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MISSIONS DE LA CHINE.

PREFACE.

sessions de son maître, expédia huit vaisseaux chargés de marchandises, et les mit sous le commandement de Fernand d'Andrada, avec Thomas Pereira, qui reçut le titre d'ambassadeur. D'Andrada, d'un caractère doux et liant, gagna l'amitié du mandarin gouverneur de Canton, et fit avec lui un traité de commerce avantageux.

Les tentatives faites pour introduire le christianis- | conquises, Lopez Souza, jaloux d'agrandir les posme dans les contrées centrales et orientales de l'Asie remontent aux temps les plus reculés. Dès le ve et le vie siècle on rencontre dans le Tibet, le Kaptchax et la Mongolie des traces d'ouvriers évangéliques. Les apotres de la foi se rendoient par terre de Constantinople à Gartope, et de là côtoyant les fleuves, franchissant les montagnes, traversant les forêts et les plaines, ils pénétroient jusqu'à l'empire du Catay, car c'étoit ainsi qu'ils nommoient la Chine septentrionale.

Les Arabes, qui s'étoient mis en rapport avec la partie méridionale du même empire, l'appeloient Sin ou Tsing, du nom de la dynastie qui régnoit lors de leur découverte, et c'est ce nom arabe qui, adopté par l'Europe, est devenu pour elle celui de Chine, qu'elle a donné depuis à toute cette vaste domination de l'Orient.

Les premières descriptions de ce pays nous vinrent de deux moines franciscains; l'un, Jean Carpin, né en Italie, l'autre, connu sous le nom de Rubruquis, né dans le Brabant.

Tous deux, au xe siècle, furent envoyés au camp des Tartares, savoir : Carpin, par le pape Innocent IV, et Rubruquis, par le roi Louis IX, pour ouvrir des communications qui devoient tourner au profit de P'Europe et de toute la chrétienté.

A leur retour ils publièrent des lettres qui furent dès ce temps-là curieuses et édifiantes, et qui excitèrent l'intérêt au plus haut point.

Nicolas et Matthieu Paolo, Vénitiens, mais surtout Mare Paolo, leur fils et neveu, voyagèrent vers la mème époque, s'enfoncèrent plus avant dans la contrée, et les récits qu'ils en firent étant venus à la connoissance de Henri III, roi de Portugal, ils firent naitre dans l'esprit hardi de ce prince l'idée d'une expédition qui devoit, par ses résultats inouïs, changer la face de la politique et du commerce.

En 1418, il fit armer deux vaisseaux, qui, s'étant élancés vers le sud, atteignirent le cap des Tempèles, le doublèrent, et parvinrent aux Indes par une route qu'aucun navire jusque-là n'avoit pratiquée.

Un établissement considérable fut fait à Goa, et un siècle après, en 1517, le vice-roi de ces provinces

Pereira partit pour se rendre à Pékin. Mais pendant qu'il étoit en route, les Portugais restés au bas de la rivière de Canton se conduisirent avec tant de violence, que les Chinois prirent les armes et leur retirèrent toute la faveur qu'ils leur avoient d'abord accordée.

L'empereur, promptement informé de ces excès, reçut fort mal Pereira; il le fit arrêter, charger de fers et reconduire à Canton, où le malheureux ambassadeur fut jeté dans un cachot où il périt de misère et de chagrin.

Cependant, quelques années après, les Portugais rentrèrent en grâce. Ils eurent occasion de rendre aux Chinois un service sigualé, et de réparer ainsi la faute qu'ils avoient commisc. Ils prirent un pirate qui infestoit les mers de la Chine et en désoloit les côtes. L'empereur, en reconnoissance de ce service, leur permit de s'établir à Macao, mais avec les restrictions sévères que les Chinois imposent encore aux Européens.

Saint François-Xavier avoit prèché au Japon. Son exemple excita le zèle des missionnaires, qui envahirent bientôt toute la colonie portugaise, contre la volonté des princes qui gouvernoient ces lointaines régions.

Il faut suivre ces premiers pasteurs et assister pour ainsi dire à leurs études, à leur préparation, à leurs travaux, pour juger de l'étendue de leur mérite, de la difficulté de leur entreprise, de la constance de leurs efforts et de la gloire de leurs succès.

Ce succès même excita l'envie, et ceux qui s'étoient voués à une tâche aussi louable et aussi pénible, attaqués dans leurs moyens et jusque dans leurs intentions, eurent besoin de défenseurs.

Laissons parler un de leurs apologistes, et traçons par son secours l'histoire abrégée des pères Ricci,

Schall et Vierbest, ces trois vénérables religieux, qui furent regardés comme les fondateurs des missions de la Chine.

