis dans l'efprit, que leur cœur n'eft pas tel qu'il doit être envers nous, nous ne fommes point touchez de ce qu'ils nous difent, parce que nous fuppofons qu'ils diffi

mulent & qu'ils cachent leurs veritables fentimens. Comme leur vigilance ne fçauroit empêcher qu'il ne leur échappe quelques fautes à notre égard, nous les remarquons exactement, &notre mauvaife humeur les groffit. Nous fentons alors un malheureux plaifir de ce que nous trouvons quelque fujet de perfifter dans notre mécontentement ; nous fommes bien-aifes d'avoir ce prétexte de continuer à les accufer d'injuftice; & fi quelquefois nous ne laiffons pas de leur rendre de bons offices, nous goûtons une vaine fatisfaction de ce qu'il nous femble que nous amaffons des charbons ardens fur leur tête, en leur rendant le bien pour le mal.

XXV.

D'ailleurs la connoiffance qu'ont ces perfonnes de la difpofition de notre efprit envers eux, les empêche de nous témoigner la cordialité que nous defirerions; notre conduite leur ferme le cœur pour nous, & après cela nous nous plaignons de ce qu'ils ne nous l'ouvrent pas quoiqu'ils ne foient plus réfervez & plus circonfpects envers

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