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Après trois mois de navigation, nous partimes du cap de Bonne-Espérance le 10 juin de l'année 1698; c'étoit plus de la moitié du chemin de fait, si nous avions été assez heureux pour entrer dans le détroit de la Sonde. Ceux qui connoissent ces mers, savent qu'on fait ordinairement en deux mois le trajet du Cap à Batavia 2. Il nous étoit d'autant plus aisé de le faire, que nous allâmes à merveille jusque vers les quatre-vingt-dix degrés de longitude. Quand nous y fûmes, on crut qu'il étoit temps de s'élever en latitude; on s'éleva si bien, qu'étant le 21 juillet vers les six degrés et demi de latitude, qui est à peu près la hauteur de Java, on espéroit voir la terre. Cependant, avançant toujours, on se trouva, le 26 juillet, à quatre degrés et demi sans avoir rien vu, et ce ne fut que le 31 qu'on aperçut la terre de Sumatra. Mais le détroit de la Sonde étoit manqué de plus de soixante lieues, et il n'y avoit pas moyen d'y revenir. Il faut que l'erreur de nos pilotes sur la longitude ait été énorme. Nous nous trouvâmes donc fort en peine comment nous pourrions gagner la Chine cette année-là. Mais voyant que les secours humains nous manquoient, nous cùmes recours à Dieu et à l'apôtre des Indes, saint François-Xavier, pour obtenir la grâce d'arriver cette année au terme de nos désirs.

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Nous avions déjà commencé la dévotion des dix vendredis 3 en l'honneur de ce grand saint, nous y ajoutâmes un vœu par lequel tout le monde s'engagea de communier au premier port de la Chine où l'on toucheroit cette année, ou de contribuer quelque chose pour bâtir, en l'ile de Sancian, une petite chapelle sur le tombeau de cet apòtre, afin de le mettre à couvert de la pluie, et de pouvoir commodément y dire la messe.

Au reste, faisant réflexion sur notre disgrâce, et pour ne pas manquer, comme nous

L'ile de Java, qui est au midi du royaume de

Siam, forme, avec l'ile de Sumatra, le détroit de la Sonde, qu'on appelle aussi le détroit de Java.

C'est la ville capitale des états que les Hollandois ont aux Indes Orientales; elle est située sur la côte septentrionale de l'île de Java.

* Saint François-Xavier prècha l'Évangile dans les Indes pendant dix ans, et c'est en mémoire de ces dix années qu'on fait quelques prières ou quelque autre dévotion, dix vendredis de suite, en l'honneur de ce grand saint. On a fixé cette dévotion au vendredi, parce que saint François-Xavier mourut en l'ile de Sancian un vendredi 2 de décembre 1552.

| avions fait, le détroit de la Sonde, il nous paroit qu'au sortir du Cap, quand nous cûmes trouvé les vents d'ouest, il eût fallu faire constamment la longitude jusque vers les cent degrés ; au lieu que, dès le quatre-vingt-dixième, nous commençâmes à nous élever en latitude, ou, pour parler plus franchement, nous ne sûmes longtemps où nous étions, quoique nous crussions très-bien le savoir. Et quand on se sera trompé autant que nous le fûmes dans l'estimation des longitudes, on s'égarera nécessairement ensuite autant ou plus encore que nous.

Nous ne pûmes attraper Achen' que le dixhuitième jour d'août. Il nous fallut essuyer, pendant plus de trois semaines, tout ce que la ligne a de plus terrible, c'est-à-dire les calmes, les chaleurs, les pluies et la mauvaise nourriture; car les vivres se gâtent et se corrompent sous la ligne : c'est de quoi exercer de nouveaux missionnaires à souffrir quelque chose pour Jésus-Christ. Notre santé cependant étoit merveilleuse, et Dieu ne nous laissa point sans consolation; ce qui nous convainquit parfaitement que, tout dépendant de lui, il ne pouvoit rien nous arriver qui ne nous fût très-avantageux.

