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peau, de la montrer au bon pasteur; n'ayant que lui feul qui la puiffe fecourir. Elle aura, peut-être de la peine à fe laiffer prendre à celui dont elle s'eft éloignée, mais cette peine eft moins confiderable que le malheur d'être dévorée par les loups; que fi étant accoûtumée à vivre dans les tenebres, elle fouffre d'abord avec peine la lumiere, cette lumiere, quelque peine qu'elle lui caufe, vaut beaucoup mieux que les tenebres; & nous devons avoir affez bonne opinion de nos freres, pour croire qu'ils ne demeureront pas long-temps dans un fi mauvais état car il arrive ordinairement que les malades les plus indifpofez fouffrent néanmoins la main du medecin, quand ils ne fçauroient l'éviter; ils la fouffrent peut-être malgré eux mais ils ne laiffent pas de guerir; & à mefure qu'ils fentent l'efficace des remedes qu'on leur donne, ils en perdent l'averfion, & commencent à les aimer.

XXVII.

C'eft ce que nous voyons dans les maladies des ames, comme dans celles des corps ; & cela nous doit appren

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dre que quand par une fauffe compaffion, ou pour ne pas faire de peine à nos freres, nous n'ofons rapporter leurs fautes à nos fuperieurs, nous les expofons à mourir dans leur peché, & nous nous rendons coupables de leur fang.

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Il faut donc leur faire du bien malgré eux, & les amener par force à leur pafteur, afin qu'ils le fuivent enfuite volontairement : Trahe invitum, ut facias voluntarium. Il faut même fuppofer que la plupart de nos freres font dans de meilleures difpofitions'; qu'ils s'ennuient de leurs tenebres qu'ils defirent de recourir à leur fuperieur, & qu'ils ne font retenus que par leur foibleffe, & par l'impuiffance où ils fe trouvent, de faire fur eux-mêmes d'affez grands efforts pour executer ce deffein. Cependant plus ils differeront de s'accufer, & plus cela leur fera difficile. Qui peut donc douter qu'on ne les oblige beaucoup; qu'on ne favorife le fecret defir qu'ils ont, & qu'on ne rende leur retour plus facile,quand on fait ce qu'ils voudroient avoir fait eux-mêmes; quand on engage leurs fuperieurs & leurs peres à aller au-devant d'eux, & quand on Tome II.

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rend compte de leurs fautes dès le commencement, ou favant qu'elles ayent pris de profondes racines dans leur cœur; car fi on les y en laiffoit prendre, on ne les pourroit arracher qu'avec d'extrêmes violences; au lieu que quand elles n'ont pas eu loifir de croître, elles ne tiennent prefque à

rien.

XXVIII.

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Ce que je viens de dire me donne occafion de témoignerici le defir que j'aurois, de pouvoir perfuader à toutes les perfonnes religieufes, une maxime très-veritable & très utile pour leur conduite; fçavoir que l'unique moyen de rendre faciles & douces les plus grandes mortifications d'efprit, & d'en ôter toute l'amertume- & la peine, eft de les pratiquer fidelement & de fe réduire à une heureufe neceffité de les obferver avec exactitude; car quand on les pratique durant quelque temps, on n'y a plus de peine dans la fuite, ni aucune tentation de s'en difpenfer. Ainfi les religieufes en quelques communautez ayant affez de confiance en leurs fuperieures pour leur ouvrir leur cœur, & leur confier leurs

plus fecrétes pensées, elles font avec joie, ce qui paroît impoffible à beaucoup d'autres. Comme auffi elles font accoûtumées à n'avoir point de petits meubles en particulier,à ne faire point de petits ouvrages de divertissement à n'avoir point d'argent dont elles difpofent: aucune d'elles n'y penfe, & elles conçoivent un fi grand mépris pour de telles pratiques, qu'elles ne font pas tentées d'y entrer.

Parce qu'à la Trappe on s'eft accoûtumé à garder un filence exact, les religieux ne penfent plus à s'entreparler, & ils trouvent une très-grande facilité à fe taire. Il en eft ainfi de toutes les chofes qui ne dépendent point des forces du corps ; que s'il paroît fort gênant à des religieux de ne pouvoir jamais avoir entr'eux aucun fecret, de n'ofer fe confier à perlonne, & de rendre compte de tout à leur fuperieur, leur peine vient de ce que ces pratiques ne font pas en ufage dans leur monaftere, & de ce qu'ils ne s'y appliquent pas. Lors auffi que les fuperieurs ont eu foin de les établir, & qu'on a éprouvé en s'y appliquant, combien elles contribuent à l'avancement des religieux,& de com

bien de fautes elles les préfervent; pour peu qu'onait de pieté, on tâche de les obferver, & on s'y affectionne de plus en plus; mais pour en bien juger, il en faut faire l'expérience, & ne fe pas rebuter des difficultez qu'on y rencontre; car quand on les a furmontées, on n'en trouve plus aucune & tout devient très-facile.

XXIX.

On dira peut-être, qu'il peut arriver que fous prétexte qu'il eft permis & qu'on eft même obligé d'avertir les fuperieurs de tout ce qui fe paffe: ceux qui veulent avoir de la reputation d'être exacts à leurs devoirs, s'empreffent de remarquer des chofes de nulle confequence, & d'en faire de longues hiftoires, qui ne fervent qu'à emporter beaucoup de temps, fans qu'on er puiffe tirer aucun fruit.

Cela n'eft que trop vrai, mais c'est un mal auquel les particuliers ne peuvent apporter de remede, & qu'ils doivent fouffrir. C'eft au fuperieur à fe fervir de fa prudence en ces occafions, & à fe défendre de ces grands parleurs; mais un petit inconvenient

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