disoient de la morale de notre religion; car ils commencèrent par là leur prédication, et, avant que de leur parler de nos mystères, ils expliquèrent, à ceux qui les visitoient, les préceptes du Décalogue. Animé par ce premier succès, Ricci composa un petit catéchisme qui se répandit dans toute la Chine, mais qui ne produisit encore que des applaudissemens stériles. Le peuple mème étoit toujours également prévenu; il voyoit avec peine les égards que les grands avoient pour ces étrangers, et il les insultoit, les maltraitoit même toutes les fois qu'il en trouvoit l'occasion. Ces progrès și lents de la religion firent accuser les missionnaires de ménagemens politiques, et on commença dès lors à écrire contre eux et à déerier amèrement leur conduite. Cependant Ricci avançoit toujours, faisoit quelques conversions, et, quoiqu'elles fussent en petit nombre, il crut devoir multiplier les résidences et les missionnaires. Ce fut sans succès : ils furent obligés de se retirer. Ricci resta seul assez longtemps, luttant toujours contre les préjugés et l'avidité du peuple et des mandarins. Il fut enfin obligé de céder à la tempète, et de se retirer à Macao. Après un court séjour dans cette ville, il retourna dans sa chère mission, et, à la faveur des mathématiques, il s'établit dans une autre ville de la Chine, nommée Chao-Cheu. Il donna à quelques Chinois des krons de cette science, pour les préparer à en recevoir de plus importantes sur la religion chrétienne et sur le salut. peler à la cour, de lui permettre de l'accompagner. Le mandarin y consentit. Ricei se mit en chemin avec lui; mais dans la route le mandarin changea d'avis, et, craignant qu'on ne lui fit une fâcheuse affaire d'avoir amené un étranger si avant dans l'empire, il voulut le renvoyer dans la province de Canton ; mais à force d'instances, Ricci obtint de le suivre jusqu'à Nankin. Ne pouvant espérer de faire de solides biens dans cette grande ville, il reprit le chemin de Nanchan, repassant dans son esprit les immenses travaux qu'il avoit employés pour cultiver cette terre ingrate. Ces affligeantes pensées ne lui ôtoient cependant pas toute espérance. Il fut très-accueilli, très-recherché à Nanchan par le vice-roi, les mandarins et les lettrés. Il y composa quelques ouvrages de science et de morale qui furent goûtés et répandus dans toute la Chine. Le vice-roi lui proposa lui-même de s'arrêter dans cette ville. Le P. Ricci y établit une résidence, et obtint encore d'aller à Pékin avec un mandarin nommé président du premier tribunal de Nankin. Il éprouva dans ce second voyage les mêmes désagrémens que dans le premier. Ce mandarin eut peur aussi de se compromettre; it' l'insinua à Ricci. Il n'osa cependant refuser absolulument de tenir la promesse qu'il lui avoit faite, et le missionnaire l'accompagna jusqu'à la capitale. Pendant ce premier séjour, il reconnut, par des argumens qui lui parurent évidens, que Pékin n'est autre chose que le Cambalao de Paul de Venise, et lå Chine le royaume de Catay. I interrogea là-dessus deux Arabes, grands voyageurs, qui avoient mené un lion à l'empereur, et qui se trouvèrent de son avis. Cependant Ricci, ne pouvant pas recueillir de son séjour à Pékin les avantages qu'il en avoit espérés pour la religion, résolut de s'en retourner à Nankin. Il s'embarqua sur la rivière de Pékin, qui tombe dans le fleuve Jaune, lequel aussi, par un canal, commu"nique avec le Kiang; en sorte que, sans aucune interruption que la montagne de Muilin, on peut aller par eau de Pékin à Macao, quoique ces deux villes soient distantes d'environ 600 licues. Il retira quelques fruits de sa persévérance; on ouvrit enfin les yeux à la vérité, et le nombre des néophytes grossit et se multiplia; mais la populace, quoique contenue par les égards et la distinction dont les mandarins usoient envers Ricci, saisissoit toutes les occasions de marquer à ce Père et à ses coopérateurs les préventions et la haine qu'elle avoit contre eux; elle les maltraitoit de paroles, et quelquefois même les accabloit de coups de pierre. Ricci eut un autre chagrin bien plus amer; il perdit ses deux compagnons, le P. Antoine d'Almeyda