Le P. Matthieu Ricci naquit à Macerate, dans la marche d'Ancône, en 1552. Après ses études de belles-lettres, il fut envoyé à Rome pour y faire son droit. Il n'y négligea pas la science du salut, et, se sentant appelé à la vie religieuse, il entra au noviciat des jésuites en 1571. Il eut pour naitre le P. Alexandre Valignan, missionnaire célèbre, qu'un prince de Portugal appeloit l'apôtre de l'Orient. Le disciple se sentit vivement inspiré par un tel maître, et quand ceJui-ci s'en retourna aux Indes, d'où il ne s'étoit absenté que pour un temps, l'autre n'eut point de repos qu'il ne fût admis à l'y accompagner. Dès que cette faveur lui cut été accordée, il redoubla ses soins pour apprendre tout ce qu'il étoit nécessaire de savoir afin de réussir dans la conversion des infidèles, et de bien remplir, de toutes façons, les devoirs qu'il s'étoit imposés. Car un dessein pareil à celui qu'il formoit exige qu'on joigne des connoissances profondes et sûres à des vues saines, justes, droites; à beaucoup de détachement et d'oubli de soi-même, de sang-❘ froid et de résolution.

Au jour marqué, Valignan partit pour Macao avec Ricci. Quand il y fut rendu, il se sentit extraordinairement touché de voir les Chinois, peuple si fameux, encore assis dans l'ombre de la mort. La difficulté de pénétrer dans une région ennemie de tous les étrangers ne le rebata pas. Ses premières tentatives n'eurent point de succès; mais elles ne lui firent pas perdre courage. On l'entendoit quelquefois soupirer et s'écrier, en se tournant vers le rivage de la Chine : «< Rocher, rocher, quand t'ouvriras-tu ? »

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Il choisit les ouvriers qu'il erut les plus propres à cette entreprise noble et difficile, et voulut qu'ils s'appliquassent surtout à apprendre la langue chinoise. Je ne crois pas que chez aucun peuple il y en ait une plus épineuse : elle n'a pas un grand nombre de mots, mais chaque mot y signifie un grand nombre de choses, dont il n'y a qu'un ton très-délicat qui détermine le vrai sens. L'écriture y est une science sans bornes, parce qu'il y a peu de termes qui ne 'écrivent avec un caractère particulier; mais que ne peut point la charité dans des cœurs bien pénétrés de Dieu! Les élèves du P. Valignan en surent bientôt assez pour entrer dans la Chine; mais ces voyages ne produisirent d'autres effets que de se procurer la bienveillance de quelques Chinois, de les familiariser un peu avec des étrangers, de diminuer l'horreur et le mépris qu'ils ont pour eux. Il fut cependant impossible de s'y arrèter plus longtemps, ce qui étoit néanmoins nécessaire pour y prècher et y établir solidement la religion. Ce ne fut qu'après bien des tentatives qu'on y réussit. La patience du P. Ricci surmonta tous les obstacles: Dieu bénit son courage, el, dans un temps où Macao et ses habitans avoient es

suyé de grandes pertes, il y trouva des secours pour acheter un terrain, båtir une maison, fournir à son entretien et à celui de deux de ses confrères, et faire des présens aux mandarins et aux autres officiers dont il falloit acheter la protection.

Ce fut au commencement de septembre 1583 que Ricci arriva à Choaquin, et obtint des lettres-patentes portant permission de s'y fixer, et d'y acheter un endroit convenable pour son habitation. Ce premier pas fait, il falloit étudier les mœurs de ses nouveaux hôtes, connoitre leur caractère, saisir les moyens les plus propres à les instruire, à les éclairer.

Le P. Ricci, étant depuis à Pékin, disoit qu'il étoit effrayé quand il pensoit à tout ce qu'il avoit faliu faire, et plus encore à ce qu'il avoit fallu éviter, pour en venir où il en étoit. De toutes les nations du monde, la chinoise est la plus délicate et la plus difficile à vivre pour les étrangers. Naturellement elle les méprise, et il faut qu'ils sachent s'y montrer par des endroits bien estimables, pour s'y attirer de l'estime. L'aversion est égale au mépris, et elle paroissoit en ce temps-là si insurmontable, qu'il n'y avoit qu'un grand intérêt qui pût faire tolérer aux Chinois le commerce d'une autre nation. Par-dessus tout cela, les conquêtes que les Espagnols et les Portugais avoient faites, depuis quelque temps, en divers lieux proches de la Chine, avoient inspiré beaucoup de défiance à ces peuples ombrageux, en sorte qu'aucun mandarin ne pouvoit voir sans inquiétude un étranger dans son gouverne

ment.

