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I I.

Voilà notre devoir; mais il y a en nous une inclination très forte qui nous porte avec violence à faire tout le contraire, & c'eft ce qu'on appelle le monde & l'efprit du monde. Depuis le peché de notre premier pere, l'aveuglement où nous naiffons eft tel que nous ne voions prefque plus rien de la divine & fouveraine lumiere. Nous l'oublions pour ne nous fouvenir que de nous, ne voiant rien hors de nous que nous ne rapportions à nous-mêmes. Nous nous aimons, & nous croions être quelque chofe de confiderable; nous cherchons notre propre gloire, & nous reffentons les injures, les mépris & les humiliations. C'est ce qui s'appelle connoître notre propre bien & notre propre mal, comme le ferpent le promit à Eve: au lieu que nous ne devrions connoître pour notre bien & pour notre mal, que ce qui eft bien & mal aux yeux de Dieu.

Cette difpofition eft la fource de toute forte de pechez; & ce qu'on appelle la convoitife, la propre volonté

l'amour de foi-même, le vieil hom me, la loi du peché; en un mot c'est le monde que Jefus-Chrift condamne fi fouvent, & auquel tous les Chrétiens font obligez de renoncer.

Mais cette corruption qui eft dans nous comme dans fon centre, & comme dans fon premier principe, fe répand au-dehors fur toutes les creatures, & en fait un fecond monde. Il eft vrai que toutes les chofes vifibles & temporelles étant des ouvrages de la fouveraine bonté, ne peuvent être que très bonnes en elles-mêmes; mais quand nous n'en ufons pas bien, le mauvais ufage que nous en faifons les rend mauvaises à notre égard.

Dieu qui les a faites pour nous, nous oblige de ne les confiderer que comme un bien qui est toujours à lui, que nous n'avons qu'en dépôt, & que nous ne devons emploier que felon fes ordres & fes loix. Il veut que nous dépendions tellement de lui en cela, comme dans tout le refte, que nous n'ufions des creatures que par fon efprit & en la maniere qu'il nous marque; que nous n'y prenions par nousmêmes aucune part; mais que nous attendions de fa main celle qu'il nous

veut donner; que nous ne cherchions que nos befoins, & que nous les cherchions fans empreffement & fans relâche, enforte que nous foions très - contens quand ils nous manquent; parce que cela n'arrive que par fa divine volonté, qui feule nous fuffit & nous vaut mieux que toute chofe.

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Il veut que nous gardions les regles de la temperance & de la modestie chrétienne; que nous ne nous fervions de nos fens que par rapport au bien de notre ame; que nous traitions notre corps d'une maniere qui le tienne parfaitement affujetti à l'efprit; que nous ne lui donnions rien de trop, & que nous nous contentions de ce qui eft neceffaire pour fa nourriture pour fon vêtement, pour fa fanté fans nous défendre avec trop de foin des maux que Dieu veut que nous fouffrions. Enfin, il eft jufte que les grands, les princes, ceux qui font dans les charges publiques, qui ont des richeffes ou d'autres avantages au deffus du commun,ne les regardent point, comme des chofes qui leur appartiennent; mais qu'ils fe fervent de leur autorité, de leurs richeffes, de leur

science & de leur efprit pour le bien commun de tous les hommes.

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III.

C'eft ce que nous obferverons exactement fi nous confiderons les que creatures ne font point à nous, & que nous ferons contraints de les quitter bien-tôr; car cette vûë nous empêchant d'en abufer nous mettra en état de louer Dieu de l'utilité que nous en recevrons; & ne les voiant jamais fans nous fouvenir de la bonté de ce→ lui qui nous les a données, elles nous ferviront de degrez pour nous élever

à lui.

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Mais lorfqu'au lieu de fuivre l'efprit & les regles de Dieu, nous laissons agir nos paflions; & que nous abandonnant à notre amour propre, tre ambition, à notre avarice, aux défirs de notre cœur, nous ne nous réduifions plus à ne chercher que nos befoins, mais que nous cherchons notre plaifir, notre fatisfaction & notre repos. Nous prétendons alors ufer des creatures, non en paffant, mais comme d'un bien qui nous appartient : nous ne les regardons pas comme un

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fecours de cette vie; mais comme notre derniere fin & notre fouveraine félicité. Ainfi les emploiant à entretenir & à augmenter nos défordres, nous faifons des œuvres de Dieu, les armes du demon, les inftrumens du peché & un monde de corruption. Un avare, par exemple, au lieu de fe borner à des biens médiocres, dont il pourroit fe fervir legitimement pour fes neceffitez, & pour celles des pauvres fe rend très-coupable devant Dieu, lorfqu'il emploie toute forte do voies pour amaffer des trefors, qui deviennent pour lui des trefors d'iniquité & de colere. Il en eft de même d'un ambitieux; quand il feroit roi de toute la terre en n'y trouvant point Dieu, il n'y trouveroit pas le repos & le bonheur qu'il fouhaite; & il feroit obligé de chercher de nouveaux mondes pour devenir encore plus puiffant. C'eft ce qui arrive neceffairement à tous ceux qui fuivent leurs paffions; auffi-tôt qu'ils s'éloignent des bornes que Dieu leur a prefcrites, rien ne les peut arrêter, & ils fe portent à de tels excès, qu'ils comptent pour rien tout ce qu'ils ont. En effet ce n'eft rien pour des perfonnes

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