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ble de reffentir de la peine quand notre corps fouffre beaucoup, pourvû que nous n'ayons point d'impatience; que nous addreffant à Dieu, nous lui difions fincerement avec Jefus-Chrift: Seigneur, que votre volonté foit faite, & non la nôtre.

III.

Il eft impoffible que les gens du monde qui font agitez de tant de differentes & de violentes paffions, ne rencontrent bien des ennemis qui les bleffent. Comme ils aiment la grandeur, les richeffes & la fcience, ils voient avec jaloufie que d'autres poffedent ces avantages: ils tiennent pour leurs ennemis tous ceux qui leur contestent les honneurs, les biens ou les plaifirs qu'ils prétendent: de- là naiffent les haines, les médifances, les procès, les duels, les guerres, les injuftices, les violences, les trahifons, & enfin tous les crimes où l'interêt porte les hommes à fe perfecuter les uns les autres; ils commettent fouvent ces crimes fans aucun fcrupule, & ils les regardent même comme de bonnes œuvres, quand on les couvre du pré

texte de la pieté, ainfi qu'il arrive dans les differends & dans les difputes de la religion.

Les perfonnes veritablement pieuses ne peuvent voir fans douleur cette étrange face du monde, & l'état miserable de ceux qui s'abandonnent aux defirs de leur cœur ; cependant ils font obligez d'avouer que la plupart de leurs peines viennent d'une fource femblable à celles des gens du monde, & de ce qu'ils fe portent par la même paffion à defirer des chofes qu'ils ne fçauroient obtenir, ou à vouloir être traitez autrement qu'on ne les traite. Il y en a qui ne cherchent point d'argent, qui méprisent les honneurs & les plaisirs, qui ne femblent travailler que pour fervir leur prochain; mais il y en a peu qui ne fouhaittent dans leurs emplois quelque chofe qu'ils ne devroient defirer. Lorfqu'ils apportent tout le foin qu'ils peuvent une affaire & qu'ils y agiffent fidelement, ils prétendent que tout le monde doit être content de leur conduite, & leur en témoigner de la reconnoiffance; fi au contraire il arrive qu'on les blâme, qu'on les méprife & qu'on fe plaigne d'eux, ils en ont auffi-tôt

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pas

à

de la peine : & au lieu d'examiner s'ils n'y ont point donné lieu, ils s'élevent contre ceux qui les blâment : ils fe juftifient eux-mêmes: ils tâchent d'attirer les autres dans leurs fentimens, ils conçoivent aifément de la froideur contre ceux qui n'y entrent pas; ils s'imaginent facilement qu'on leur fait injuftice, & qu'on n'a que de l'ingratitude & de la dureté pour eux, & ils s'eftiment malheureux d'avoir affaire à des perfonnes peu raifonnables.

Auffi la pente de notre orgueil & de notre amour propre nous porte naturellement à preferer nos fentimens à ceux des perfonnes avec qui nous travaillons à quelque affaire, & nous empêche de leur ceder volontiers.

Quand quelque chofe réuffit contre notre avis, il est rare que nous n'en ayons point de peine, & encore plus rare que nous n'ayons pas une grande fatisfaction quand nous avons réuffi contre la penfée des autres.

Les hommes font fi jaloux de ce qu'ils font, qu'ils ne peuvent fouffrir qu'on en parle avec mépris ou avec indifference, ni qu'on blâme leur conduite, ils fe plaignent de ceux qui y trouvent à redire, & ils fe vengent

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d'eux en les condamnant ou les méprifant à leur tour. Il n'eft pas neceffaire de parcourir toutes les caufes particulieres des peines que l'on reffent, lors même qu'on eft exemt de ces grandes paffions qui regnent dans le monde, c'eft affez de montrer que tous ceux qui fe plaignent & fe fâchent de quelque chofe, ne confiderent pas affez la condition où ils ont été réduits par le peché : car il a changé pour eux, la terre benie de Dieu, en une terre maudite, dont ils ne doivent attendre que des épines, lors même qu'ils y travaillent avec toute la fidelité qu'ils peuvent.

I V.

Mais il y a une infinité d'autres peines qui ne viennent que du défordre des paffions, & de ce que Dieu a voulu, felon faint Auguftin, que tout efprit déreglé fût à lui-même fon propre tourment.

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Quand on perd en quelque maniere que ce foit, les chofes qu'on aime on en fent toûjours de la douleur, & • cette douleur eft une jufte punition de l'attache qu'on y avoit. Ce ne peut être fans un fenfible regret qu'un avaTome II.

V

re fe voit privé de fon argent ; un am. bitieux, de fa dignité ; un orgueilleux, de l'eftime des hommes, & un volupde fon plaifir.

tueux,

Il y a beaucoup de chofes que nous ne croyons pas beaucoup aimer quand nous les poffedons, parce que nous ne penetrons guéres le fond de notre cœur, mais lorfque nous les avons perdues, le déplaifir que nous en ressentons nous contraint de reconnoître malgré nous, que l'affection qui nous y attachoit étoit déreglée.

,

Quoique cette douleur vienne d'un mauvais principe, & foit très-mauvaife en elle même, elle ne laiffe pas de nous être utile, pour découvrir la veritable difpofition de notre ame. Il se rencontre fouvent que nous croyons n'avoir point d'envie, de jaloufie, d'interêt propre ni de mépris pour perfonne, non plus que de manquer de charité, de juftice, de condefcendance & de douceur. Cependant fi nous entrons dans le fecret de notre & fi nous remarquons bien ce qui s'y paffe, nous trouverons que toutes les peines dont nous rejettons la caufe fur les défauts de nos freres, ne maiffent que de nos paffions; & qu'

cœur,

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