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beyro, & que cette relâche fut le commencement de ses malheurs, qui ne finirent qu'avec sa vie. Le mérite de Dom Jean Óforio, & peut-être aussi sa qualité d'Etranger, lui avoient fait bien des jaloux; ils le rendirent suspect à l'Adelantade, & lui donnerent à entendre que fon Lieute nant aspiroit à la Place qu'il occupoir. Osorio n'avoit donné aucun lieu à ces soupçons; mais fur certains articles, il suffit souvent d'être soupçonné pour être jugé coupable. Mendoze donna ordre qu'on le défit de ce prétendu Rival, & Oforio fut poignardé. Bien des gens en furent indignés; quelques-uns prirent le parti de rester au Brefil; d'autres voulurent retourner en Espagne, & prenoient déja des mesures. pour cela, lorsque Dom Pedre, qui en eut levent, fit appareiller.:

1535.

Arrivé au Cap de Sainte Marie', il apprit de ondation que fon Frere & tous ceux que la tempête Ayres. avoit séparés de lui, étoient aux Iles de S. Gabriel, & il ne tarda pas à les y joindre. Dom Diegue apprit alors avec beaucoup de surprise la mort de Dom Jean Oforio; il en fut pénétré de douleur, & dit assez haut, qu'il craignoit bien qu'une action fi indigne n'attirât la malédiction de Dieu sur son Frere & fur toute son Entreprise. Alors toute la Flotte se trouvant réunie entre les Iles de S. Gabriel & la Côte occidentale du Fleuve, Dom Pedre fut d'avis de faire fon premier Etablissement de ce côté-là. Il envoïa Dom Sanche del Campo pour y : choisir un emplacement fur & commode, & cet Officier le trouva dansun endroit où

1536.

Un Parti con

tinction.

la Côte n'a point encore tourné à l'Ouest,
& fur une pointe qui avance dans le Fleu
ve, vers le Nord. Mendoze y fit auffitôt
tracer le plan d'une Ville, qui fut nommée
Nueffa Señora de Buenos Ayrès, parceque
P'air y est très fain. Chacun mit fur le champ
la main à l'œuvre, & tout le monde fur
bientôt logé.

Mais on ne fut pas long-tems à s'apper-
fidérable d'Ef- cevoir que les Naturels du Païs ne voïoient
eft
pagnopar les pas de bon œil des Etrangers s'établir fi
Indiens, avec près d'eux, & que, fi on vouloit avoir des
perte de plu- vivres, dont on commençoit à manquer,
fieurs Perfon- il falloit faire la guerre. Dom Diegue de
nes de dif- Mendoze eut ordre d'en aller acheter, &
d'y aller avec main-forte. Il prit trois cens.
Soldats pour l'efcorter. Quelques Seigneurs
& plufieurs Gentilshommes voulurent l'ac-
compagner; & dès le second jour de fa
marche, il apperçut un Corps d'environ
trois mille Indiens postés derriere un Ruif
seau, qui se décharge dans un Marais, &
qu'il falloit paffer. La plupart étoient d'a-'
vis d'attendre que les Indiens le paffaffent:
eux-mêmes; mais Dom Diegue, après l'a
voir fait fonder,, & reconnu qu'il étoit
guéable, donna l'ordre pour le traverser..
Il fut obei, & les premiers étoient à-peine..
paflés, que les Indiens les envelopperent &
les chargerent avec tant de furie, qu'ils ne
leur donnerent pas le tems de se former.

Il se trouva encore que plusieurs avoient laiflé mouiller leurs armes en passant le ruiffeau, & ne purent s'en servir. Cependant, comme ils avoient été fuivis d'un grand nombre d'Espagnols, on ne laissa

:

