Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Les missionnaires, par égard pour les usages et les mœurs de cet empire, ne purent parvenir à faire connoître la religion aux femmes chinoises qu'avec beaucoup de précautions. Les premières qu'ils convertirent servirent de catéchistes pour instruire les autres, et ils respectèrent tant qu'ils purent cette séparation des deux sexes, qu'ils trouvèrent établie. Ceux qui ont fait des crimes aux jésuites, même de leurs vertus, les ont accusés d'avoir affecté sur ce point une pudeur injurieuse aux sacremens, en omettant plusieurs de leurs saintes cérémonies, sous prétexte qu'elles ne sont pas absolument nécessaires au salut; mais, outre qu'ils n'en ont usé ainsi qu'avec la permission du Saint-Siége, qu'ils ont toujours eu soin. de consulter dès les commencemens dans toutes les circonstances douteuses et embarrassantes, je laisse aux personnes équitables à juger qui a eu le plus de raison, ou des jésuites d'avoir ménagé, en des choses qui ne sont pas essentielles, la foiblesse d'un peuple ombrageux et d'une délicatesse outrée sur les bienséances qui regardent le sexe, ou de ceux qui les ont blàmés d'un ménagement qui paroissoit nécessaire à l'établissement de la foi dans un des plus grands royaumes du monde. Si l'on apprit en Europe les progrès de la religion à la Chine avec une sorte de jalousie contre ceux dont il avoit plu à la Providence de se servir, ils trouvèrent aussi dans cet empire même bien des croix et des contradictions. Quelques infidèles, entètés de leurs erreurs, craignirent l'espèce de solitude où ils alloient être réduits par l'établissement de notre sainte religion. Ils ne négligèrent donc rien pour la combattre, et employèrent contre Ricci et ses compagnons tous les moyens que purent leur suggérer la haine et la fureur. Ils ne servirent qu'à animer leur zèle et à soutenir leur espérance. Le bien se faisoit, les tempêtes se calmoient, et l'Evangile s'étendoit de plus en plus ; mais on ne sauroit dépeindre ce qu'il en coûta de travaux au chef de cette sainte entreprise. Tout rouloit sur lui; il falloit veiller sur toutes les Églises, former des novices capables de perpétuer ce qu'on ne faisoit que de commencer, catéchiser, prècher, confesser, visiter les malades, continuer à cultiver les sciences, donner des leçons de mathématiques et de géographie, répondre aux doutes, aux objections que lui envoyoient les lettrés de toutes les parties de la Chine, cultiver, ménager la protection des grands, fournir à la subsistance des missionnaires et des pauvres, être tout à tous, et s'oublier sans cesse soi-même pour ne s'occuper que de Dieu et de son œuvre. Telle étoit la charge du P. Ricci : il la remplit toujours avec exactitude, et, comme nous l'avons déjà observé, il trouva le temps encore de composer en chinois d'excellens ouvrages sur la morale et sur la religion. Celui que, sous le nom d'Entretiens, nous donnons au public dans ce recueil, a été traduit par le P. Jacques, missionnaire mort à Pékin il y a plusieurs années. Il est regardé

dans la Chine même comme un modèle pour la netteté et l'élégance du style, et le succès qu'il a eu prouve que ce peuple est capable de suivre les raisonnemens les plus subtils et les plus déliés. C'est une réfutation des erreurs principales qui règnent dans cet empire, et une espèce de préparation à l'Evangile. L'auteur y établit solidement l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme, la liberté de l'homme; et, en détruisant tous les systèmes absurdes de la gentilité et de l'irréligion, il prépare les esprits à la connoissance d'un Dicu créateur et libérateur. Tant de travaux épuisèrent le P. Ricci il y succomba, malgré la force de son tempérament, et mourut après quelques jours de maladie, employés à s'y préparer, à l'âge de 57 ans, et non de plus de so, comme on l'a dit par erreur dans plusieurs recueils.

Il sembloit et il y a tout lieu de présumer que Dieu l'avoit choisi dans sa miséricorde pour l'entreprise si difficile de porter à la Chine la lumière de l'Evangile.