Tout ce qu'on voit à Achen est si singulier, que j'ai regretté cent fois de ne savoir pas dessiner, pour peindre ici, en quelque sorte, ce que je ne pourrois expliquer qu'imparfaitement. On sait assez quelle a été la puissance des Achenois; il ne faut, pour en être instruit, que lire la vie de saint François-Xavier; mais je ne crois pas qu'on sache en quel état so trouve aujourd'hui ce royaume; ni ce que c'est que la ville capitale ; j'abuse peut-être des termes, d'appeler une ville capitale un amas confus d'arbres et de maisons.

Imaginez-vous, s'il vous plaît, une forêt de cocotiers, de bambous, d'ananas, de bananiers, au milicu de laquelle passe une assez belle rivière toute couverte de bateaux; mettez, dans cette forêt, un nombre incroyable de maisons faites avec des cannes, des roseaux, des écorces, et disposez-les de telle manière qu'elles forment tantôt des rues et tantòl des quartiers séparés; coupez ces divers quartiers de prairies et de bois; répandez partout, dans cette grande forêt, autant d'hommes qu'on en 'C'est la ville capitale du royaume d'Achen, en l'ile de Sumatra,

voit dans nos villes lorsqu'elles sont bien peuplées, vous vous formerez une idée assez juste d'Achen, et vous conviendrez qu'une ville de ce goût nouveau peut faire plaisir à des étrangers qui passent. Il y a à Achen toutes sortes de nations, et chaque nation a son quartier et son église. Celle des Portugais, qui sont pauvres et en petit nombre, est entre les mains d'un Père cordelier, qui n'a pas peu à travailler, et qui n'a guère dans son travail de consolation à espérer de la part des hommes.

La situation du port d'Achen est admirable, le mouillage excellent, et toute la côte fort saine. Le port est un grand bassin, qui est borné d'un côté par la terre ferme de Sumatra, et des autres, par deux ou trois fles qui laissent entre elles des passes ou des chemins, l'un pour aller à Malaque, l'autre pour Bengale, et l'autre pour Surale. Quand on est dans la rade, on n'aperçoit aucun vestige ni aucune apparence de ville, parce que de grands arbres qui bordent le rivage en cachent toutes les maisons; mais outre le paysage, qui est très-beau, rien n'est plus agréable que de voir, le matin, une infinité de petits bateaux de pê cheurs qui sortent de la rivière avec le jour, rivière avec le jour, et qui ne rentrent que le soir, lorsque le soleil se couche. Vous diriez un essaim d'abeilles qui reviennent à la ruche chargées du fruit de leur travail.

Ces petits paraux ou barques de pêcheurs n'ont pas plus de trois pieds de large, et environ vingt de long. Tout y est extrêmement propre, tant au dedans qu'au dehors; les planches en sont si bien jointes, qu'il ne faut ni éloupes ni goudron pour les calfater, el ces barques paroissent toujours comme neuves. On ne se sert point de rames pour les faire aller, mais d'une voile faite de natte très-fine et trés-légère, qui paroft deux fois plus grande qu'il ne faudroit par rapport au corps du parau. L'art a su remédier à cet inconvénient. Il y a, aux deux bouts de la barque, deux perches assez longues. Au haut de chaque perche est attachée une pièce de bois courbée vers la mer, en forme d'arc, de toute la largeur du petit bâtiment. Chaque arc tient à celui qui est vis-à-vis par une pièce de bois assez pesante. Ces deux pièces sont attachées. aux extrémités de l'arc, et, faisant un contrepoids l'une contre l'autre, forment une espèce de balancier qui empêche ces petits canols de

se renverser; de cette manière, le moindre vent les pousse, et ils volent sur l'eau avec une rapidité surprenante, sans appréhender les plus furieux coups de mer.

Pour entrer dans la rivière, on prend un assez grand détour, à cause d'un banc de sable qu'elle forme en se déchargeant dans la mer. On nage ensuite environ un bon quart de lieue entre deux petits bois de cocos et d'autres arbres qui ne perdent jamais leur verdure, et que la scule nature a plantés là.

A travers ces arbres on commence à découvrir quelque chose, de la ville dont j'ai parlé. Elle me parut d'abord comme ces paysages sortis de l'imagination d'un peintre ou d'un poëte, qui rassemble sous un coup d'œil tout ce que la campagne a de plus riant. Tout est négligé et naturel, champêtre et même un peu sauvage.

