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point de tuer d'abord bien du monde aux
Ennemis; mais ils n'en devinrent que plus
furieux. Dom Barthelemi de Bracamonté &
Dom Paraphernez de Ribera, fuivis d'un
petit nombre de Volontaires, voulurent
percer un gros de ces Barbares; mais leurs
chevaux, s'étant cabrés, les renverferent.
Dom Jean Manrique courut à leur fecours;
mais il ne les fauva point & fut tué avec
eux. Dom Diegue de Mendoze, qui les
fuivoit de près, voulut venger leur mort;
mais il reçut un coup de pierre à la tête, &"
fut enveloppé par un grand nombre d'In-
diens, qui le maffacrerent, quoi que pûr
faire Dom Pedre Ramirez Guzman, qui
périt lui-même en voulant le tirer de leurs
mains. Herrera nomme auffi, parmi les
Morts, D. Pedre Benavidez, Neveu des
Mendoze. Il fallut alors fonger à la re-
traite; mais la difficulté étoit de la faire
& on prétend que, dans le défordre ou
étoient les Efpagnols, fi les Indiens s'é-
toient réunis pour les attaquer, il n'en fe-
roit pas échappé un feul. Un Capitaine
nommé Luzan, fut tué en repaffant le Ruif-
feau, qui porte encore aujourd'hui fon
nom. Dom Sanche del Campo & D. Fran-
çois Ruiz Galan, qui fe chargerent de la
retraite, ne purent raffembler que cent
quarante Fantaffins & cinq Cavaliers ; en-
core parmi ceux-là, plufieurs étoient bleffés
& moururent en chemin de leurs bleffures
de forte qu'il ne rentra dans la Ville que
quatre-vingts hommes. On affure que tous
ceux qui avoient à fe reprocher la mort
d'Oforio, périrent dans cette malheureuse

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Famine ex

journée. Le châtiment de l'Adelantade, pour avoir été différé, n'en fut, comme nous le verrons bientôt, que mieux marqué au coin de la juftice d'un Dieu vengeur de l'innocence opprimée..

Elle devoit déja bien fe faire fentir à Dom trême à Bue- Pedre par la grande perte qu'il venoit de os Ayrès. faire,& peut-être que s'il eût reconnu le bras qui le frappoit, il l'auroit défarmé. Rien n'étoit plus trifte que la fitua tion où il fe trouvoit : la famine étoit extrême à Buenos Ayrès, & il ne pouvoit y remédier fans rifquer de perdre tout ce qui lui reftoit d'Efpagnols. Il étoit dangereux d'accoutumer les Infideles à répandre le fang des Chrétiens, & Dom Pedre défendit, fous peine de la vie, de fortir de l'enceinte de la Ville. Cependant, comme la faim eft un de ces maux extrêmes qui ôtent la vue du danger & ne connoissent point de loix, Dom Pedre comprit qu'il ne feroit pas obéi, s'il s'en tenoit là, & il mit partout des Gardes, avec ordre de tirer fur quiconque voudroit s'échapper.

Avanta

Cette précaution fut efficace: une feule re finguliere Femme, nommée Maldonata, vint à bout d'une Femme de tromper la vigilance des Gardes, & Dieu Espagnole. Lui fauva deux fois la vie, par un de ces traits de la Providence, que la feule notoriété publique peut mettre à l'abri de l'incrédulité de ceux qui fe révoltent contre tout ce qui tient du merveilleux. Cette Femme, après avoir erré quelque tems dans la Campagne, apperçut une Caverne où elle crut trouver une retraite fùre contre tous les dangers qu'elle avoit à craindre;