La connoissance de ces obstacles à surmonter fit résoudre les missionnaires à garder de grandes mesures, et à ne traiter avec les Chinois qu'avec une grande circonspection. Ils tâchèrent de les apprivoiser peu à peu, et de gaguer insensiblement leur estime par les sciences, pour gagner plus sûrement leurs cœurs par la prédication. Ils commencèrent à les attirer chez eux, en exposant dans leur chapelle des tableaux de dévotion très-bien peints; ce qui étoit une chose fort nouvelle pour les Chinois. Ensuite, comme ils n'ignoroient pas l'estime que ces peuples faisoient des mathématiques, le P. Ricci, qui avoit étudié à Rome sous le fameux Clavius, se fit une grande réputation par l'habileté qu'il y montra. Il leur fit une carte de géographie qui leur plut extraordinairement, et par laquelle il les détrompa de l'erreur grossière où ils étoient de croire que la plus grande partie du monde fût là Chine, et que tout le reste n'étoit que des morceaux de terre rangés autour d'elle pour lui servir d'ornement, s'étant toujours imaginė que la terre étoit carrée, et que la Chine en occupoit le milieu.

Cette opinion de science, où les missionnaires se mirent d'abord, leur attira l'estime des personnes distinguées par leurs emplois et par leurs talens. On les visitoit souvent, et l'on s'en retournoit d'auprès d'eux charmé de leur érudition, et même de ce qu'ils

disoient de la morale de notre religion; car ils commencèrent par là leur prédication, et, avant que de leur parler de nos mystères, ils expliquèrent, à ceux qui les visitoient, les préceptes du Décalogue.

Animé par ce premier succès, Ricci composa un petit catéchisme qui se répandit dans toute la Chine, mais qui ne produisit encore que des applaudissemens stériles. Le peuple mème étoit toujours également prévenu; il voyoit avec peine les égards que les grands avoient pour ces étrangers, et il les insultoit, les maltraitoit même toutes les fois qu'il en trouvoit l'occasion. Ces progrès si lents de la religion firent accuser les missionnaires de ménagemens politiques, et on commença dès lors à écrire contre eux et à déerier amèrement leur conduite.

Cependant Ricci avançoit toujours, faisoit quelques conversions, et, quoiqu'elles fussent en petit nombre, il crut devoir multiplier les résidences et les missionnaires. Ce fut sans succès : ils furent obligés de se retirer. Ricci resta seul assez longtemps, luttant toujours contre les préjugés et l'avidité du peuple et des mandarins. Il fut enfin obligé de céder à la tempète, et de se retirer à Macao.

Après un court séjour dans cette ville, il retourna dans sa chère mission, et, à la faveur des mathématiques, il s'établit dans une autre ville de la Chine, nommée Chao-Cheu. Il donna à quelques Chinois des leçons de cette science, pour les préparer à en recevoir de plus importantes sur la religion chrétienne et sur le salut.

Il retira quelques fruits de sa persévérance; on ouvrit enfin les yeux à la vérité, et le nombre des néophytes grossit et se multiplia; mais la populace, quoique contenue par les égards et la distinction dont les mandarins usoient envers Ricci, saisissoit toutes les occasions de marquer à ce Père et à ses coopérateurs les préventions et la haine qu'elle avoit contre eux; elle les maltraitoit de paroles, et quelquefois même les accabloit de coups de pierre. Ricci eut un autre chagrin bien plus amer; il perdit ses deux compagnons, le P. Antoine d'Almeyda et le P. François Petri, l'un et l'autre pleins de l'esprit de Dieu, de l'amour de la prière et de la mortification. Cette perte lui fut d'autant plus sensible, qu'elle arriva dans un temps où il avoit plus de besoin de leurs conseils: il méditoit le projet d'aller à Pékin, et d'y porter la lumière de l'Evangile. L'opinion qu'on avoit conçue de son habileté dans les mathématiques et dans la géographie lui parut propre à le faire parvenir jusqu'à l'empereur, et il se fattoit que, s'il pouvoit le rendre favorable à la religion, elle en feroit des progrès plus surs et plus rapides. Il erut que, pour exécuter ce grand dessein, il devoit quitter l'habit de bonze, assez 'méprisé à la Chine, et prendre celui des lettrés, qui | y est dans une grande considération. Il conjura ensuite un grand mandarin d'armes, dont il avoit gagné l'amitié et l'estime, et que l'empereur venoit d'ap