Je n'ai pu rien apprendre de certain touchant le gouvernement présent de ce royaume. On parle encore quelquefois d'une reine d'Achen, mais je crois que c'est une fable; ou s'il y en a une, elle n'a qu'un fantôme de royauté ; quatre ou cinq des principaux orançois' partagent entre eux le pouvoir, qui n'est nécessairement pas grand' chose. Les Achenois ne sont plus rien, leur pays ne porte ni froment ni vigne; le commerce roule sur le poivre et sur l'or; il n'est pas besoin d'ouvrir ni de creuser dans les entrailles de la terre pour y chercher ce précieux métal. On le amasse sur le penchant des montagnes, et on le trouve par petits morceaux dans les ravines où les eaux l'entraînent. L'or d'Achen est estimé et passe pour le plus pur qui se trouve.

Quand on a passé le détroit de Malaque, on peut se vanter d'être hors de la plus difficile et de la plus fatigante navigation qu'on puisse faire. Nous y avons pensé périr par deux fois. Nous y entrâmes le 23 août et nous n'en sortimes tout à fait que le 20 de septembre. C'est vingtneuf jours pour faire deux cent vingt lieues : on iroit bien plus vite par terre. On ne faisoit que jeter el retirer l'anere, et, pour comble de disgrace, nous n'avions qu'un misérable pilote portugais qui ne voyoit presque goutte, et qui étoit perdu du moment qu'il perdoit la terre de vue. Nos pilotes françois ont appris ce chemin à leurs dépens, et ils ont eu tout le loisir d'en faire des cartes bien meilleures que Ce sont les plus grands seigneurs du pays.

tout ce qu'on a fait jusqu'ici. Je marquerai, à la fin de celle lettre, la route qu'on doit tenir pour passer sûrement ce détroit et celui de Gobernadour.

La ville de Malaque est éloignée d'Achen d'environ cent cinquante lieues. On y trouve les mêmes agrémens qu'on voit à Achen. C'est encore ici de la verdure en quantité, des paysages champêtres; mais les maisons sont mieux bâties. Il y a un plus grand concours de nations, un plus grand commerce, beaucoup plus d'Européens, et un air moins négligé qu'à Achen, sans pourtant que l'art cache la nature. La ville est séparée de la forteresse par une rivière, qui, venant à se joindre à la mer lorsque la marée est haute, fait que la citadelle demeure isolée. Cette forteresse est grande comme la ville de Saint-Malo, et renferme dans son enceinte une colline sur laquelle on voit encore les restes de notre église de Saint-Paul, où saint François-Xavier a tant prêché. La garnison n'est que de deux cent quinze hommes et six cavaliers. Plusieurs sont catholiques; le tout est ramassé de diverses nations d'Europe. Ses bastions sont assez bons, il y a de beaux canons et en quantité, mais peu de monde pour les servir; la rade est belle et vaste, c'est une ansc que la côte forme en cet endroit; nous n'y avons trouvé que deux ou trois méchans navires sans défense, et des barques construites à la façon des Indes. Les fruits de Malaque sont délicats; on en trouve de toutes les espèces. Il y a des mosquées pour les Maures, un temple dédié aux idoles de la Chine; enfin l'exercice public de toutes sortes de sectes y est permis par les Hollandois. La seule vraie religion en est bannie. Les catholiques sont contraints de s'enfoncer dans l'épaisseur des bois pour y célébrer les sacrés mystères.