et le P. François Petri, l'un et l'autre pleins de l'esprit de Dieu, de l'amour de la prière et de la mortification. Cette perte lui fut d'autant plus sensible, qu'elle arriva dans un temps où il avoit plus de besoin de leurs conseils : il méditoit le projet d'aller à Pékin, et d'y porter la lumière de l'Evangile. L'opinion qu'on avoit conçue de tie dans l'eau douce. Elle est si riche et dans une sison habileté dans les mathématiques et dans la géogra-tuation si agréable, que les Chinois lui ont donné le phie lui parut propre à le faire parvenir jusqu'à l'empereur, et il se flattoit que, s'il pouvoit le rendre favorable à la religion, elle en feroit des progrès plus sûrs et plus rapides. Il erut que, pour exécuter ce grand dessein, il devoit quitter l'habit de bonze, assez 'méprisé à la Chine, et prendre celui des lettrés, qui y est dans une grande considération. Il conjura ensuite un grand mandarin d'armes, dont il avoit gagné l'amitié et l'estime, et que l'empereur venoit d'ap Ricci, avant de se rendre à Nankin, voulut aller å Secheu, dans la province de Sekiam. Secheu est la Venise de la Chine, à cela près, qu'au lieu que Venise est construite au milieu de la mer, Secheu est ba nom de Paradis de la terre. Ricci, arrivé à Nankin, y fit un établissement, et y reçut la visite de tous les grands et de tous les lettrés. Beaucoup de gens d'esprit se fi: ent ses disciples, pour réformer à son école les fausses idées qu'avoient les Chinois dans presque toutes les sciences. Leurs physiciens établissoient cinq élémens, desquels ils excluoient l'air, ne regardant l'espace qu'il occupe que comme un grand vide. Ils lui en sub stituoient deux autres, qui étoient le bois et le métal. Toute leur astrologie, dont ils font une étude si longue et si assidue, ne leur avoit point encore bien appris que les éclipses de lune arrivent par l'interposition de la terre entre cette planète et le soleil, et le peuple surtout disoit sur cela des choses qu'on auroit peine à pardonner aux Américains les plus sauvages. Ils ignoroient le système du monde, et n'en avoient aucun vraisemblable. Leurs plus habiles géographes (tenoient comme un principe indubitable que la terre étoit carrée, et ne concevoient pas qu'il put y avoir des antipodes. La solide réfutation de toutes ces erreurs, et d'une infinité d'autres,' fit écouter Ricci des savans comme un oracle. Il est aisé de concevoir combien l'ascendant des missionnaires fut encore plus grand sur quelques idolâtres qui voulurent disputer contre lui sur la nature de Dieu et la véritable religion. Comme ces disputes furent publiques, l'approbation qu'on donna au P. Ricci fut si universelle, que, si l'on étoit persuadé toutes les fois que l'on est convaincu, les gens d'esprit de Nankin eussent dès lors confessé le vrai Dicu, et appris à connoître le culte qu'il faut lui rendre. Ricci vit aussi à Nankin ou dans les environs plusieurs choses dignes de fixer l'attention et la curiosité. La première fut certains feux d'artifice auxquels il dit qu'on ne peut pas comparer ceux du reste du monde. Le P. d'Incarville, missionnaire à Pékin, en a depuis envoyé en France la recette et la composition. La seconde, un observatoire båti sur une haute montagne. On y voit une grande cour entourée de grands corps de logis, et pleine de machines, parmi lesquelles le P. Ricci en trouva quatre très-curieuses, qui, quoique toujours exposées à l'air depuis deux cent cinquante ans, n'avoient encore rien perdu de leur poli et de leur lustre. La troisième rareté qu'on lui fit voir fut un temple très-magnifique, bâti dans un grand bois de pins dont l'enclos n'occupe guère moins de quatre lieues. Ces occupations ne firent point oublier au missionnaire l'objet principal qui l'avoit attiré en Chine. Dieu répandit ses bénédictions sur ses travaux, et il jeta à Nankin les fondemens d'une église qui est devenue très-nombreuse, et assez florissante pour qu'on ait cru devoir l'ériger en évêché. Le P. Ricci, toujours persuadé qu'il ne travailleroit jamais assez solidement sans la protection de l'empereur, entreprit un troisième voyage de Pékin, dès qu'il se vit assez de coopérateurs pour