mais elle
Y rencontra une Lionne, dont la
vue la faifit de fraïeur. Les careffes que lui
fit cet Animal la raffurerent un peu, & elle
reconnut en même tems que ces careffes
étoient intéressées. La Lionne étoit prefque
réduite aux abois, parcequ'étant pleine &
à fon terme elle ne pouvoit mettre bas.
Maldonata ne balança point à lui donner
le fecours qu'elle fembloit lui demander, &
il fut efficace. La Lionne, heureusement
délivrée, ne borna point fa reconnoiffance
aux marques fenfibles qu'elle en donna fur
le champ à fa Libératrice. Elle alloit tous
les jours chercher de quoi vivre, & elle ne
manqua jamais de mettre aux piés de Mal-
donata fa provifion pour toute la journée.
Cela dura tant que fes Petits la retinrent
dans la Caverne; dès qu'elle les en eut tirés,
Maldonata ne la revit plus, & fut obligée
d'aller chercher ailleurs de quoi fubfifter.
Elle ne fut pas long-tems fans être ren-
contrée par
des Indiens, qui la firent Ef-
clave, & fa captivité dura affez long-tems.
Elle fut enfin reprife par des Espagnols, qui
la ramenerent à Buenos Ayrès. Dom Pedre
de Mendoze n'y étoit pas, & Dom Fran-
çois Ruiz Galan y commandoit dans fon
abfence. C'étoit un Homme dur jufqu'à la
cruauté il favoit que cette Femme étoit
fortie de la Ville malgré les défenses, & il
ne la crut pas fuffifamment punie par une
longue & dure captivité, il la condamna à
la mort, & à un genre de fupplice qui ne
pouvoit être imaginé que par un Tyran. Il
la fit conduire par des Soldats au milieu
d'une campagne, avec ordre de la lier à

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un arbre, & de l'y laiffer, ne doutant point. qu'elle ne fût bientôt dévorée par les Bêtes féroces.

Deux jours après il envoïa les mêmes Soldats pour voir ce qu'elle étoit devenue, & ils furent furpris de la trouver pleine de vie, quoiqu'environnée de Tigres & de Lions, qui n'ofoient en approcher,. parcequ'une Lionne, qui étoit à fes piés avec de jeunes Lionçaux, les en empêchoit. A la vue des Soldats elle fe retira un peu, comme pour leur laiffer la liberté de délier fa Bienfaitrice, ce qu'ils firent. Maldonata leur raconta l'histoire de cette Lionne > qu'elle avoit reconnue d'abord; & ils remarquerent que quand ils fe mirent en devoir de l'emmener avec eux, cet Animal la careffa beaucoup, & parut témoigner quelque regret de la voir s'éloigner. Sur le rapport qu'ils firent au Commandant de ce qu'ils venoient de voir, il comprit qu'il ne pouvoit pas fe difpenfer de faire grace à une Femme, que le Ciel avoit protégée d'une maniere fi marquée, à moins que de pa roître plus féroce que les Lions mêmes. L'Auteur de l'Argentina, qui le premier a écrit cette avanture, affure qu'il l'avoit ap prife de la voix publique, & de la bouche même de Maldonata, & le Pere del Techo dit, que quand il arriva au Paraguay, plu fieurs perfonnes lui en parlerent comme d'un événement, qui s'étoit paffé de leur tems, & que perfonne ne révoquoit en doute.

J'ai dit que Nouvel Eta-toit point à Buenos Ayrès, lorfque cette

Dom Pedre de Mendoze n'é

bliffement.

Femme fut ramenée de fa captivité dans cette Ville. Il avoit remonté Rio de la Plata, pour chercher un remede à la famine, qui lui avoit déja fait perdre deux cens perfonnes; & s'étant arrêté à confiderer les ruines de la Tour de Gabot, il en trouva la situation fi avantageufe, qu'il y conftruifit un nouveau Fort, auquel il donna le nom de Bonne Esperance, & que je trouve auff marquée fous celui de Corpus Chrifti. Ce qui le détermina encore plus à faire ce nouvel Etabliffement, c'eft que Dom Jean de Ayolas, fon Lieutenant de Roi, qui l'avoir devancé dans fon voiage, lui dit, qu'il trouveroit toujours des vivres chez les Timbuez, qu'il avoit eu le bonheur de reconcilier avec les Espagnols, ou chez les Caracoas leurs voifins. Il avoit même fait plus; car il avoit laiffé Dom François de Alvarado avec un Détachement à l'endroit où avoit été le Fort. Mendoze ne pouvoit qu'approuver cette conduite, & il ordonna à fon Lieutenant de continuer à remonter le Fleuve le plus loin qu'il feroit poffible avec trois Barques & cinquante Hommes qu'il lui donna; il permit en même tems à Dom Dominique Martinez de Irala, à Dom Jean Ponce de Léon, à Dom Louis Perez, qui felon quelques Mémoires étoit Frere de Sainte Thérefe, & à Dom Charles Dubrin, de l'accompagner; & il lui re commanda de lui faire favoir de fes nou→ velles dans quatre mois, s'il ne pouvoit pas les lui apporter lui-même..

Il n'avoit pu encore ramaffer affez de provifions pour faire entierement ceffer lar

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