peler à la cour, de lui permettre de l'accompagner. Le mandarin y consentit. Ricci se mit en chemin avec lui; mais dans la route le mandarin changea d'avis, et, craignant qu'on ne lui fit une fâcheuse affaire d'avoir amené un étranger si avant dans l'empire, il voulut le renvoyer dans la province de Canton; mais à force d'instances, Ricci obtint de le suivre jusqu'à Nankin. Ne pouvant espérer de faire de solides biens dans cette grande ville, il reprit le chemin de Nanchan, repassant dans son esprit les immenses travaux qu'il avoit employés pour cultiver cette terre ingrate. Ces affligeantes pensées ne lui ôtoient cependant pas toute espérance. Il fut très-accueilli, très-recherché à Nanchan par le vice-roi, les mandarins et les lettrés. Il y composa quelques ouvrages de science et de morale qui furent goûtés et répandus dans toute la Chine. Le vice-roi lui proposa lui-même de s'arrêter dans cette ville. Le P. Ricci y établit une résidence, et obtint encore d'aller à Pékin avec un mandarin nommé président du premier tribunal de Nankin. I éprouva dans ce second voyage les mêmes désagrémens que dans le premier. Ce mandarin eut peur aussi de se compromettre; il l'insinua à Ricci. Il n'osa cependant refuser absolulument de tenir la promesse qu'il lui avoit faite, et le missionnaire l'accompagna jusqu'à la capitale. Pendant ce premier séjour, il reconnut, par des argumens qui lui parurent évidens, que Pékin n'est autre chose que le Cambalao de Paul de Venise, et lá Chine le royaume de Catay. I interrogea là-dessus deux Arabes, grands voyageurs, qui avoient mené un lion à l'empereur, et qui se trouvèrent de son avis.

Cependant Ricci, ne pouvant pas recueillir de son séjour à Pékin les avantages qu'il en avoit espérés pour la religion, résolut de s'en retourner à Nankin. Il s'embarqua sur la rivière de Pékin, qui tombe dans le fleuve Jaune, lequel aussi, par un canal, communique avec le Kiang; en sorte que, sans aucune interruption que la montagne de Muilin, on peut aller par eau de Pékin à Macao, quoique ces deux villes soient distantes d'environ 600 licues.

Ricci, avant de se rendre à Nankin, voulut aller å Secheu, dans la province de Sekiam. Secheu est la Venise de la Chine, à cela près, qu'au lieu que Venise est construite au milieu de la mer, Secheu est bà-tie dans l'eau douce. Elle est si riche et dans une situation si agréable, que les Chinois lui ont donné le nom de Paradis de la terre.

Ricci, arrivé à Nankin, y fit un établissement, et y reçut la visite de tous les grands et de tous les lettrés. Beaucoup de gens d'esprit se firent ses disciples, pour réformer à son école les fausses idées qu'avoient les Chinois dans presque toutes les sciences.

Leurs physiciens établissoient cinq élémens, desquels ils excluoient l'air, ne regardant l'espace qu'il occupe que comme un grand vide. Ils lui en sub

stituoient deux autres, qui étoient le bois et le métal. Toute leur astrologie, dont ils font une étude si longue et si assidue, ne leur avoit point encore bien appris que les éclipses de lune arrivent par l'interposi- | tion de la terre entre cette planète et le soleil, et le peuple surtout disoit sur cela des choses qu'on auroit peine à pardonner aux Américains les plus sauvages. Ils ignoroient le système du monde, et n'en avoient aucun vraisemblable. Leurs plus habiles géographes (tenoient comme un principe indubitable que la terre étoit carrée, et ne concevoient pas qu'il put y avoir des antipodes. La solide réfutation de toutes ces erreurs, et d'une infinité d'autres, fit écouter Ricci des savans comme un oracle. Il est aisé de concevoir combien l'ascendant des missionnaires fut encore plus grand sur quelques idolatres qui voulurent disputer contre lui sur la nature de Dieu et la véritable religion. Comme ces disputes furent publiques, l'approbation qu'on donna au P. Ricci fut si universelle, que, si l'on étoit persuadé toutes les fois que l'on est convaincu, les gens d'esprit de Nankin eussent dès lors confessé le vrai Dicu, et appris à connoître le culte qu'il faut lui rendre.

Ricci vit aussi à Nankin ou dans les environs plusieurs choses dignes de fixer l'attention et la curiosité. La première fut certains feux d'artifice auxquels il dit qu'on ne peut pas comparer ceux du reste du monde. Le P. d'Incarville, missionnaire à Pékin, en a depuis envoyé en France la recette et la composition.

