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V.

Les hommes font naturellement plus fenfibles les uns que les autres ; il y en a qui fouffrent les plus grandes douleurs fans beaucoup d'affliction, & qui ne les augmentent point en fe ré préfentant leur durée, leur violence, leurs funeftes effets, ni l'impuiffance où ils font d'y apporter aucun remede: il y en a qui après la perte de leur bien, font comme s'ils n'avoient rien perdu; qui fe trouvent contents de n'être plus dans des charges confiderables, & qui ne s'inquietent point d'être méprifez. Il y en a qui ne verroient fouffrir & mourir leurs meilleurs amis & leurs plus proches parens, fans jetter une feule larme : & tout cela n'eft qu'un effet de leur infenfibilité.

V I.

Mais pour l'ordinaire les hommes tombent dans un excès contraire, & ne font que trop fenfibles; il y en a qui femblent n'avoir de l'efprit que pour augmenter leurs maux: les plus legeres maladies leur femblent mortel

les: les plus petites douleurs leur font entierement infuportables; les moindres pertes ou de leur argent, ou de leurs amis, les jettent dans le trouble & dans le defefpoir, & ils s'abandonnent tellement à leur paffion, qu'ils fe rendent incapables d'être foûtenus & confolez.

VII.

Après avoir fuppofé ces principes, il s'agit de fçavoir jufqu'à quel point nous devons être touchez des maux qui nous arrivent,ou qui arrivent à nos freres, & quelles regles il faut garder pour éviter l'excès, ou de dureté, ou de compaffion. Premierement, pour ce qui regarde les maux du corps, il feroit à defirer que l'ame fût tellement occupée de Dieu, qu'elle n'en fentît aucun; mais comme cela ne dépend pas de nous, & que ce nous eft ordinairement une neceffité de reffentir avec douleur les indifpofitions & les maladies, il eft de la prudence chrétienne de n'acroître pas nos maux par des craintes inutiles, ou par des imaginations fans fondement, & de les regarder plûtôt avec les yeux de la foi,

qui en ôte ce qu'ils ont de plus terrible & de plus fâcheux.

VIII.

Il faut même fe fervir des moyens que Dieu donne pour les diminuer, & ces moyens font 1°. De nous occuper autant qu'il nous eft poffible de nos devoirs, parce que l'oifiveté augmente les maux du corps & de l'efprit & les fait toujours paroître plus grands qu'ils ne font. 2o. Demander à Dieu d'autant plus fortement l'efprit de penitence, que fi on étoit bien touché, on trouveroit tant d'avantages dans les fouffrances, qu'on les aimeroit de tout fon cœur ; & que cet amour les rendroit aifées à fuporter. 30. Se fouvenir que Jefus-Chrift après fa réfurrection a voulu conferver en fa chair divine, les plaies qu'il avoit reçues des bourreaux, afin d'apprendre à fes dif. ciples, que s'ils font veritablement reffufcitez avec lui, ils doivent fe réjouir & fe glorifier de porter dans leurs corps, les marques fenfibles de sa pas

fion.

IX.

Dieu en voyant les maladies comme

des remedes neceffaires à la guérifon de l'ame; fi on ne peut s'exemter d'en fentir l'amertume, il faut au moins ne pas laiffer de les aimer dans la vûe du fruit qu'en tirent ceux qui en ufent chrétiennement. La fanté de l'ame eft fi importante & fi prétieuse, qu'il est de la prudence chrétienne de ne rien épargner pour y parvenir; & la feule confideration de ce bien eft capable d'adoucir tout ce que nous pouvons fouffrir dans notre corps, auffi bien que d'empêcher que nous ne nous laiffions aller à l'affliction, & de nous donner même de la joie au milieu des

tourmens.

X.

Comme les perfonnes fages qui defirent la fanté corporelle obéiffent exa&tement aux medecins, quoiqu'ils leur prefcrivent un régime fort defagréable & fort penible; nous fommes fans doute beaucoup plus obligez de recevoir humblement, & de tout le cœur, les fouffrances que Dieu nous envoye : & il n'y a point de veritable pieté fans cette foumiffion. Le Medecin celefte jugeant à propos d'appliquer le fer & le feu à nos plaies, le feul

moyen

moyen qui nous refte d'éviter la mort, c'eft de nous foumettre aux rigueurs de fa juftice, de les fouffrir en patience, de les preferer à tout autre état, & de n'en vouloir point fortir que par fon ordre. Or quand nous lui confer-: vons cette fidelité, on peut dire que les plus grands maux & les plus violentes douleurs nous caufent une veritable joie, quoique peut-être elle ne foit pas encore fenfible. Telle étoit la difpofition des martyrs, quand ils aimoient mieux fouffrir les plus cruels tourmens, que de renoncer à la foi : & quelque accablez qu'ils fuffent de douleurs, la joie interieure de leur cœur les y foutenoit avec tant de force, qu'elle les rendoit victorieux de tous les efforts de leurs ennemis.

XI.

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Si l'on doit être dans cette difpofition à l'égard de tout ce qui frappe le corps, jufqu'à s'eftimer heureux au milieu des fouffrances, & n'avoir aucune compaffion de foi-même; on eft encore plus obligé de ne fe point affliger quand on perd fes biens, ou ce que le monde appelle honneur. Les riches `Tome II.

I

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