Le zèle courageux, infatigable; mais sage, patient, circonspect, lent pour être plus efficace, et timide pour oser davantage, devoit être le caractère de celui que Dieu avoit destiné pour être l'apôtre d'une nation délicate, soupçonneuse, et naturellement ennemie de tout ce qui ne naît pas dans son pays. Il falloit ce cœur vraiment magnanime pour recommencer tant de fois un ouvrage si souvent ruiné, et savoir si bien profiter des moindres ressources. Il falloit ce génie supérieur, ce rare et profond savoir, pour se rendre respectable à des gens accoutumés à ne respecter qu'eux, et enseigner une loi nouvelle à ceux qui n'avoient pas cru jusque-là que personne pût leur rien apprendre; mais il falloit aussi une humilité et une modestie pareilles à la sienne, pour adoucir à ce peuple superbe le jong de cette supériorité d'esprit, auquel on ne se soumet volontiers que quand on le reçoit sans s'en apercevoir. Il falloit enfin une aussi grande vertu et une aussi continuelle union avec Dieu que celle de l'homme apostolique, pour se rendre supportables à soi-même, par l'onction de l'esprit intérieur, les travaux d'une vie aussi pénible, aussi pleine de dangers, que l'étoit celle qu'il avoit menée depuis qu'il étoit à la Chine, où l'on peut dire que le plus long martyre lui auroit épargné bien des souffrances.

En laissant son corps à la Chine, le P. Ricci y a laissé son esprit, que cette nouvelle chrétienté conserve encore chèrement; esprit de ferveur pour les fidèles, esprit de vrai zèle pour les missionnaires. C'est par cette ferveur constante que la foi de ceux-là a si souvent triomphé des persécutions et des persécuteurs qui l'ont de temps en temps attaquée avec une violence capable d'ébranler les esprits les plus fermes; c'est par ce zèle sage et discret que ceux-ci ont avancé l'œuvre de Dieu.

Après la mort du P. Ricei, il s'éleva une si vic

Les entretiens qu'ils avoient ensemble étoient ou de mathématiques, ou de morale, ou de religion; car le P. Adam Schall eut l'adresse de faire passer peu à peu le prince des discours agréables aux discours utiles, et, autant qu'il put, aux sujets propres à lui ouvrir les youx sur les vérités du salut. Par de semblables con

rant une telle estime pour la religion chrétienne, qu'il Ja favorisa toujours, et laissa à ceux qui la préchoient une pleine liberté de l'étendre. Aussi fit-elle des progrès considérables sous son règne.

Si Adam Schall et ses confrères n'avoient agi que par des vues politiques; s'ils avoient eu l'ambition, comme on les en a accusés, de prècher et de gouverner seuls l'Eglise de la Chine, ils n'auroient point fait part à toute l'Europe des progrès de la religion; ils n'auroient point demandé des coopérateurs d'une autre profession que la leur; ils n'auroient favorisé ni leur entrée dans cet empire, ni les établissemens qu'ils y formoient. Rien ne leur étoit plus facile que de s'y opposer, et rien n'est plus constant que leur zèle à encourager, à soutenir, et à défendre tous les missionnaires qui s'y sont présentés, sans aucune acception de personnes.

Chun-chi mourut à so ans. Son successeur fut le clèbre Cang-hi: il n'avoit alors que huit ans, et les commencemens de son règne n'annoncèrent pas la protection éclatante qu'il accorda par la suite aux missionnaires européens. Ils furent presque tous char