soutenir et augmenter le nombre des néophytes de Naukin. Il prépara donc ses présens pour l'empereur, et assemLla toutes les curiosités d'Europe qu'il s'étoit procurées de longue main pour cet objet. I se nit en route, et après bien des traverses et des contradictions, qui auroient découragé tout autre qu'un missionnaire, plein de confiance en Dieu, il arriva à la capitale, et parvint enfin jusqu'à l'empereur, qui reçut agréal le ment tous ses présens, parmi lesquels il y avoit un tableau du Sauveur et un de la très-sainte Vierge, une horloge, une montre avec sonnerie, etc. Ce prince lui permit de s'établir à Pékin, et d'entrer quatre fois l'année, avec ses compagnons, dans un des enclos du palais où il n'y a que les officiers de l'empereur qui aient le droit d'entrer. Ce que le P. Ricci avoit prévu arriva. Il n'avoit recueilli de vingt ans de travaux et de patience que des persécutions cruelles, ou des applaudissemens stériles; mais la loi de Dieu et ses ministres n'eurent pas été plutôt connus à la cour, l'empereur ne les eut pas plutôt regardés favorablement, c'est-à-dire la grâce divine n'eut pas plutôt levé les obstacles de crainte et de mauvaise honte qui empêchoient les Chinois, timides et encore plus orgueilleux, de suivre une loi étrangère, que ceux des sages qui cherchoient sincèrement la vérité, l'embrassèrent dès qu'ils la connurent. La pluralité des femmes et la peur de manquer de postérité, ce qui passe à la Chine pour un grand malheur, en retint le plus grand nombre; mais la grâce vainquit en plusieurs, même des plus considérables par leur naissance et par leurs emplois, ces impérieuses cupidités; et leur exemple fut tellement suivi, que les missionnaires ne pouvoient y suffire, quoiqu'on en eût envoyé beaucoup de nouveaux, et déjà formés et pleins de zèle. Le P. Ricci et ses compagnons étendirent leurs soins au delà de la capitale; ils firent des excursions dans les campagnes, dans les provinces; ils annoncèrent l'Evangile; ils firent goûter et suivre la doctrine chrétienne. Les nouveaux chrétiens devinrent de nouveaux apôtres. Leur changement, la pureté de leurs mœurs, leur modestie, leur douceur, leur patience, leur désintéressement, leur charité, persuadèrent, autant et peut-être plus que les prédications des missionnaires, que la religion qu'ils avoient apportée d'Europe étoit la seule qu'on dût embrasser et pratiquer. Quels sont les préceptes de la philosophie qui produisent ces révolutions dans les idées, dans les sentimens, dans les actions? On cherche un code de morale qui rende les hommes meilleurs: l'Evangile nous le présente, on le rejette; il nous vient de Dieu, et ce n'est plus que par des hommes trompeurs ou trompés, ce n'est plus que par des aveugles, que, dans ce siècle, on veut être conduit et éclairé! Nolumus hunc regnare super nos. Il s'éleva de tous côtés des églises nombreuses et florissantes, et la longue et constante persévérance du premier ouvrier évangélique de la Chine fut enfin récompensée par le succès le plus touchant, le plus désirable. Les établissemens formés à Nankin et à Nanchan s'acer urent, se fortifièrent: Dieu y étoit servi et aimé, et les néophytes y donnoient l'exemple des plus sublimes vertus, et retraçoient la vie et le courage des premiers siècles du christianisme. Les missionnaires, par égard pour les usages et les mœurs de cet empire, ne purent parvenir à faire connoître la religion aux femmes chinoises qu'avec beaucoup de précautions. Les premières qu'ils convertirent servirent de catéchistes pour instruire les autres, et ils respectèrent tant qu'ils purent cette séparation des deux sexes, qu'ils trouvèrent établie. Ceux qui ont fait des crimes aux jésuites, même de leurs vertus, les ont accusés d'avoir affecté sur ce point une pudeur injurieuse aux sacremens, en omettant plusieurs de leurs saintes cérémonies, sous prétexte qu'elles ne sont pas absolument nécessaires au salut; mais, outre qu'ils n'en ont usé ainsi qu'avec la permission du Saint-Siége, qu'ils ont toujours eu soin de consulter dès les commencemens dans toutes les circonstances douteuses et embarrassantes, je laisse aux personnes équitables à