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pas toute l'abondance qu'ils fouhaitent: les moindres pertes leur font extrémement fenfibles ; & quand même ils poffederoient tout ce qui pourroit fatisfaire leur cupidité, ils trouveroient encore des dégouts dans la jouiffance de leur bien. Ainfi les richeffes mêmes font accompagnées d'une pauvreté qui fait la mifere des riches, parce qu'ils n'ont jamais d'affez belles terres, ni d'affez grandes charges; & lorfqu'ils poffedent tout ce qu'ils peuvent fouhaiter, ils s'eftiment malheureux de ce qu'ils n'ont pas assez de temps pour en jouir.

III.

Les hommes font remplis de foupcons & de défiance les uns des autres, & ils fe regardent comme ennemis. La plupart des grands croient que ceux qui font au-deffous d'eux, ne font nez que pour les fervir, & ils fe plaignent quand on manque à leur rendre tout ce qu'ils croient leur être dû, fans confiderer qu'ils exigent fouvent plus qu'on ne peut faire pour eux. Les petits de leur côté haïffent les grands, & fe plaignent de leur injuftice, ou de

leur dureté: ils fe plaignent de ceux qui les oppriment, & de ceux mêmes qui les traitent avec plus de charité & de douceur, parce qu'ils fe perfuadent que quoiqu'on faffe pour eux, on ne leur rend qu'une partie de ce qu'on leur doit.

I V.

On ne borne pas ces plaintes à ceux de qui on a reçû de mauvais offices; mais elles retombent encore fur les amis, s'ils ne nous aiment pas autant que nous nous aimons nous-mêmes & en la maniere que nous voulons être aimez; s'ils ne nous communiquent pas toutes leurs affaires ; s'ils ne fuivent pas aveuglément nos penfées, & ne font pas toujours de notre avis; s'ils nous difent avec liberté ce qu'ils trouvent à redire en notre conduite;

ou fi de peur de nous bleffer, ils ufent de retenue & de referve à notre égard nous eftimons qu'ils ne nous traitent pas avec la fidelité d'une amitié veritable.

V.

Comme les communautez religieu fes font un petit monde feparé du

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refte des hommes, & que ceux qui les composent se rencontrant à tout moment dans les mêmes exercices , font atentifs aux défauts des autres, ils en découvrent une infinité dans leur conduite, dont ils croient avoir fujet de fe plaindre ; & leur mauvaife humeur s'en prend ordinairement à ceux qui gouvernent. Lorfque les fuperieurs manquent d'exactitude, ou qu'ils ont trop de condefcendance pour les foibles, les inferieurs les chargent de tous les déreglemens de la maifon. Lorfqu'au contraire ils ont beaucoup de zele pour la regularité de la difcipline, les imparfaits qui font ordinairement le plus grand nombre, souffrant avec peine un joug qui les gêne, en murmurent fans ceffe. Et les fuperieurs de leur côté fe laiffant aller à un zele indifcret, de vouloir élever tous les fujets de la maifon à une égale perfection, fans difcerner affez la difference des dons que Dieu diftribue fi diversement, gemiffent des moindres foibleffes qu'ils remarquent en eux; quoique Dieu fi jaloux de la pureté & de la fidelité des ames, en fouffre de grandes dans les plus parfates,

VI.

Les perfonnes mariées ne font prefque jamais contentes de leur état; elles ont peine à compatir ensemble, & à fouffrir l'inégalité de leurs humeurs; tantôt elles regrettent de n'avoir point d'enfans, & tantôt d'en avoir trop, autant par une défiance infidelle de la providence divine, que par la crainte de ne les pouvoir élever felon les vûes de leur ambition. Les enfans de leur côté fe plaignent de leur pere & de leur mere lorfqu'ils n'entrent pas affez dans leurs inclinations. La dépendance où ils font à leur égard les incommode, & ils imputent les effets de leurs paffions & de leurs déreglemens à la fage conduite que leur pere & leur

mere tiennent fur eux.

VII.

Les ferviteurs trouvent ordinairement leurs maîtres difficiles & fàcheux; ils en remarquent l'impatience, l'air imperieux, & la molleffe ; ils croyent toûjours qu'ils exigent rtop de leurs fervices, & qu'ils ne les reTome II. Dd

compenfent pas affez. Les maîtres au contraire fe plaignent que leurs domeftiques font fans affection, fans foin, fans efprit; qu'ils ne cherchent que leurs propres interefts, & qu'ils aiment à ne rien faire; enfin ils eftiment heureux ceux qui s'en peuvent paffer.

REMEDE CONTRE
les plaintes.

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Ous avons dit au commencement de ce difcours que tous les hommes font naturellement portez à fe plaindre. Comment donc guerir un mal qui naît avec nous, qui eft fi general, & que la philofophie humaine connoît trop peu ?

I

Il n'y en a point d'autre que d'avoir recours à la fageffe divine, & d'apprendre d'elle, quelle opinion doivent avoir d'eux-mêmes, ceux qui ont la foibleffe de fe plaindre, car ils ne s'y laifferoient point aller s'ils fe connoiffoient veritablement, & s'ils confide roient combien les plaintes convien

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