La seconde, un observatoire bâti sur une haute montagne. On y voit une grande cour entourée de grands corps de logis, et pleine de machines, parmi lesquelles le P. Ricci en trouva quatre très-curieuses, qui, quoique toujours exposées à l'air depuis deux cent cinquante ans, n'avoient encore rien per du de leur poli et de leur lustre. La troisième rareté qu'on lui fit voir fut un temple très-magnifique, Lati dans un grand bois de pins dont l'enclos n'occupe guère moins de quatre lieues.

Ces occupations ne firent point oublier au missionnaire l'objet principal qui l'avoit attiré en Chine. Dieu répandit ses bénédictions sur ses travaux, et il jeta à Nankin les fondemens d'une église qui est devenue très-nombreuse, et assez florissante pour qu'on ait cru devoir l'ériger en évèché.

Le P. Ricci, toujours persuadé qu'il ne travailleroit jamais assez solidement sans la protection de l'empereur, entreprit un troisième voyage de Pékin, dès qu'il se vit assez de coopérateurs pour soutenir et augmenter le nombre des néophytes de Naukin. Il prépara donc ses présens pour l'empereur, et assemLla toutes les curiosités d'Europe qu'il s'étoit procurées de longue main pour cet objet. Il se n.it en route, et après bien des traverses et des contradictions, qui | auroient découragé tout autre qu'un missiounaire, plein de confiance en Dieu, il arriva à la capitale, et parvint enfin jusqu'à l'empereur, qui reçut agréal le

ment tous ses présens, parmi lesquels il y avoit un tableau du Sauveur et un de la très-sainte Vierge, une horloge, une montre avec sonnerie, etc. Ce prince lui permit de s'établir à Pékin, et d'entrer quatre fois l'année, avec ses compagnons, dans un des enclos du palais où il n'y a que les officiers de l'empereur qui aient le droit d'entrer.

Ce que le P. Ricci avoit prévu arriva. Il n'avoit recueilli de vingt ans de travaux et de patience que des persécutions cruelles, ou des applaudissemens stériles; mais la loi de Dieu et ses ministres n'eurent pas été plutôt connus à la cour, l'empereur ne les eut pas plutôt regardés favorablement, c'est-à-dire la grâce divine n'eut pas plutôt levé les obstacles de crainte et de mauvaise honte qui empêchoient les Chinois, timides et encore plus orgueilleux, de suivre une loi étrangère, que ceux des sages qui cherchoient sincèrement la vérité, l'embrassèrent dès qu'ils la connurent. La pluralité des femmes et la peur de manquer de postérité, ce qui passe à la Chine pour un grand malheur, en retint le plus grand nombre; mais la grâce vainquit en plusieurs, même des plus considérables par leur naissance et par leurs emplois, ces impérieuses cupidités; et leur exemple fut tellement suivi, que les missionnaires ne pouvoient y suffire, quoiqu'on en cût envoyé beaucoup de nouveaux, et déjà formés et pleins de zèle.

Le P. Ricci et ses compagnons étendirent leurs soins au delà de la capitale; ils firent des excursions dans les campagnes, dans les provinces; ils annoncèrent l'Evangile; ils firent goûter et suivre la doctrine chrétienne. Les nouveaux chrétiens devinrent de nouveaux apôtres. Leur changement, la pureté de leurs mœurs, leur modestie, leur douceur, leur patience, leur désintéressement, leur charité, persuadèrent, autant et peut-être plus que les prédications des missionnaires, que la religion qu'ils avoient apportée d'Europe étoit la seule qu'on dût embrasser et pratiquer.

Quels sont les préceptes de la philosophie qui produisent ces révolutions dans les idées, dans les sentimens, dans les actions? On cherche un code de morale qui rende les hommes meilleurs : l'Evangile nous le présente, on le rejette; il nous vient de Dieu, et ce n'est plus que par des hommes trompeurs ou trompés, ce n'est plus que par des aveugles, que, dans ce siècle, on veut être conduit et éclairé ! Nolumus hunc regnare super nos.

Il s'éleva de tous côtés des églises nombreuses et florissantes, et la longue et constante persévérance du premier ouvrier évangélique de la Chine fut enfin récompensée par le succès le plus touchant, le plus désirable. Les établissemens formés à Naukin et à Nanchan s'acerurent, se fortifèrent : Dieu y étoit servi et aimé, et les néophytes y donnoient l'exemple des plus sublimes vertus, et retraçoient la vie et le courage des premiers siècles du christianisme.

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