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chacun doit vouloir contribuer, foit par fes actions, foit par fes fouffran ces à la confervation de la focieté ci vile.

En agiffant de la forte, on ne fe trompe pas proprement en condamnant même des innocens ; car le jugement que l'on porte, n'est pas que celui qu'on condamne foit abfolument coupable; mais qu'il eft convaincu d'être coupable felon la mefure de vraisemblance, que les hommes ont justement prefcrite, pour agir & pour juger. Ainfi une perfonne très-innocente, & qui aimeroit parfaitement la juftice, devroit defirer d'être condamnée, lorfque le hazard auroit affemblé les circonftances, felon lef quelles les juges le doivent juger coupable.

Il y a affez de perfonnes qui pratiquent cette équité à l'égard des juges, & c'est au moins un difcours dont on fe fait honneur, que de dire qu'on ne leur en fait point mauvais gré, quand ils ont jugé felon les regles ordinaires.

Mais il n'en eft pas de même des autres qui jugent de nous fans autorité & fans devoir. On veut qu'ils foient abfolument infaillibles, & on croir

de quel

avoir droit de fe plaindre d'eux s'il leur arrivé de fe tromper, que vraisemblance foit appuyé.

que leur jugement

Cependant cela ne paroît pas touteàfait raisonnable, parce que le commerce de la vie obligeant d'agir & de parler, ce feroit réduire le monde à l'inaction & au filence, que de l'obliger à cette exactitude: outre que,comme j'ai dit à l'égard des juges; que les jugemens qu'ils portent ne font pas abfolument faux, parce qu'ils fignifient feulement qu'un homme paroît coupable felon les regles de la certitude humaine; de même, les difcours communs des hommes fe doivent entendre avec la même reftriction: & quand je dis, par exemple, qu'un homme a fait telle & telle chofe, cela doit être pris en ce fens, qu'il me paroît, qu'il a fait telle & telle chofe, felon les regles communes, felon lefquelles les hommes jugent les chofes certaines. Ainfi tout jugement qui n'eft pas conforme à la verité n'eft pas toujours témeraire, ni injufte ; & il ne doit être jugé tel que quand les preuves fur lefquelles il eft fondé ne font pas hu

mainement convaincantes.

Mais ce qui eft vrai, c'est qu'une preuve humainement convaincante, fe trouve quelquefois fauffe; & qu'ainfi il n'y faut pas adherer si absolument, qu'on lui donne une entiere certitude: en voici un exemple.

Une perfonne étant en peine d'un livre qu'on lui avoit prêté, & ne fachant où il étoit : étant certain d'ailleurs qu'il l'avoit eu dans une maifon, où la dame à qui elle appartenoir avoit grand defir de le lire; en ayant fait une recherche très-exacte dans tous les autres lieux,conclut de-là qu'il falloit qu'il fût demeuré dans la maison de cette dame. Comme il étoit dans cette difpofition, il rencontra une demoiselle très-fincere, qui avoit vû cette dame le jour d'auparavant; il ne manqua pas de lui découvrir fa peine & la pensée qu'il avoit que fon livre étoit demeuré dans le logis de cette dame. Sur cela cette demoiselle lui répondit, qu'il n'en fût plus en peine; qu'en effet il y étoit demeuré, & qu'elle l'avoit vû entre les mains de cette dame, qui lui avoit dit, qu'il falloit qu'elle le lût avec une extrême diligence. Elle ajoûta même, que ce n'étoit pas le premier volume,

mais le fecond de cet ouvrage, ce qui étoit vrai.

Sur ce rapport, il crat que ce livre

.

étoit en effet entre les mains de cette dame; & comme elle ne s'en défendit qu'en riant lorfqu'il le lui envoya redemander, & d'une maniere qui pouvoit plûtôt perfuader qu'elle l'avoit, que non pas, qu'elle ne l'eût pas ;. il crut que c'étoit un jeu, & qu'elle vouloit qu'il fût en peine de ce livre. Voilà le fait. En voici le dénouement.

La verité étoit que le livre étoit effectivement demeuré dans le logis de cette dame; mais qu'ayant été trouvé par fon mari, il le prit pour le lire : que la dame ne l'avoit point vû, & que le rapport de la demoiselle fincere n'étoit point vrai, & qu'elle s'étoit trompée en prenant un autre livre pour celui-là.

Il est donc certain qu'elle fe trompoit, mais elle fe trompoit de trèsbonne foi: & fur cela on demande, fi le jugement de celui qui cherchoit ce livre, fit que la dame qui s'en défendoit en riant, lui voulant donner une peine paffagere par un efpece de jeu, étoit témeraire.

Il femble qu'on doive conclure, que non, car 1°.

Il étoit appuyé fur une conjecture très-forte, qui eft ; que le livre étoit certainement demeuré dans la maifon de cette dame, & qu'il ne fe trouvoit nulle part ailleurs. 29. Cette dame defiroit en effet beaucoup de lire ce livre. 3°. Elle ne s'en défendoit qu'en riant, & d'une maniere qui perfuadoit qu'elle l'avoit.

Tout cela étoit confirmé par le témoignage pofitif d'une perfonne d'u ne fincerite irreprochable, qui difoit, de lui avoir vû entre les mains: qui la faifoit parler, & qui marquoit expreffement & avec certitude, que le livre qu'elle lui avoit vû, étoit le fecond tome de cet ouvrage.

Cependant cela n'étoit pas vrai, je l'avoue; mais quoique faux, il étoit fi vrai-femblable, qu'il étoit humai

hement convaincant.

On demande à la verité deux témoins pour convaincre un homme, mais on les demande, parce qu'on n'eft pas affuré de leur fincerité, & qu'on fuppofe qu'un témoin peut plus facilement mentir que deux. Que fi l'on avoit une entiere affurance de la fincerité d'un témoin, comme on l'avoit ici, on n'en demanderoit pas davan

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