jet de craindre qu'il ne nous l'ôte comme à des ingrats, fi le délay que nous apportons à la fuivre, nous rend indignes de la conferver. Il y a des paroles de falut que Dieu ne prononce qu'une fois, & ceux qui refufent de les entendre, demeurent toute leur vie dans l'endurciffement qui le leur a fait rejetter. Il faut donc dans ces rencontres nous hâter de nous convertir & marcher pendant que la lumiere eft avec nous, de peur qu'elle ne fe retire & qu'elle ne nous laiffe dans des tenebres, qui ne feront plus fuivies d'aucune autre lumiere. Il faut faire ce que nous pouvons avec le fecours que Dieu nous prefente, de peur qu'en negligeant de l'employer, nous ne meritions de la perdre, & que nous ne puiffions plus rien faire.

XXXII.

Toute la condefcendance dont on pourroit user envers des perfonnes qui feroient dans une difpofition veritable de fe retirer, & de quitter leurs charges, feroit de fouffrir qu'ils different quelque temps d'executer exterieurement ce deffein, fi le retardement file

peut

faciliter leur retraite, ou la rendre plus utile, ou la préferver de quelque inconvenient confiderable, afin de travailler avec fuccès à l'œuvre de Dieu; de ménager notre foibleffe; d'éviter de grandes tentations, & de fer'vir les autres en travaillant à notre falut. Il eft de la prudence d'attendre. l'heure de Dieu, & de certains momens favorables qu'on prévoit que la fuite des temps fera naître: c'eft ce qui a porté plufieurs faints à confeiller à des perfonnes élevées, à des magiftrats & même à des particuliers, de ne pas rendre fi-tôt leur converfion publique, afin de le pouvoir faire plus. utilement & avec moins d'oppofition, d'obftacle & d'inconvenient dans un autre temps: & il n'y a pas lieu de douter que ces faints ne donnaffent encore préfentement le même confeit dans de pareilles conjonctures.

XXXIIL

Il eft neanmoins difficile de juger qui font ceux qu'on peut laiffer quelque temps dans des engagemens pernicieux, ou dangereux à leur falut; & il faut confiderer fi les defordres

qui en naiffent regardent ces perfonnes mêmes, ou s'ils fe réduifent feulement au mauvais exemple qu'ils donnent,& au fcandale qu'ils caufent; car fi leur charge & leur emploi leur faifoit commettre des pechez mortels: & que les fpectacles, les pompes, les vifites qu'ils ne fauroient éviter leur fuffent des occafions prochaines de chûte, il ne faudroit pas en ce cas qu'ils differaffent un feul moment de tout quitter; puifque nulle raifon ne peut les obliger ni leur permettre de demeurer dans le peril de pecher, & dans une neceffité morale de ruiner entierement leur falut.

Mais pour le fcandale que caufe une perfonne de la cour, en continuane quelque temps d'aller à la comedie ou à d'autres divertissemens défendus, il femble d'autant moins confiderable, que tout le mal qu'il fait fe réduit à ne pas ceffer de donner un exemple qui a déja fait toute la mauvaife impreffion qu'il pouvoit faire, & auquel on a fujet de croire que perfonne ne prend plus garde. Comme d'ailleurs il très-important de bien fortir d'un lieu où l'on ne devoit jamais entrer, & de réparer en cette maniere le mal

eft

qu'on y a fait, il femble très-juste de differer un peu fa retraite, s'il y a lieu d'efperer qu'en la remettant à un autre temps on l'accompagnera de tant de lumiere de fageffe & de charité, qu'elle édifiera tout le monde; au lieu que la précipitation avec laquelle on s'y porteroit pourroit jetter dans des embarras infurmontables, & bleffer plûtôt qu'édifier ceux qui en feroient

témoins.

XXXIV.

Cependant les perfonnes envers qui l'on ufe de cette condefcendance, ne doivent s'en fervir qu'en tremblant; & en fe fouvenant avec amertume de cœur, qu'ils fe font eux-mêmes fait les chaînes, qu'il leur eft fi difficile de

rompre.

Cela les oblige de gémir beaucoup devant Dieu, afin qu'il les délivre de leurs malheureuses neceffitez, & de lui demander la fimplicité & la pureté de cœur qui leur font neceffaires dans une occafion fi importante. Ils ont fujet de craindre que fous prétexte de prudence & de ménagement, ils ne fe laiffent tromper à quelque paffion dont ils ne s'apperçoivent pas mais

furtout confiderer que la vie eft courte; que la mort les peut furprendre à tout moment, & qu'ils ne difpofent pas de l'avenir. Il faut donc qu'ils fe hâtent, de peur qu'en retardant trop l'execution de leur deffein, ils ne tombent dans le malheur de ceux qui témoignant toûjours vouloir fe retirer du monde, fe trouvent avoir tant d'affaires à terminer auparavant, qu'ils ne s'en retirent jamais. Il faut qu'ils prennent un terme fixe & court; & que fi ce qu'ils efperoient régler eft encore au même état après ce terme, ils ne different plus du tout, de peur que le démon ne difpofe tellement toutes chofes, qu'ils rencontrent toûjours les mêmes empêchemens, ou d'autres plus grands obftacles.