juger qui a eu le plus de raison, ou des jésuites d'avoir ménagé, en des choses qui ne sont pas essentielles, la foiblesse d'un peuple ombrageux et d'une délicatesse outrée sur les bienséances qui regardent le sexe, ou de ceux qui les out blàmés d'un ménagement qui paroissoit nécessaire à l'établissement de la foi dans un des plus grands royaumes du monde. Si l'on apprit en Europe les progrès de la religion à la Chine avec une sorte de jalousie contre ceux dont il avoit plu à la Providence de se servir, ils trouvèrent aussi dans cet empire même bien des croix et des contradictions. Quelques infidèles, entêtés de leurs erreurs, craignirent l'espèce de solitude où ils alloient être réduits par l'établissement de notre sainte religion. Ils ne négligèrent donc rien pour la combattre, et employèrent contre Ricci et ses compagnons tous les moyens que purent leur suggérer la haine et la fureur. Ils ne servirent qu'à animer leur zèle et à soutenir leur espérance. Le bien se faisoit, les tempêtes se calmoient, et l'Evangile s'étendoit de plus en plus; mais on ne sauroit dépeindre ce qu'il en coûta de travaux au chef de cette sainte entreprise. Tout rouloit sur lui; il falloit veiller sur toutes les Églises, former des novices capables de perpétuer ce qu'on ne faisoit que de commencer, catéchiser, prècher, confesser, visiter les malades, continuer à cultiver les sciences, donner des leçons de mathématiques et de géographie, répondre aux doutes, aux objections que lui envoyoient les lettrés de toutes les parties de la Chine, cultiver, ménager la protection des grands, fournir à la subsistance des missionnaires et des pauvres, être tout à tous, et S'oublier sans cesse soi-même pour ne s'occuper que de Dieu et de son œuvre. Telle étoit la charge du P. Ricci il la remplit toujours avec exactitude, et, comme nous l'avons déjà observé, il trouva le temps encore de composer en chinois d'excellens ouvrages sur la morale et sur la religion. Celui que, sous le nom d'Entretiens, nous donnons au public dans ce recueil, a été traduit par le P. Jacques, missionnaire mort à Pékin il y a plusieurs années. Il est regardé : dans la Chine même comme un modèle pour la netteté et l'élégance du style, et le succès qu'il a eu prouve que ce peuple est capable de suivre les raisonnemens les plus subtils et les plus déliés. C'est une réfutation des erreurs principales qui règnent dans cet empire, et une espèce de préparation à l'Evangile. L'auteur y établit solidement l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme, la liberté de l'homme; et, en détruisant tous les systèmes absurdes de la gentilité et de l'irréligion, il prépare les esprits à la connoissance d'un Dicu créateur et libérateur. Tant de travaux épuisèrent le P. Ricci : il y succomba, malgré la force de son tempérament, et mourut après quelques jours de maladie, employés à s'y préparer, à l'âge de 57 ans, et non de plus de 80, comme on l'a dit par erreur dans plusieurs recueils. Il sembloit et il y a tout lieu de présumer que Dieu l'avoit choisi dans sa miséricorde pour l'entreprise si difficile de porter à la Chine la lumière de l'Evangile. Le zèle courageux, infatigable; mais sage, patient, circonspect, lent pour être plus efficace, et timide pour oser davantage, devoit être le caractère de celui que Dieu avoit destiné pour être l'apòtre d'une nation délicate, soupçonneuse, et naturellement ennemie de tout ce qui ne naît pas dans son pays. Il falloit ce cœur vraiment magnanime pour recommencer tant de fois un ouvrage si souvent ruiné, et savoir si bien profiter des moindres ressources. Il falloit ce génie supérieur, ce rare et profond savoir, pour se rendre respectable à des gens accoutumés à ne respecter qu'eux, et enseigner une loi nouvelle à ceux qui n'avoient pas eru jusque-là que personne pût leur rien apprendre; mais il falloit aussi une humilité et une modestie parcilles à la sienne, pour adoucir à ce peuple superbe le jong de cette supériorité d'esprit, auquel on ne se soumet volontiers que quand on le reçoit sans s'en apercevoir. Il falloit enfin une aussi grande vertu et une aussi continuelle union avec Dieu que celle