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- émotion & fans trouble: c'eft une maxime de grand ufage dans la vie, & elle peut feule empêcher qu'on ne foit furpris & trompé en beaucoup d'occafions. Pour moi je fuis fi fort fuadé que perfonne ne me doit rien, qu'il y a très-peu de gens à qui j'ofe demander la moindre chose: lors même que je me trouve contraint de demander quelque grace, je fuppofe qu'on me refufera; & quand on me refufe effectivement, je m'en plains d'autant moins que je m'y étois préparé.

Il ne fuffit pas néanmoins de s'attendre aux refus, ni de les fouffrir avec patience & avec douceur. Il faut encore être très-refervé à condamner interieurement ceux qui les font,après avoir confideré combien on a foi-même refufé de chofes qu'il étoit facile d'accorder, & qui paroiffoient très-justes ; on peut avoir eu de très-bonnes raifons; mais comme on ne devoit peutêtre pas les découvrir, & que les autres ne les favoient pas; elles ne pouvoient pas remedier à leur mécontentement, ni à leurs plaintes.

On dira fans doute qu'il y a des re fus qui portent avec eux la condam

nation manifefte de celui qui les fait; & que par confequent on ne fauroit l'excufer en aucune forte. Il est vrai qu'il y en a de fort injustes, mais ceux qui le paroiffent, ne le font pas toûjours; & ainfi lorfque l'on fe hâte d'en juger felon les apparences, on fe met en danger de faire un jugement,ou entierement faux, ou pour le moins té

meraire.

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La morale chrétienne nous obligeant de juger le plus favorablement que nous pouvons des actions du prochain & d'excufer fes intentions,quand nous ne pouvons excufer fa conduite, il ne faut pas conclure aifément que les refus qu'il nous fait viennent d'une mauvaise difpofition à notre égard; il faut plûtôt s'en prendre à fon efprit qu'à fon cœur & fuppofer que quelque paffion peut lui ôter la vûe & la connoiffance de la verité. Tous les hom mes font fujets à fe laiffer furprendre par de fauffes imaginations, & par des préventions déraifonnables; or il eft vifible que quand ils fe trouvent en cet état, l'illufion où ils font leur fait aifément paroître nos prieres injuftes, & leur fournit des raifons, qui toutes mauvaises qu'elles font,les perfuadent

& les engagent à nous refufer ce que nous fouhaitons d'eux, fans qu'ils ayent aucune mauvaise volonté con

tre nous.

Cela eft très-ordinaire dans le mon

de,

, parce que le bon fens y eft trèsrare, & que fouvent ceux qui en ont le moins s'attachent avec beaucoup de confiance à des raifonnemens égarez qu'ils ne fondent que fur des vifions chimeriques. Le feul moyen de ne se point tromper, c'eft d'appliquer cette fuppofition à toute forte de perfonnes, & de ne s'en pas exemter foi-même : on peut croire fans jugement témeraire, que les perfonnes les plus éclairées manquent quelquefois de raifon,quoiqu'elles en manquent moins, & moins dangereufement que les autres. Les plus favans philofophes s'égarent quelquefois dans leurs idées; & les faints ne font pas faints dans toutes leurs opinions. Si ces confiderations nous étoient toûjours prefentes, nous excuferions plus volontiers les fautes de notre prochain, nous éviterions bien des jugemens témeraires, nous nous garantirions de beaucoup de troubles, & nous conferverions plus parfaitement la paix interieure de notre ame

Il eft certainement très-difficile de prouver que les refus qu'on nous fait viennent de malhonnêteté, de fierté, d'orgueil & de mépris pour nous, quoiqu'il ne nous foit jamais permis de juger qu'ils en viennent, à moins que nous n'en ayons des preuves certaines & convainquantes : quand néanmoins nous en ferions entierement affurez, n'est-ce pas principalement dans ces occafions qu'il faut exercer la patience? Ne font-ce pas ces fardeaux de nos freres, que l'Apôtre nous ordonne de porter avec douceur? Et y a-t-il quelque vertu à tolerer, ce que nous ne devons eftimer, ni déraifonnable, ni injufte? Les perfonnes les plus intereffées diffimulent les affronts & les duretez de ceux qu'ils aiment avec paffion, ou dont ils efperent leur for

tune.

Or l'Evangile oblige les Chrétiens à une charité qui furpaffe toute affection humaine, qui ne s'irrite jamais,' & qui foit toûjours difpofée à tout fouffrir. Ils y trouvent auffi des avantages beaucoup plus confiderables que les gens du monde dans leurs ménagemens, puifque cela leur procure le bonheur infini d'imiter celui qui re

sevoit toute forte d'injures dans la paix & dans le calme d'un profond filence, fans réfifter en aucune forte à fes perfecuteurs & à fes bourreaux.

C'eft ainfi que la charité que nous devons à nos ennemis mêmes, nous oblige de leur témoigner une douceur qui arrache de notre cœur jufqu'à la racine toute forte d'animofité, d'émotion & de colere, & qui nous porte à n'oppofer que des benedictions à leurs maledictions: car nous ne pouvons fortir avec avantage des piéges que le démon nous tend à leur occafion, qu'en nous réduifant à n'avoir que de la compaffion pour tous leurs emportemens,& en confiderant que les chrétiens mettent leur gloire à ne pouvoir être. ennemis de perfonne, mais à vaincre par leurs bons offices ceux qui ne leur en rendent que de mauvais.

Que fi on eft obligé de tenir cette conduite envers fes ennemis déclarez quelle douceur & quelle charité ne doit-on point témoigner à fes amis,de quelque humeur qu'ils foient, lorfqu'ils s'oublient de ce qu'ils doivent à l'amitié; il faut oublier leurs fautes, & croire qu'ils ne font pas indignes d'être aimez, quoiqu'ils ne foient pas toû Tome II.

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