T

lente persécution contre les missionnaires, qu'ils furent obligés de se retirer à Macao. L'année suivante, 1618, l'empereur de la Chine, Vaulié, fut attaqué par les Tartares. Ils avancèrent dans le pays jusqu'à sept lieues de la capitale, et gagnèrent une grande bataille. Vanlié en fut tellement effrayé, qu'il eût al andonné Pékin, si son conseil ne lui eût représentéférences le missionnaire inspira du moins au conquéque cette action le déshonoreroit, et abattroit le cœur de ses sujets. Ce prince mourut sur ces entrefaites, et laissa à Tien-ki, son petit-fils, le soin de repousser les Tartares. Parmi les moyens de soutenir cette guerre, on insinua au nouveau roi que l'usage de l'artillerie scroit un des plus efficaces. Les Chinois en avoient, mais ne savoient pas s'en servir. Pour l'apprendre des Portugais, on les appela de Macao, et l'on crut devoir permettre aux missionnaires de les accompagner. Les efforts que fit Tien-ki obligèrent le roi tartare à se retirer sur ses frontières, où cette nation inquiète se tint quelque temps en repos. Durant ce calme, les missionnaires firent de grands progrès; ils gagnèrent l'estime et la faveur des grands et de l'empereur. Zonchin, successeur de Tien-ki, prit beaucoup de goût pour l'esprit et les connoissances du P. Adam Schall, natif de Cologne et missionnaire jésuite. On le regardoit dans tout l'empire comme un des hommes que ce prince honoroit le plus. Ce fut sous ce malheureux empereur, qu'en l'année 1636, deux voleurs s'étant soulevés dans deux différens endroits de la Chine, l'un d'eux devint assez puissant pour déclarer la guerre au prince. Igés de chaînes et exilés à Canton. Adam Schall, déchu alla l'assiéger dans Pékin, et en peu de jours il le réduisit à se donner la mort lui-même, pour ne pas tomber entre ses mains. Pour venger ret attentat et repousser ces brigands, Usanguey, qui commandoit sur la frontière, appela les Tartares à son secours. Ils y volèrent, défirent le voleur, reprirent Pékin, mais gardèrent pour eux-mêmes l'empire qu'ils étoient venus secourir. Zunté, leur roi, en commença la conquête, et Chun-chi, son fils, l'acheva. Pendant toutes ces révolutions, le P. Adam Schall demeura à Pékin; le vainqueur voulut le voir, et il le combla de témoignages d'amitié. Lorsque tout fut apaisé et le prince tartare solidement établi sur le trône chinois, il obligea le P. Adam Schall d'accepter la charge de président du tribunal des mathématiques; c'est l'unique occasion où ce Père se soit jamais trouvé en danger de perdre les bonnes grâces du monarque. Les résistances du missionnaire déplurent au prince il le lui marqua; mais dans toutes les autres rencontres, Chun-chi lui parut toujours plein de condescendance et de bonté. Il n'avoit besoin ni d'étudier ni de ménager son humeur, et tout ce qui lui venoit du missionnaire, les plus fortes mème et trèsfréquentes remoutrances, étoit très-bien reçu. Nonseulement il lui donna l'entrée libre dans son palais, mais il alloit souvent lui rendre visite dans sa maison, et passoit plusieurs heures avec lui.

:

de sa faveur, privé de ses dignités, accablé d'opprobres et de calomnies, souffrit la prison et les fers, et fut enfin condamné à mort pour avoir pièché Jésus-Christ. Ii témoigna par sa constance qu'il s'estimoit encore plus heureux de confesser le nom de Dieu dans un cachot, que de l'avoir annoncé avec houneur dans le palais du grand monarque. La sentence portée contre lui ne fut pas exécutée; mais l'âge et les souffrances firent bientôt ce que les bourreaux n'avoient pas fait. Peu de temps après qu'il fut sortí de prison, Dieu acheva sa délivrance en rompant les liens de son corps, pour faire jouir son âme de la liberté des enfans de Dicu.

[ocr errors]

La persécution fut vive pendant la minorité de l'empereur; mais elle cessa dès qu'il fut majeur et qu'il gouverna par lui-même, Dieu ayant réservé à ce prince si juste, si plein de raison et d'esprit, la gloire de rétablir son culte à la Chine. Voici quelle en fut l'occasion:

C'est une coutume parmi les Chinois de faire faire tous les ans le calendrier, à peu près comme on fait ici les almanachs; mais le calendrier dans ce pays-là est regardé comme une affaire de grande importance dans l'Etat. Il se fait par autorité publique, et le prince ne dédaigne pas de s'en mêler. Depuis qu'on avoit ôté ce soin au P. Adam Schall, avec sa charge de président du tribunal des mathématiques,

C'est au P. Ferdinand Verbiest que les François sont redevables d'avoir été appelés à partager ses trayaux; c'est lui qui les fit venir à Pékin, et qui disposa l'empereur à les recevoir et à les traiter avec distinction. Il mourut au moment qu'ils y arrivèrent, et fut privé de la consolation de les présenter lui-même à la cour.

Tignorance de celui qui avoit été mis à sa place y avoit laissé glisser tant de fautes, que le prince voulut qu'on travaillât à le réformer. Comme on ne craignoit plus à la cour de donner de bons conseils à l'empereur, il se trouva des gens équitables et courageux qui lui représentèrent que les mathématiciens d'Europe exilés ou emprisonnés pendant sa minorité, et dont il étoit resté trois à Pékin, étoient d'une habileté si connue à la Chine, qu'on ne pouvoit faire plus prudemment que de les consulter sur ce sujet. L'empereur trouva cet avis fort bon, et envoya chercher sur-le-champ les trois Européens. Ils furent trèsbien reçus, et dès cette première audience ils eurent tout sujet d'en attendre quelque grâce plus importante que l'intendance du calendrier, qui étoit déjà dressé pour l'année suivante. On le donna à examiner au P. Ferdinand Verbiest, qui y trouva plus de vingt faules considérables, et quelques-unes mème si grossiè-férence, d'une application au salut d'autrui qui ne res, que tout le monde en fut surpris. Il en fit son rapport à l'empereur, qui dès lors conçut pour le missiounaire une estime très-singulière.