1

i

point de tuer d'abord bien du monde aux Ennemis; mais ils n'en devinrent que plus 15364 furieux. Dom Barthelemi de Bracamonté & Dom Paraphernez de Ribera, suivis d'un petit nombre de Volontaires, voulurent percer un gros de ces Barbares; mais leurs chevaux, s'étant cabrés, les renverserent. Dom Jean Manrique courut à leur secours; mais il ne les sauva point & fut tué avec eux. Dom Diegue de Mendoze, qui les suivoit de près, voulur venger leur mort; mais il reçut un coup de pierre à la tête, & fut enveloppé par un grand nombre d'Indiens, qui le massacrerent, quoi que pûr faire Dom Pedre Ramirez Guzman, qui périt lui-même en voulant le tirer de leurs mains. Herrera nomme aussi, parmi les Morts, D. Pedre Benavidez, Neveu des Mendoze. Il fallut alors fonger à la retraite; mais la difficulté étoit de la faire & on prétend que, dans le défordre où étoient les Espagnols, si les Indiens s'étoient réunis pour les attaquer, il n'en seroit pas échappé un seul. Un Capitaine, nommé Luzan, fut tué en repassant le Ruiffeau, qui porte encore aujourd'hui son nom. Dom Sanche del Campo & D. François Ruiz Galan, qui se chargerent de la retraite, ne purent rassembler que cent quarante Fantassins & cinq Cavaliers; encore parmi ceux-là, plusieurs étoient blessés & moururent en chemin de leurs bleffures, de forte qu'il ne rentra dans la Ville que quatre-vingts hommes. On assure que tous ceux qui avoient à se reprocher la mort d'Oforio, périrent dans cette malheureuse

4536.

Famine ex

journée. Le châtiment de l'Adelantade
pour avoir été différé, n'en fut, comme
nous le verrons bientôt, que mieux marqué
au coin de la justice d'un Dieu vengeur de
l'innocence opprimée.

Elle devoit déja bien se faire fentir à Dom trême à Bue- Pedre par la grande perte qu'il venoit de nos Ayrès. faire, & peut-être que s'il eût reconnu

1

le bras qui le frappoit, il l'auroit dé-
farmé. Rien n'étoit plus triste que la situa-
tion où il se trouvoit la famine étoit
extrême à Buenos Ayrès, & il ne pouvoit
y remédier fans risquer de perdre tout ce
qui lui restoit d'Espagnols. Il étoit dange-
reux d'accoutumer les Infideles à répandre
le fang des Chrétiens, & Dom Pedre dé-
fendit, sous peine de la vie, de fortir de
l'enceinte de la Ville. Cependant, comme
la faim est un de ces maux extrêmes qui
ôtent la vue du danger & ne connoiffent
point de loix, Dom Pedre comprit qu'il ne
feroit pas obéi, s'il s'en tenoit là, & il
mit partout des Gardes, avec ordre de tirer
fur quiconque voudroit s'échapper.

Avanta- Cette précaution fut efficace : une seule re finguliere Femme, nommée Maldonata, vint à bout d'une Femme de tromper la vigilance des Gardes, & Dieu Espagnole. lui sauva deux fois la vie, par un de ces

traits de la Providence, que la seule no-
toriété publique peut mettre à l'abri de l'in-
crédulité de ceux qui se révoltent contre
tout ce qui tient du merveilleux. Cette
Femme, après avoir erré quelque tems dans
la Campagne, apperçut une Caverne où
elle crut trouver une retraite sure contre
tous les dangers qu'elle avoit à craindre;

:

mais elle y rencontra une Lionne, dont la vue la saisit de fraïeur. Les caresses que lui fit cet Animal la rassurerent un peu, & elle reconnut en même tems que ces caresses étoient intéressées. La Lionne étoit presque réduite aux abois, parcequ'étant pleine & à son terme elle ne pouvoit mettre bas. Maldonata ne balança point à lui donner le secours qu'elle sembloit lui demander, & il fut efficace. La Lionne, heureusement délivrée, ne borna point sa reconnoiffance aux marques sensibles qu'elle en donna fur le champ à sa Libératrice. Elle alloit tous les jours chercher de quoi vivre, & elle ne manqua jamais de mettre aux piés de Maldonata sa provifion pour toute la journée. Cela dura tant que ses Petits la retinrent dans la Caverne; dès qu'elle les en eut tirés, Maldonata ne la revit plus, & fut obligée d'aller chercher ailleurs de quoi subsister.

Elle ne fut pas long-tems sans être rencontrée par des Indiens, qui la firent Efclave, & fa captivité dura affez long-tems. Elle fut enfin reprise par des Espagnols, qui la ramenerent à Buenos Ayres. Dom Pedre de Mendoze n'y étoit pas, & Dom François Ruiz Galan y commandoit dans son absence. C'étoit un Homme dur jusqu'à la cruauté: il savoit que cette Femme étoit fortie de la Ville malgré les défenses, & il ne la crut pas suffisamment punie par une longue & dure captivité, il la condamna à la mort, & à un genre de fupplice qui ne pouvoit être imaginé que par un Tyran. Il la fit conduire par des Soldats au milieu d'une campagne, avec ordre de la lier à

1536.

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