Nous passâmes à sept lieues de Malaque, visà-vis d'un port qui vaut bien Malaque même. C'est une autre anse très-commode, avec une jolie rivière, dans laquelle on peut entrer. Avant que de quitter Malaque, je vous dirai que nous nous y sommes vus à deux doigts de notre perte. La nuit du 10 septembre, il s'éleva tout d'un coup une si furieuse tempête, que nous n'avions encore rien vu de semblable. L'air étoit en feu, la mer en furie, le vent terrible, et la pluie effroyable. Comme on ne croyoit demeurer ici qu'un jour au plus, que d'ailleurs la mer y est ordinairement assez calme, on

n'ayoit mouillé qu'une ancre, la plupart des matelots étoient allés à terre, et le peu qui restoient dormoient en assurance. L'orage les éveilla bientôt on jela le mieux qu'on put une seconde ancre à la mer, il en fallut jeler une troisième, et si M. de La Roque n'avoit fait travailler tout l'équipage, et virer continuellement au cabestan', nous nous serions infailliblement perdus. Nous demeurâmes à vingt pieds d'eau jusqu'à deux heures du matin que nous mimes à la voile.

Le 24 septembre nous étions à la vue de Polcondor, avec un vent favorable. On avoit quelque dessein de relâcher à cette fle, mais le vent devenant encore meilleur pour aller en route, il se trouva directement contraire pour relâcher à Polcondor, dont le mouillage étoit difficile, et la passe trop étroite pour pouvoir louvoyer *.

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Le 29 on savoit bien à peu près que nous étions par le travers d'un grand banc de roche, qui a plus de cent licues de long et qu'on appelle le Paracel, mais on ne s'attendoit pas que nous irions nous mettre au milieu. On sonda le soir vers les quatre heures, et l'on ne trouva point le fond. Il survint un grain 1 de vent, qui nous fit faire bien du chemin en peu d'heures. A cinq heures et demie, comme on alloit dire la prière, on fut surpris de voir la mer qui changcoit tout à fait de couleur. Après la prière on vit très-distinctement le fond, qui étoit de rochers très-pointus. Voilà une grande alarme, tout le monde se crut perdu sans ressource: on sonde, et l'on ne trouve que sept brasses; on monte à la découverte, et l'on voit la mer blanchir et briser devant nous. Si l'on s'étoit trouvé là pendant la nuit, ou s'il étoit survenu un de ces coups de vent qui sont si ordinaires dans ces mers, nous aurions péri à coup sûr. Tout ce qu'on put faire fut de rebrousser chemin et de retourner promptement sur ses pas.

C'est une machine de bois qui tourne sur un pivot et qui sert ordinairement à lever les ancres du fond de la mer.

2 Une passe est un espace de mer entre des terres ou des banes de sable, par où les vaisseaux passent. 3 C'est un terme de marine qui signifie aller tantôt d'un côté et tantôt d'un autre, au plus près du vent que l'on peut.

↑ Un grain, en terme de marine, est un nuage qui passe promptement, et qui en passant cause un grand vent et de grosses ondées de pluie.

La nuit approchoit, et l'on trouvoit un fond inégal, et toujours des rochers plus durs que le fer. On ne douta pas que nous ne fussions sur le Paracel, et l'on attendoit le moment que notre vaisseau se briseroit comme un verre. Dieu travailloit pour nous sans que nous le sussions encore. Un grain, qui paroissoit devant nous, s'étant dissipé assez vite, il s'éleva un petit vent arrière, qui nous retira des portes de la mort. Tant que dura le danger, on n'entendoit point sur le vaisseau tout ce tintamarre qui s'y entend presque toujours. C'étoit un triste et sombre silence; la conscience, si j'ose ainsi parler, paroissoit peinte sur le visage d'un chacun.

C'étoit l'île de Sancian' où saint FrançoisXavier nous avoit conduits, à une journée de son tombeau. Les premiers jours on ne savoit où l'on étoit, et à peine vouloit-on nous croire, nous autres jésuites, après que nous eûmes été à ce glorieux tombeau pour satisfaire notre dévotion, et pour nous acquitter d'un vœu que nous avions fait. Nous partimes pour ce saint pèlerinage un jeudi, neuvième d'octobre; et après avoir fait quatre bonnes lieues par mer et une par terre, nous nous trouvâmes tout d'un coup au lieu que nous cherchions. Nous aperçumes une assez grande pierre élevée debout, et du moment que nous pûmes lire ces trois ou quatre mots portugais, Aqui foi se

plusieurs fois une terre si sainte; quelques-uns l'arrosèrent de leurs larmes ; et je me trouvai pénétré de sentimens si vifs, si doux et si consolans, que je fus plus d'un quart d'heure comme ravi et sans pouvoir penser à autre chose qu'à goûter ce que je sentois.