Le P. Verbiest profita de cette lueur de faveur, pour demander la permission de prècher la religion chrétienne. Le prince reçut sa requête avec bonté; mais, ne voulant point se dispenser des formes, il la donna à examiner à un tribunal, qui la rejeta. Le missionnaire ne perdit point courage, et pria l'empereur de lui nommer d'autres juges moins prévenus contre notre sainte loi. L'empereur, par une condescendance que toute la cour admira, renvoya l'affaire à un autre tribunal qui porte le titre d'Etats de l'empire, lequel, l'a yant examinée avec beaucoup d'attention, décida que la religion chrétienne avoit été mal à propos condamnée; qu'elle étoit bonne, et qu'elle De contenoit rien de contraire au bien de l'Etat; qu'ainsi la mérnoire du P. Adam Schall, qui avoit été flétrie pour l'avoir prêchée, devoit être réhabilitée; les grands dépourvus de leurs charges pour l'avoir suivie, rétablis; les prêtres européens, rappelés, etc. Ce jugement fut d'un grand poids pour assurer le jeune prince contre les remontrances importunes des ennemis de la religion. Dès la première année que les missionnaires retournèrent dans leurs églises, qui fut l'an 1671, plusieurs Chinois embrassèrent la foi sans que personne s'y opposàt. L'année suivante, un onele maternel de l'empereur et un des huit généraux perpétuels qui commandent la milice tartare, reçurent le baptême.

Le P. Verbiest, digne successeur des PP. Ricci et Adam Schall, a été l'âme de tous ces succès, et la colonne de cette Eglise pendant qu'il a vécu. Ses entretiens fréquens avec l'empereur, les leçons de mathématiques qu'il lui donnoit, furent pour lui une occasion de lui expliquer la loi de Dieu. Il lui inspira pour elle une grande estime, un grand respect, sans cependant avoir le bonheur de lui persuader de l'embrasser.

Sa mort fut sainte comme l'avoit été sa vie ; il s'y étoit préparé par l'exercice continuel des vertus apostoliques et religieuses, et pratiquoit le premier ce qu'il recommandoit aux autres missionnaires. Il pensoit, pour lui ainsi que pour les autres, que pour faire le bien, surtout à la Chine, il falloit des hommes d'un courage que rien ne rebute, d'une activité que rien n'arrête, d'une constance que rien ne lasse, d'un zèle prudent sans respect humain, circonspect sans timidité, entreprenant sans ambition, patient sans indif

diminue rien de celle qu'il doit avoir au sien propre, et d'un désintéressement qui lui donne le droit de dire avec Jésus-Christ: « Je ne cherche pas ma gloire, mais celle de celui qui m'a envoyé. »

A ces illustres missionnaires il faut ajouter les pères Gaubil, Gerbillon, Parennin, Prémare, Benoist, Le Comte, Attiret, Mailla, Contancin, Amyot, Duhalde, et tant d'autres qui tout à la fois portèrent en Chine les vrais principes de la religion et de la science, de la justice et des beaux-arts.

Tous ces pères étoient de la Compagnie de Jésus. Il en vint d'autres ensuite, et toutes les congrégations voulurent avoir en Chine leurs mandataires : jacobins, augustins, dominicains, tous accoururent; mais celte concurrence, loin de servir la religion, faillit lui nuire ; et les démêlés qui éclatèrent, les troubles qui survinrent, les réprimandes et les controverses qui se firent jour jusqu'à Canton et à Pékin, les incertitudes qui durent naître dans la marche des prédicateurs et dans la conscience des disciples, les prétextes qu'en tirèrent les fanatiques ennemis de la foi, tout contribua à jeter sur la mission un voile que l'ardeur des nouveaux ouvriers apostoliques n'a pu encore dissiper.

Ce sont les lazaristes qui, dans ce moment (1840), prêchent l'Evangile en Chine. Mais il faut qu'ils travaillent en secret et dans l'ombre. Le gouvernement ne tolère point la religion chrétienne; il n'admet n les prêtres de ce culte, ni les étrangers de quelque nation qu'ils soient et de quelque bannière qu'ils se fassent précéder.

