Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ment & dans la trifteffe: & ce qui eft étrange, il arrive affez fouvent qu'en faifant compaffion à leur fuperieur, ils le gagnent, ils l'engagent à les croire & ils lui font recevoir toutes les mauvaifes impreffions qu'ils ont prifes de leurs freres.

IX.

Il s'en trouve dont l'imagination eft plus reglée, mais qui font fujets à de grandes paffions: il n'y a rien qu'ils ne faffent pour obliger ceux qu'ils affectionnent, & pour perdre ceux qu'ils haiffent; ils cachent leurs deffeins fous quelque moderation apparente, mais ce n'eft que pour les faire réuflir; ils fupportent avec patience ceux qui ne les favorifent pas : & lorfqu'ils ont interêt de les blâmer, ils en trouvent toujours des raifons qui leur paroiffent fort convaincantes. Quand ils ont un deffein dans l'efprit, ils n'épargnent rien pour venir à leur but ; ils pleurent s'il faut pleurer; ils font patients, fi cela leur eft utile; ils fe transforment en mille figures differentes, fans fe donner aucun repos, qu'ils n'ayent accompli tout le mal qu'ils ont conçû; & il n'y en a point qu'ils ne faffent, s'ils trouvent un fuperieur qui leur donne créance.

X.

Il eft auffi à remarquer que ceux mêmes qui ont d'ailleurs quelque pieté, ne laiffent pas d'avoir des amis, qu'ils ne manquent jamais de favorifer fans s'en appercevoir eux-mêmes; fi quelqu'un de ceux qu'ils affectionnent, vient à avoir quelque conteftation avec un autre, & qu'ils en foient témoins ils ne manqueront point d'être pour leur ami, fans neanmoins vouloir mentir groffierement: ils jugeront de ses paroles le plus favorablement qu'il leur fera poffible, & ils ne lui attribueront que de bonnes intentions; ils donneront au contraire tout le tort qu'ils pourront à fon adverfaire; ils croiront avoir raifon d'expliquer toutes chofes à fon défavantage, & ils ne fauroient agir autrement, ayant l'efprit rempli de tout ce qui leur peut faire juger mal de fes actions & de fes paroles. Il faut donc qu'un fuperieur n'écoute ceux mêmes qui ont de la vertu, qu'avec beaucoup de précaution, & qu'il fe défie de tout, le mon, parce qu'il n'y a perfonne qui ne fe trompe fouvent.

de

X I.

Rien n'eft fi veritable que cette parole de faint Paul, que tous les hommes cherchent leur interêt ; & cet interêt les aveugle pour ne voir point les chofes comme elles font; mais comme ils ont interêt qu'elles foient: delà viennent tant de conteftations qui arrivent entre les perfonnes mêmes qui craignent Dieu. Il arrive quelquefois que les uns & les autres penfent dire la verité, & que cependant ils rapportent les chofes qu'ils ont vûes, ou qu'ils ont ouies, d'une maniere toute contraire; cela vient de ce qu'ils les conçoivent, non felon qu'elles font en effet, mais felon la difpofition de leur efprit & de leur cœur. Tout le monde fait que certaines gens voyent dans les

,

nuées des armées, des navires, des chevaux, non que les images en foient effectivement dans les nues; mais parleur imagination y fupplée en les formant dans leur tête.

ce que

Quand on voit quelque chofe de loin, on ne fait quelquefois fi c'eft un homme, un animal,un tronc, ou une pierre; & felon que l'on a les yeux

faits, on en juge diversement. L'ouie ne fe trompe pas moins que la vûe: nous croyons fouvent entendre toute autre chofe que ce que l'on nous dit; divers fons qui expriment des chofes toutes contraires, font fouvent fi proches qu'il eft fort facile de prendre les uns pour les autres. Il fe peut aifément faire qu'une ou deux fyllabes nous échapent, & cela fuffit pour nous faire juger qu'un homme a proferé des paroles où il n'a jamais penfé. Ces méprifes arrivant presque tous les jours, il en naît mille faux rapports & mille jugemens temeraires.

XII.

Les chofes nous paroiffent bonnes ou mauvaises, petites ou grandes, viles ou préticufes, felon l'idée que nous nous en formons dans l'efprit; & ces idées fe diverfifient felon la difference de nos paffions. Tout ce que nous aimons nous femble toujours avoir de bonnes qualitez, & ce que nous haiffons de mauvaises. La crainte nous fait voir des perils, que ceux qui n'ont point cette paffion ne voyent point. Les travaux qui nous plaisent, n'ont pour nous rien de penible. Les hon

neurs qui fatiguent les perfonnes humbles & modeftes, font le fouverain bien des ambitieux. Les moindres pertes font très-fenfibles aux avares ; & ils fouffrent des affronts avec patience pourvû qu'ils en tirent du profit. Il n'y a point de petites maladies pour les perfonnes delicates, & la patience au contraire fait difparoître les plus grands maux : il y en a qui font riches & contens dans leur pauvreté; il y en a qui font miferables, & fe plaignent de leur indigence au milieu des plus grandes richeffes; enfin puifque les hommes ont de fi differens fentimens fur les mêmes chofes, il faut qu'il y en ait peu qui les conçoivent comme elles font; ils se trompent trèsfouvent. Nous nous tromperions comme eux, fi nous les croyions fans difcernement; & s'il falloit être de l'opinion de tous ceux qui nous parlent, nous ferions fort fujets à nous contredire nous-mêmes.

XIII.

Les Juges examinent les témoins avant que d'avoir égard à leur témoignage; ils pefent toutes leurs paroles, ils s'informent de leur vie, ils écou

tent

« AnteriorContinuar »