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religieux, que leur regle eft très-juste, quand elle leur commande de rapporter à leur fuperieur tout ce qui fe paffe dans la maifon. Il y en a neanmoins beaucoup qui n'en peuvent être enticrement perfuadez. Pendant qu'ils font fideles à s'accufer de leurs fautes, & qu'ils n'ont point de peine à faire voir tout ce qui fe paffe dans leur cœur ils fe croyent obligez de conferver le fecret qu'on leur a confié comme un dépôt qu'ils doivent garder inviolablement; mais l'affurance qu'ils prétendent avoir d'une fi fauffe maxime, ne vient que de leur aveuglement; ils ne fçavent pas encore ce que c'eft que d'être pauvres en efprit & en verité; ils ne voudroient pas fans doute recevoir une fomme d'argent, fans la connoiffance & l'ordre de leur fuperieur, ni la garder en fecret, parce que s'ils avoient commis une telle faute, ils croiroient avoir manqué au vœu de pauvreté & à la dépendance que la regle leur prefcrit; mais ils doivent fçavoir qu'il leur eft encore moins permis & plus dangereux de réferver dans le fecret de leur cœur tout ce qu'il a plû à leurs freres d'y répandre & de faire leur propre des difcours

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qu'ils ont entendus, quoique ces difcours ne foient que des jugemens témeraires, des murmures, des railleries, des paroles d'aigreur, d'envie de jaloufie, de colere, d'impatience de legereté: car voilà ce que l'on dit dans les entretiens qu'on defire fi fort de tenir fecrets, & qui cependant ne peuvent demeurer long-temps dans notre cœur, fans le corrompre.

XXV.

Nous lifons dans les vies des Peres des deferts, qu'on privoit de la fepulture ecclefiaftique, les religieux à qui on trouvoit de l'argent après leur mort, on croïoit qu'ils étoient dignes de toute forte d'anathêmes, pour avoir poffedé quelque chofe fans le faire connoître à leurs abbez; mais peutêtre que devant Dieu, ceux-là ne font pas moins criminels, qui fe réfervent les fecrets de leurs freres, qui en ufent comme d'un bien qui eft à cux; qui en cela fe fouftraient à l'autorité de leurs fuperieurs ; & qui par un filence que la regle leur défend, ouvrent la porte aux plus grands defordres : que files religieux proprietaires amaffent

pour eux-mêmes des trefors d'iniquité & de colere ; & fi l'or qu'ils ont eu fe change en ver & en feu pour les confumer, on ne doit pas moins craindre le châtiment de Dieu fur ceux qui font des réserves des fecrets de leurs freres, & qui les cachent aux yeux de leurs fuperieurs.

Car enfin, l'or que poffedent les religieux proprietaires ne nuit qu'à eux, & fouvent tout le mal qu'ils font, c'est de le poffeder; mais les entretiens que les religieux imparfaits ont enfemble font les fources de tous les déreglemens qui arrivent dans les monafteres.

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On ne fçauroit affez s'imaginer combien la langue fait de maux, lorfqu'elle a une pleine liberté de fe répandre; qu'elle eft affurée du fecret de • ceux à qui elle s'adresse, & que ses paroles font reçûes d'eux avec complaifance. Il n'y a point alors de mal dont elle ne foit capable; elle trouve à redire à tout; elle ramaffe tout ce qui peut fervir à refroidir la charite entre les freres; à donner de fauffes impreffions contre les perfonnes les plus innocentes; à infpirer du mépris pour la conduite des fuperieurs, & à ruiner toute la difcipline reguliere.Ces

maux étant secrets, fe font fans qu'on y puiffe apporter du remede; & ainfi ceux qui en font les auteurs ou les complices font en danger de mourir dans le plus grand des crimes, qui eft l'impenitence.

Quelle peine ne meriteroient point des perfonnes qui fçachant qu'une fontaine publique eft empoifonnée, en laifferoient puifer à tout le monde fans en avertir; ou qui voyant que le feu s'eft pris à quelque lieu fecret de la maison, au lieu de l'éteindre & d'en avertir, feroient leur poffible afin que perfonne n'en vît rien? Or ceux qui tiennent cachez les fecrets de leurs freres ne font pas moins coupables.

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XXVI.

Je fçai que les religieux qui gardent fcrupuleufement le fecret qu'on leur a confié, le peuvent faire par la crainte qu'ils ont de manquer à leur parole, & pour ne pas donner de la peine à ceux qui leur ont ouvert leur cœur. Mais premierement, ils doivent fe fouvenir qu'étant religieux, ils n'ont pû s'obliger à ce qui eft formellement contre la regle & la difcipline de la

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maifon. Ils ont promis de n'avoir aucun fecret pour leur abbé ; de lui rendre compte de toutes leurs actions & de tout ce qui fe paffe entr'eux & leurs freres: ils ne peuvent donc plus fe faire d'autres engagemens contraires à ces premiers. En fecond lieu, il fe peut faire qu'ils feront quelque peine à leurs freres, mais c'eft une peine d'un moment ; c'eft une peine jufte, charitable & neceffaire pour guérir la plaie que leurs freres fe font faite, pour les faire fortir des tenebres où ils marchent, & pour procurer leur falut. Comme l'Ecriture nous apprend qu'Adam après avoir mangé du fruit défendu, s'enfuit, & tâcha de ne paroître plus en la prefence de Dieu; la même inclination eft encore dans tous les enfans de ce premier homme : il n'y a rien à quoi ils foient plus portez après leur peché, qu'à fuir ceux qui les en peuvent reprendre ; mais il n'y a rien auffi qui foit fi capable de les perdre. Rien ne nuit tant à un religieux que de fuir fon fuperieur après fon pe ché, puifque par cette fuite il fe met en état de n'en fortir jamais. C'est donc à ceux qui voyent une brebi s'égarer ainfi volontairement du trou

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