1596. Elle eft fur La joie fut grande dans toute la Province cette nouvelle; mais il manquoit à celle du Missionnaire une chose, qui le rendoit le point d'einsensible à tous les éloges & les remercî-tre rompue. mens qu'on lui faisoit partout; il avoit presque perdu l'espérance de reconcilier le Cacique avec Dieu, & l'obstination de cet Apostat formoit un grand obstacle à la conversion entiere de sa Nation. Il courut même quelque tems après un bruit, que Piltipicon ne tenoit aucun compte de la paix qu'il avoit jurée, & qu'il s'étoit ligué avec un autre Cacique, déserteur comme lui de la Religion Chrétienne, pour ruiner une troisieme fois la Ville de Jujuy. Cela se difoit fans fondement; toutefois le Commandant de Jujuy crut devoir prendre ses fùretés, & aïant trouvé le secret d'attirer les deux Caciques dans sa Place, il les y retint Prifonniers. Nation. Il n'en falloit pas davantage pour rendre Converfion les Omaguacas irréconciliables avec les Ef- de toute la pagnols; mais le Pere Agnasco, qui par bonheur se trouva alors à Jujuy, & le Pere de Monroy, qui sur la nouvelle de ce qui se passoit y accourut, réparerent tout le mal: les deux Prisonniers furent élargis; route la Ville les caressa beaucoup ; on traita ensuite de bonne foi de part & d'autre; l'accommodement se fit par la conversion fincere des deux Caciques, & toute la Nation suivit bientôt leur exemple. Alors les deux Missionnaires crurent qu'il falloit la tirer du Canton où elle étoit, parcequ'on ne pouvoit pas esperer qu'elle y fûr long-tems à l'abri de la séduction, de la 1596. Le dernier 324 HISTOIRE part de ses Voisins, & ils n'eurent pas au tant de peine, qu'ils l'avoient cru, à l'y faire confentir. Ils la cuman, & elle fut mise sous la direction rapprocherent du Tud'un Ecclésiastique zélé, qui entendoit fort bien la Langue qui lui eft propre. Il y a bien de l'apparence lece de la pêcha le Pere de Monroy de cultivquieme des nouvelle Eglife, qui lui avoit tant coûté à meurt former, fut la perte, que fit alors la Miffion du Paraguay, d'un Miffionnaire, Maifon que remplacer. Le grand lui-seul étoit en état de âge du Pere Barfena, ses infirmités, qui augmentoient tous les jours, & l'impoffibilité d'obtenir de lui qu'il fe qu'il ne faisoit, avoient obligé fon Provinménageât plus cial de lui envoier un ordre absolu de se rendre à Cuzco. Il obéit, & le fruit de fon obéifsance fut une conquête, qui n'abregea point ses jours, rieusement une aussi belle vie que la fienne. & qui couronna bien gloLe dernier Prince qui restoit de la Maison des Incas, Souverains du Pérou, y étoit malade, lorsque le Pere Barsena y il lui rendit visite, lui parla du Dieu des arriva; Chrétiens avec cette onction, qui avoit toujours donné tant d'efficacité à ses paroles, le gagna, & l'instruifit; & peu de tems après qu'il l'eut baptifé, il eut la confolation de le voir mourir entre ses bras, remerciant Dieu de l'avoir mis en état de Mort de recevoir dans le Ciel une Couronne, au prix HeuxMillion- de laquelle il regardoit comme bien peu digne d'être regrettée., celle que les Espagnols avoient ravie à ses Peres. Le Pere Barsena de suivit bientôt à la gloire & naires. deux ans après le Pere Salonio mourut à PAssomption, victime de la charité. 1599. de Ortega Ces pertes furent bientôt remplacées : Avanture fin mais à mesure que les Ouvriers Evangéli-guliere du P ques se multiplioient dans ces Provinces, les besoins y croifloient auffi. Le Guayra s'ouvroit de plus en plus à l'Evangile, par le zele infatigable des Peres Filds & de Ortega, qui depuis huit ans comptoient presque tous leurs jours par des trouppes d'Infideles, qu'ils faifoient entrer dans le Bercail du fouverain Pafteur des Ames. Il est vrai que ce qu'il leur en coûtoit de travaux paroît au-dessus des forces humaines, & que les seuls voïages, qu'ils étoient souvent obligés de faire pour courir après les Infideles, étoient