de l'homme apostolique, pour se rendre supportables à soi-même, par l'onction de l'esprit intérieur, les travaux d'une vie aussi pénible, aussi pleine de dangers, que l'étoit celle qu'il avoit menée depuis qu'il étoit à la Chine, où l'on peut dire que le plus long martyre lui auroit épargné bien des souf frances. En laissant son corps à la Chine, le P. Ricci y a laissé son esprit, que cette nouvelle chrétienté conserve encore chèrement; esprit de ferveur pour les fidèles, esprit de vrai zèle pour les missionnaires. C'est par cette ferveur constante que la foi de ceux-là a si souvent triomphé des persécutions et des persécuteurs qui l'ont de temps en temps attaquée avec une violence capable d'ébranler les esprits les plus fermes; c'est par ce zèle sage et discret que ceux-ci ont avancé l'œuvre de Dieu. Après la mort du P. Ricei, il s'éleva une si vic Les entretiens qu'ils avoient ensemble étoient ou de mathématiques, ou de morale, ou de religion; car le P.Adam Schall eut l'adresse de faire passer peu à peu le prince des discours agréables aux discours utiles, et, autant qu'il put, aux sujets propres à lui ouvrir les yeux sur les vérités du salut. Par de semblables conférences le missionnaire inspira du moins au conquérant une telle estime pour la religion chrétienne, qu'il la favorisa toujours, et laissa à ceux qui la préchoient une pleine liberté de l'étendre. Aussi fit-elle des progrès considérables sous son règne. Si Adam Schall et ses confrères n'avoient agi que par des vues politiques; s'ils avoient eu l'ambition, comme on les en a accusés, de prècher et de gouverner seuls l'Eglise de la Chine, ils n'auroient point fait part à toute l'Europe des progrès de la religion; ils n'auroient point demandé des coopérateurs d'une autre profession que la leur; ils n'auroient favorisé ni leur entrée dans cet empire, ni les établissemens qu'ils y formoient. Rien ne leur étoit plus facile que de s'y opposer, et rien n'est plus constant que leur zèle à encourager, à soutenir, et à défendre tous les missionnaires qui s'y sont présentés, sans aucune acception de personnes. : Chun-chi mourut à so ans. Son successeur fut le célèbre Cang-hi il n'avoit alors que huit ans, et les commencemens de son règne n'annoncèrent pas la protection éclatante qu'il accorda par la suite aux missionnaires européens. Ils furent presque tous char Jente persécution contre les missionnaires, qu'ils furent obligés de se retirer à Macao. L'année suivante, 1618, l'empereur de la Chine, Vaulié, fut attaqué par les Tartares. Ils avancèrent dans le pays jusqu'à sept lieues de la capitale, et gagnèrent une grande bataille. Vanlié en fut tellement effrayé, qu'il eût al andonné Pékin, si son conseil ne lui eût représenté que cette action le déshonoreroit, et abattroit le cœur de ses sujets. Ce prince mourut sur ces entrefaites, et laissa à Tien-ki, son petit-fils, le soin de repousser les Tartares. Parmi les moyens de soutenir cette guerre, on insinua au nouveau roi que l'usage de l'artillerie scroit un des plus efficaces. Les Chinois en avoient, mais ne savoient pas s'en servir. Pour l'apprendre des Portugais, on les appela de Macao, ct l'on crut devoir permettre aux missionnaires de les accompagner. Les efforts que fit Tien-ki obligèrent le roi tartare à se retirer sur ses frontières, où cette nation inquiète se tint quelque temps en repos. Durant ce calme, les missionnaires firent de grands progrès; ils gagnèrent l'estime et la faveur des grands et de l'empereur. Zonchin, successeur de Tien-ki, prit beaucoup de goût pour l'esprit et les connoissances du P. Adam Schall, natif de Cologne et missionnaire jésuite. On le regardoit dans tout l'empire comme un des hommes que ce prince honoroit le plus. Ce fut sous ce malheureux empereur, qu'en l'année 1636, deux voleurs s'étant soulevés dans deux différens endroits de la Chine, l'un d'eux devint assez puissant pour déclarer la guerre au prince. Įgés de chaînes et exilés à Canton. Adam Schall, déchu alla l'assiéger dans Pékin, et en peu de jours il le réduisit à se donner la mort lui-même, pour ne pas tomber entre ses mains. Pour venger cet attentat et repousser ces