J'appris en celle occasion, par mon expé-pultado san Franco-Xavier, nous baisâmes rience, ce que j'avois lu souvent dans diverses relations, la différence qu'il y a entre le danger quand on le voit de loin au pied d'un oratoire, et quand on s'y trouve engagé. N'ayant plus vraisemblablement qu'un moment de vie, jamais les grandes vérités que nous méditons si souvent ne s'étoient présentées de cette sorte à mon esprit. Qu'on se trouve alors heureux d'avoir entrepris quelque chose pour Dieu, et qu'on forme aisément la résolution de s'épargner moins que jamais à l'avenir !

Entre sept ou huit heures du soir on sonda, et comme on ne trouvoit plus de fond, on se vit hers de danger; mais si le péril passa, j'espère que l'impression qu'il fit dans le cœur de plusieurs personnes ne passera pas si vite, et qu'elle produira les fruits qu'il est probable que Dieu a singulièrement en vue quand il excite de pareilles tempêtes.

Je ne sais pas ce que Dieu nous prépare à la Chine, mais nous n'avons pas été jusqu'ici sans épreuves. Les anciens missionnaires disent que c'est bon signe: au moins, grâces à Dieu, nous ne souhaitons rien plus ardemment que de répondre fidèlement aux desseins que le Ciel a

sur nous.

Quoique nous ne fussions pas loin de la Chine, nous étions encore en grand danger de n'y pas arriver, parce que la saison étoit passée, et que les vents étoient dérangés depuis le 27 de septembre. Nous redoublâmes nos prières. Le père Bouvet fit paroître plus que jamais son zèle et sa confiance en Dieu, qui nous exauça enfin ; car le quinzième d'octobre, vers les sept heures du matin, nous vîmes la terre promise.

Après ces premiers transports de ferveur, nous examinâmes exactement ce monument, puis avec des branches d'arbres et un morceau de voile nous bâtimes une pauvre tente, qui ne représentoit pas mal la cabane sous laquelle saint François-Xavier mourut. Enfin nous chantâmes le Te Deum avec les litanies du saint, et nous entrâmes dans la plus belle et la plus charmante nuit qu'on puisse peutêtre passer en ce monde.

Que le plaisir qu'on goûte est pur lorsque, dans une occasion comme celle-ci, l'on se communique les uns aux autres tout ce qu'on pense et tout ce qu'on sent au fond du cœur! Nous commençons, disoit l'un, notre apostolat dans le lieu où saint François-Xavier acheva le sien. Il ne put pénétrer plus avant dans le vaste empire de la Chine, et nous y allons entrer sans aucun obstacle. Que ne devonsnous pas espérer d'y faire pour la gloire de Dieu sous la protection d'un saint qui a pu nous en ouvrir la porte? Il mourut ici pour la gloire de Jésus-Christ, disoit l'autre, épuisé de travaux, après avoir converti des nations entières aurions-nous bien le bonheur de mourir de même? On chantoit ensuite les litanies de la très-sainte Vierge. Dans une autre pause, on disoit le chapelet, on revenoit aux Chang-tchuen - chan, sur la côte de la province de Canton.

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louanges du saint, et ces prières étoient mêlées d'entretiens qui valoient bien des prières. | L'on parcouroit les vertus de l'apôtre de l'Orient; je n'en trouvois aucune dont je n'eusse besoin et qui ne me manquât. Quelqu'un se souvint de cette nuit que saint Ignace passa tout entière dans l'église de Monferrat devant l'image de la très-sainte Vierge, lorsqu'il se voulut consacrer entièrement à Dieu. La veille que nous fimes au tombeau du saint apôtre nous parut assez semblable, et nous la nommâmes notre nuit d'armes.