bien capables de ralentir un zele moins ardent, que celui dont ils étoient animés. J'en ai devant les yeux des Relations envoïées au Général de la Compagnie par un Homme très digne de foi, & dont j'aurai bientôt occafion de parler (1). Je me contenterai d'en rapporter ici un trait. Le Pere de Ortega traversoit, avec une trouppe de Néophytes, une Plaine qui séparoit deux Rivieres, dont l'une se décharge dans le Paraguay, & l'autre dans le Parana. Elles s'enflerent tout-à-coup l'une & l'autre d'une maniere si excessive, que toute la Plaine parut subitement comme une vafte Mer; & rien, dit-on, n'est plus ordinaire dans ce Païs-là, que ces grandes & fubites inondations, qui n'ont rien de reglé, & qu'on ne fauroit prévoir. Le Missionnaire ne fut pas fort étonné de celle-ci, & il crus (1) Le Pere Mastrilli, 1596. qu'il en seroit quitte pour marcher dans l'eau jusqu'à la ceinture, comme il luilétoit arrivé plus d'une fois; mais il perdit bientôt terre, & fut contraint, pour sauver sa vie, de monter sur un Arbre. Les Néophytes, qui l'accompagnoient, en firent de même mais n'aïant pas eu la précaution de choisir les plus grands Arbres, l'eau les gagna en très peu de tems. Le Pere plus prévoïant, ou plus heureux, étoit en sureté avec son Catechiste sur le sien; mais les cris des autres, qui cherchoient à s'attacher aux plus hautes branches, & qui étoient épuisés de fatigues, lui perçoient le cœur. L'inondation croissoit toujours, & comme les Voïageurs n'avoient aucunes provisions, ils se voïoient dans un danger manifeste, ou de mourir de faim, ou de tomber dans l'eau, de foiblesse, & d'y être submergés. Tandis que le Missionnaire faisoit ces triftes réflexions, il survint une pluie accompagnée de Tonnerres & d'un vent impétueux, qui augmenterent encore l'horreur d'une pareille situation; outre que les Tigres, les Lions, & quantité d'autres Bêtes féroces que le débordement avoit aussi surprises, les Serpens mêmes & les Viperes entraînés par les eaux, en couvroient la furface. Enfin un de ces Reptiles, d'une grandeur énorme, s'attacha à une des branches de l'arbre, sur lequel étoit le Pere de Ortega, qui s'attendoit d'en être bientôt dévoré, lorsque le poids de cet Animal aïant caffe la branche, il retomba dans l'eau, & tourna ensuite d'un autre côté. Il y avoit déja plus de deux jours, que les Voïageurs se trouvoient ainsi entre la vie & la mort: la tempête ne se calmoit point, l'eau croissoit même toujours, lorsque vers le milieu de la nuit, le Missionnaire apperçut à la lueur des éclairs, un de ses. Indiens, qui venoit à lui à la nage. Cet Homme, qui n'avoit pas non plus d'autre clarté pour se guider, dès qu'il se crut assez proche du Pere pour s'en faire entendre, lui cria que trois Catéchumenes & trois Chrétiens étoient près d'expirer, & demandoient les uns le Baptême, & les autres l'absolution. L'Homme Apoftolique ne délibera point; il commença par lier le mieux qu'il put son Catechiste, qui n'avoit plus la force de se soutenir, puis il le confessa, ensuite il se jetta dans l'eau pour suivre l'Indien qui l'appelloit, & malgré les vagues, & les branches d'arbres, la plupart hérissées d'épines, dont une lui perça la cuisse de part en part, il arriva auprès des Catéchumenes, menes, qui ne foutenoient plus que par les bras à des branches: il les baptifa, & un moment après il les vit tomber dans l'eau, où il ne put empêcher qu'ils ne se noïaffent. fe Il alla ensuite vers les trois Néophytes, auxquels il donna l'absolution, après leur avoir fait faire les Actes nécessaires, & dont deux périrent presqu'aussitôt. Il retourna à son arbre, & y arriva fort à propos pour son Catéchiste, qui avoit déja de l'eau. jusqu'au cou. Il le délia, & l'aida à monter sur une branche plus haute. L'eau commença le soir du même jour à baiffer, & dès que le Pere put mettre le pied fur la terre, il voulut visiter les Indiens, qu'il 1599 |