brigands, Usanguey, qui commandoit sur la frontière, appela les Tartares à son secours. Ils y volèrent, défirent le voleur, reprirent Pékin, mais gardèrent pour eux-mêmes l'empire qu'ils étoient venus secourir. Zunté, leur roi, en commença la conquète, et Chun-chi, son fils, l'acheva. Pendant toutes ces révolutions, le P. Adam Schall demeura à Pékin; le vainqueur voulut le voir, et il le combla de témoignages d'amitié. Lorsque tout fut apaisé et le prince tartare solidement établi sur le trône chinois, il obligea le P. Adam Schall d'accepter la charge de président du tribunal des mathématiques; c'est l'unique occasion où ce Père se soit jamais trouvé en danger de perdre les bonnes graces du monarque. Les résistances du missionnaire déplurent au prince il le lui marqua; mais dans toutes les autres rencontres, Chun-chi lui parut toujours plein de condescendance et de bonté. Il n'avoit besoin ni d'étudier ni de ménager son humeur, et tout ce qui lui venoit du missionnaire, les plus fortes mème et trèsfréquentes remoutrances, étoit très-bien reçu. Nonseulement il lui donna l'entrée libre dans son palais, mais il alloit souvent lui rendre visite dans sa maison, et passoit plusieurs heures avec lui. de sa faveur, privé de ses dignités, accablé d'opprobres et de calomnies, souffrit la prison et les fers, et fut enfin condamné à mort pour avoir pièché Jésus-Christ. Ii témoigna par sa constance qu'il s'estimoit encore plus heureux de confesser le nom de Dieu dans un cachot, que de l'avoir annoncé avec honneur dans le palais du grand monarque. La sentence portée contre lui ne fut pas exécutée; mais l'âge et les souffrances firent bientôt ce que les bourreaux n'avoient pas fait. Peu de temps après qu'il fut sorti de prison, Dieu acheva sa délivrance en rompant les liens de son corps, pour faire jouir son âme de la liberté des enfans de Dicu. La persécution fut vive pendant la minorité de l'empereur; mais elle cessa dès qu'il fut majeur et qu'il gouverna par lui-même, Dieu ayant réservé à ce prince si juste, si plein de raison et d'esprit, la gloire de rétablir son culte à la Chine. Voici quelle en fut l'occasion : C'est une coutume parmi les Chinois de faire faire tous les ans le calendrier, à peu près comme on fait ici les almanachs; mais le calendrier dans ce pays-là est regardé comme une affaire de grande importance dans l'Etat. Il se fait par autorité publique, et le prince ne dédaigne pas de s'en mêler. Depuis qu'on avoit ôté ce soin au P. Adam Schall, avec sa charge de président du tribunal des mathématiques, C'est au P. Ferdinand Verbiest que les François sont redevables d'avoir été appelés à partager ses trayanx; c'est lui qui les fit venir à Pékin, et qui disposa l'empereur à les recevoir et à les traiter avec distinction. Il mourut au moment qu'ils y arrivèrent, et fut privé de la consolation de les présenter lui-même à la cour. l'ignorance de celui qui avoit été mis à sa place y avoit laissé glisser tant de fautes, que le prince voulut qu'on travaillåt à le réformer. Comme on ne craignoit plus à la cour de donner de bons conseils à l'empereur, il se trouva des gens équitables et courageux qui lui représentèrent que les mathématiciens d'Europe exilés ou emprisonnés pendant sa minorité, et dont il étoit resté trois à Pékin, étoient d'une habileté si connue à la Chine, qu'on ne pouvoit faire plus prudemment que de les consulter sur ce sujet. L'empereur trouva cet avis fort bon, et envoya chercher sur-le-champ les trois Européens. Ils furent trèsbien reçus, et dès cette première audience ils eurent fout sujet d'en attendre quelque grâce plus importante que l'intendance du calendrier, qui étoit déjà dressé pour l'année suivante, On le donna à examiner au P. Ferdinand Verbiest, qui y trouva plus de vingt faules considérables, et quelques-unes mème si grossiè-férence, d'une application au salut d'autrui qui ne res, que tout le monde en fut surpris. Il en fit son rapport à l'empereur, qui dès lors conçut pour le missionnaire une estime très-singulière. Le P. Verbiest profita de cette lueur de faveur, pour demander la permission de prêcher la religion chrétienne. Le prince reçut