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fes moindres incommoditez, car toutes ces fervitudes & ces baffes complaifances font ou des puerilitez ridicules, ou des adreffes malignes pour avoir du credit ; & lorfqu'on les fouffre, elles produifent toujours de mauvais effets on prend infenfiblement ces devoirs pour des témoignages d'amitié; on s'y accoûtume, & peu à peu on croit que ceux qui nous les rendent ont plus d'affection pour nous que les autres : nous nous estimons alors obligez de leur rendre amour pour amour; & il arrive même que nous confor mons notre amour au leur, c'est-àdire, que nous rendons un amour humain pour un amour humain: enfin ces fortes de fervitudes & de baffelles font des moyens aux perfonnes adroites & complaifantes, pour nous dominer,& pour établir leur empire fur ceux qui dépendent de nous. Il faut donc nous défier extrêmement de ceux qui font trop humbles à notre égard, & qui' affectent de nous rendre des devoirs qu'ils ne nous doivent point; puifque nous avons fujet de craindre que ce ne foit la feule ambition qui les y porte, avec le defir de tyrannifer les autres & de s'élever au-deffus de tous leurs freres. Bb iiij

V.

Un fuperieur ne fauroit remedier à ces maux, qu'en tâchant de traiter également tous fes inferieurs, & en faifant paroître qu'il ne défere pas plus aux paroles des uns que des autres; ni ne condamner perfonne fans l'écouter, & fans avoir tant d'égard à fes raifons qu'il ait fujet d'en être content. Il doit outre cela ne rien conclure de tous les rapports qu'on lui fait qu'avec beaucoup de précaution, fe donnant le loifir d'examiner ceux qui les font, le caractere de leur efprit, les paffions qui les dominent, leur maniere de parler, le degré de leur lumiere & de leur vertu; car ces differentes difpofitions rendent leurs témoignages plus ou moins dignes de créance.

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V I.

y a des efprits tournez à prendre les chofes de travers, à s'imaginer avoir vû & oui des chofes qui ne fubfiftent que dans leur tête, à expliquer tout autrement, celles qu'en effet ils ont vûes & ouies. Il y en a qui ont des humeurs fi bizarres & fi particulieres, qu'ils ne peuvent pas aifément s'accor

der avec les autres : qui par efprit de contradiction,trouvent à redire à tout, jugent des meilleures actions d'une maniere defavantageufe, & expliquent les paroles les plus édifiantes en un mauvais fens; il femble qu'ils ne raifonnent que pour juger mal de tout ce que les autres font, & pour tirer des confequences au defavantage de ces perfonnes. Quelques fauffes que foient ces confequences, elles leur paroiffent fi indubitables & fi claires, qu'ils ne craignent point de les rapporter comme des faits dont ils fe prétendent fort affurez; & fur de tels fondemens, ils forment des accufations contre des perfonnes innocentes, en qui il n'y a point d'autre mal que de fe trouver expofées à leur injustice.

VII.

Il y en a qui à caufe feulement que cela leur plaît, & fans aucune autre raison, se mettent toujours du parti des imparfaits. Ils juftifient ou cou vrent leurs fautes; ils fe plaignent de les voir fouffrir injuftice; ils ornent leurs vices de quelque apparence de vertu ; ils appellent, par exemple, leur legereté une bonne humeur, & leux

hardieffe, liberté d'efprit. Si ces imparfaits cenfurent leurs fuperieurs & leurs freres, c'eft, difent ceux-ci,qu'ils voyent plus clair que les autres; s'ils font lâches, pareffeux, fenfibles aux moindres incommoditez, ceux-ci en attribuent la cause à la délicaresse de leur temperamment, ou à des maux qu'on ne connoît pas affez. Plufieurs agiffent ainfi par aveuglement, & parce qu'ils ont l'efprit tellement obfcurci, qu'ils fe fcandalifent des bonnes chofes & s'édifient des mauvaises. D'autres parlent contre leur propre confcience, par envie & par interêt; ils ont peine à fupporter ceux qui ont de la vertu ; & étant très-imparfaits, ils fe juftifient, en justifiant ceux qui leur reffemblent. Si tous ces fortes de gens ont beaucoup de credit fur l'efprit de leur fuperieur, quels ravages ne font-ils point dans leur communauté ?

VIII.

L'apôtre nous affure, que la charite n'eft pas fujette à concevoir des foupçons contre qui que ce foit; mais l'àmour propre au contraire eft une four

ce infinie de foupçons. Ceux qui s'aiment extraordinairement eux-mêmes, fe plaignent de ceux qui n'entrent pas dans tous leurs fentimens : ils croyent que fi on les contredit en la moindre chofe, cela vient de ce qu'on leur en veut; fi on ne fe confie de tout en eux : ils s'en offensent comme d'une injure & fi on oublie de leur parler de quelque fecret qu'ils prétendent favoir, ils attribuent ce filence à une indifference qu'on a pour eux. Afin d'être bien avec eux il faut les prévenir, faire tout ce qu'ils fouhaitent, & deviner même les chofes qui les peuvent contenter, fans qu'ils ayent la peine de les dire.

Les fuperieurs font fort empêchez de ces perfonnes; car felon les idées qu'ils ont & qu'ils donnent de la conduite qu'on tient à leur égard, tout le monde tâche de leur faire de la peine, tout le monde les juge & les condamne, tout le monde confpire à les perfecuter. Si leur fuperieur les croit, il les confirme & les autorife dans leur erreur; mais s'il veut les détromper, ils ceffent de lui parler, & ils le mettent au nombre de ceux qui leur font injuftice; ils tombent dans l'abatte

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