Avec ces sortes de réflexions nous vimes renaître le jour, et nous cûmes l'avantage et la consolation, huit prêtres que nous étions, de dire la sainte messe en ce lieu-là un vendredi, jour de saint François de Borgia. La pierre du tombeau de l'apôtre des Indes faisoit le fond de notre autel, que nous avions élevé sur l'endroit même, où il paroit clairement que ce saint fut enterré. Nous sommes non-seulement les premiers jésuites françois qui aient eu cet honneur, mais même personne ne l'a cu avant nous, que le père Caraccio, jésuite italien, de grand mérite, mort depuis peu des fatigues immenses de ses travaux apostoliques. Après les messes on chanta de nouveau le Te Deum, on baisa la terre cent fois, nous en primes tous avec respect pour nous en servir comme d'une précieuse relique, et nous nous en revinmes chantant les louanges du saint, dont nous vcnions de tâcher de recueillir l'esprit.

Nous voilà enfin arrivés à la Chine au bout de sept mois, puisque nous parlimes de La Rochelle le 7 de mars (1698), et que nous avons mouillé devant Sancian le 6 d'octobre; et encore de ces sept mois il faut retrancher plus de vingt jours qu'on a perdus au cap, à Achen, à Malaque et à deux ou trois les désertes, et qu'on auroit peut-être pu mieux employer. 1 faut de plus en òter tout le temps qu'on a mis à gagner Achen, et à passer le détroit de Malaque; c'est toujours près de deux mois. Il n'en falloit pas tant pour aller droit de Java jusqu'à la Chine et je ne m'étonne pas qu'un pelit navire anglois que nous avons trouvé à Canton n'ait mis que cinq mois, et même un peu moins, à faire son voyage. On verra du moins par le notre qu'en six mois, pourvu que l'on ne s'égare pas, on peut venir fort aisément de France à la Chine.

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encore rendus au terme, et, sans le père Bouvet, il eût fallu rester où nous nous trouvions. Il partit pour aller trouver le mandarin le plus proche, qui demeure à une petite ville nommée Coang-hai. Il envoya bientôt de la des nouvelles et du secours à M. de La Roque. Un mandarin vint avec des pilotes côtiers, qui répondirent sur leur tête de mener le vaisseau jusqu'à plus de la moitié du chemin de Canton. Il y avoit deux routes pour y aller. L'une au travers des îles, l'autre en prenant le large; mais cette route étoit dangereuse en cette saison, où il ne faut qu'un coup de vent pour pousser un vaisseau très-loin, et l'obliger d'aller relâcher jusqu'aux Moluques. Nous primes cependant ce dernier chemin, en louvoyant opiniâtrément jusqu'à Macao. Nous n'appareillâmes' devant Sancian que le 13 d'octobre, et nous mouillâmes le 24 devant l'ile de Macao. Pendant ce temps-là le père Bouvet passa de Coang-haí á Canton pour donner avis à la cour de son arrivée; et après avoir écrit et pris des mesures avec les mandarins, il revint au-devant du vaisseau par dedans les îles.

La ville de Macao est bâtie dans une petite péninsule, ou plutôt sur la pointe d'une fle, qui porte ce nom. Cette langue de terre ne tient au reste de l'ile que par une gorge fort étroite, où l'on a bâti une muraille de séparation. Quand on mouille au dehors, comme nous fimes, on ne voit de tous côtés que des fles, qui font un grand cercle, et l'on ne découvre que deux ou trois forteresses sur des hauteurs, et quelques maisons qui sont à un bout de la ville on diroit même que les forteresses et les maisons tiennent à une terre fort élevéc, qui borne la vue de ce côté-là; mais entre cette terre, qui fait une fle assez grande, et Macao, il y a un beau port, et la ville s'étend par dedans le long de ce rivage. Les maisons sont bâties à l'européenne, imais un peu basses il y a encore ici de la verdure et un peu de l'air des Indes.

Les Chinois sont en plus grand nombre dans. Macao que les Portugais. Ceux-ci sont presque tous métis, et nés dans les Indes ou à Macao même. Il s'en faut beaucoup qu'ils ne soient riches; aussi les Chinois ne font-ils plus guère de cas d'eux. Les fortifications de Macao sont assez bonnes, le terrain fort avantageux, et il Appareiller, en terme de marine, c'est mettre à la

Mais, pour être à Sancian, nous n'étions pas voile.

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