sa requête avec bonté; mais, ne voulant point se dispenser des formes, il la donna à examiner à un tribunal, qui la rejeta. Le missionnaire ne perdit point courage, et pria l'empereur de lui nommer d'autres juges moins prévenus contre notre sainte loi. L'empereur, par une condescendance que toute la cour admira, renvoya l'affaire à un autre tribunal qui porte le titre d'Etats de l'empire, lequel, l'a yant examinée avec beaucoup d'attention, décida que la religion chrétienne avoit été mal à propos condamnée; qu'elle étoit bonne, et qu'elle De contenoit rien de contraire au bien de l'Etat ; qu'ainsi la mémoire du P. Adam Schall, qui avoit été flétrie pour l'avoir prèchée, devoit être réhabilitée; les grands dépourvus de leurs charges pour l'avoir suivie, rétablis; les prêtres européens, rappelés, etc. Ce jugement fut d'un grand poids pour assurer le jeune prince contre les remontrances importunes des ennemis de la religion. Dès la première année que les missionnaires retournèrent dans leurs églises, qui fut Pan 1671, plusieurs Chinois embrassèrent la foi sans que personne s'y opposàt. L'année suivante, un onele maternel de l'empereur et un des huit généraux perpétuels qui commandent la milice tartare, reçurent le baptême. Le P. Verbiest, digne successeur des PP. Ricci et Adam Schall, a été l'àme de tous ces succès, et la colonne de cette Eglise pendant qu'il a vécu. Ses entretiens fréquens avec l'empereur, les leçons de mathématiques qu'il lui donnoit, furent pour lui une occasion de lui expliquer la loi de Dieu. Il lui inspira pour elle une grande estime, un grand respect, sans cependant avoir le bonheur de lui persuader de l'embrasser. Sa mort fut sainte comme l'avoit été sa vie ; il s'y étoit préparé par l'exercice continuel des vertus apostoliques et religieuses, et pratiquoit le premier ce qu'il recommandoit aux autres missionnaires. Il pensoit, pour lui ainsi que pour les autres, que pour faire le bien, surtout à la Chine, il falloit des hommes d'un courage que rien ne rebute, d'une activité que rien n'arrête, d'une constance que rien ne lasse, d'un zèle prudent sans respect humain, circonspect sans timidité, entreprenant sans ambition, patient sans indif diminue rien de celle qu'il doit avoir au sien propre, et d'un désintéressement qui lui donne le droit de dire avec Jésus-Christ : « Je ne cherche pas ma gloire, mais celle de celui qui m'a envoyé. » A ces illustres missionnaires il faut ajouter les pères Gaubil, Gerbillon, Parennin, Prémare, Benoist, Le Comte, Attiret, Mailla, Contancin, Amyot, Duhalde, et tant d'autres qui tout à la fois portèrent en Chine les vrais principes de la religion et de la science, de la justice et des beaux-arts. Tous ces pères étoient de la Compagnie de Jésus. Il en vint d'autres ensuite, et toutes les congrégations voulurent avoir en Chine leurs mandataires : jacobins, augustins, dominicains, tous accoururent; mais celte concurrence, loin de servir la religion, faillit lui nuire; et les démèlés qui éclatèrent, les troubles qui survinrent, les réprimandes et les controverses qui se firent jour jusqu'à Canton et à Pékin, les incertitudes qui durent naitre dans la marche des prédicateurs et dans la conscience des disciples, les prétextes qu'en tirèrent les fanatiques ennemis de la foi, tout contribua à jeter sur la mission un voile que l'ardeur des nouveaux ouvriers apostoliques n'a pu encore dissiper. Ce sont les lazaristes qui, dans ce moment (1840), prêchent l'Evangile en Chine. Mais il faut qu'ils travaillent en secret et dans l'ombre. Le gouvernement ne tolère point la religion chrétienne; il n'admet n les prêtres de ce culte, ni les étrangers de quelque nation qu'ils soient et de quelque bannière qu'ils se fassent précéder. Combien de peines ne faut-il pas pour apprendre la langue, adopter les coutumes du pays et s'habituer à porter l'habit chinois avec assez d'aisance pour n'ètre pas reconnu des mandarins et des soldats! Malgré toutes les précautions que prennent les missionnaires, il y en a souvent de découverts et de saisis par les officiers de l'empereur. Alors ce sont des souffrances et des tortures sans fin, et souven |