Combien de peines ne faut-il pas pour apprendre la langue, adopter les coutumes du pays et s'habituer à porter l'habit chinois avec assez d'aisance pour n'ètre pas reconnu des mandarins et des soldats!

Malgré toutes les précautions que prennent les missionnaires, il y en a souvent de découverts et de saisis par les officiers de l'empereur. Alors ce sont des souffrances et des tortures sans fin, et souven

mème des condamnations à la prison perpétuelle, à débordement des fleuves. Un nombre infini de païeus l'exil et à la mort.

Les missions de la Chine sont aujourd'hui au nombre de six, sans compter le collége de Macao et l'établissement fondé récemment sur les confins de la Mongolie.

Ces six missions sont situées dans les provinces de Tchy-li, Ho-nan, Kiang-si, Tehe-kiang, Hounan et Houpe, qui formoient le Hou-kouang; Kiang-sou et An Hocï, qui formoient le Kiang-nan.

Six missionnaires européens les dirigent, avec l'aide de dix-huit lazaristes indigènes et aussi de dix-huit catéchistes.

Le nombre des chrétiens qu'elles comprennent ne s'élève pas à plus de quarante mille. Autrefois il y en avoit deux cent mille, et l'on en a compté jusqu'à quatre cent mille. Ma's de cruelles persécutions ont considérablement amorti le zèle. La religion, dans ces dernières années, s'est relevée un peu, et à l'heure où nous écrivons, les supérieurs des Missions-Etrangères nourrissent dans leur âme de hautes espérances.

Le procureur des missions lazaristes en Chine est M. Torrette. Il est secondé vivement par MM. Rameaux, Laribe, Mouly, Matthieu Ly, et par d'autres missionnaires tant européens que chinois, qui se sont trouvés dans les positions les plus difficiles, au milieu de la peste et de la famine, arrivées toutes deux ensemble pour désoler et dévaster les provinces dans lesquelles on vouloit répandre la foi.

« Plusieurs chrétiens (écrivoit M. Matthieu Ly) mourront certainement de faim cette année (1834); il n'y a que Dieu qui puisse fournir à tant et de si grands besoins. Toutes les moissons ont été enlevées par le

ne se nourrit que d'écorces d'arbres; d'autres mangent une terre légère et de couleur blanche que l'on a découverte dans une montagne. Cette terre ne se livre qu'à prix d'argent, et tout le monde ne peut pas s'en procurer. Les misérables out d'abord vendu leurs femmes, leurs fils et leurs filles, puis tous leurs ustensiles et les meubles de leurs maisons, qu'ils ont en dernier licu démolies pour en vendre aussi la charpente beaucoup cependant passoient pour riches, mais la famine a tout absorbé et tout dévoré. Si nos chrétiens échappent à ces horreurs, ce sera uniquement par les secours que nous pourrons leur porter et leur offrir. »

Les missions de la Chine, comme toutes les autres, sont soutenues par les fonds envoyés d'Europe, et ceux-ci sont alimentés par des souscriptions et des aumônes.

N'est-il pas admirable de voir la charité françoise qui se signale dans l'inépuisable série de ces dons, el qui, au sein même des révolutions et des secousses, toujours active et persévérante, va prêter aide et assistance à des Chinois débiles et haletans?

Le frère tend la main à son frère. L'empire du Christ n'a point de limites. Il n'y a point d'étranger sur la terre; le genre humain ne forme qu'une seule et même famille; d'un bout de l'univers à l'autre le eri du pauvre se fait entendre, et la parole du prètre, fidèle interprète de la loi divine, porte la consolation et la force sous le toit et dans le cœur de l'affligé !

[blocks in formation]

CURIEUSES ET ÉDIFIANTES

ÉCRITES PAR LES MISSIONNAIRES.

་་་་་

LETTRE DU PÈRE PRÉMARE
AU RÉVÉREND père de la chaise,

CONFESSEUR DU ROI.

Traversée de France en Chine. Cap de Bonne-Espérance.
Asham, Malacca, Sancian, Macao.

A Canton, le 17 février 1699.

MON TRÈS-RÉVÉREND PÈRE,

P. C.

La part que vous voulez bien prendre à tout ce qui regarde nos missions, nous oblige à vous rendre compte de notre voyage. Il est si nouveau, et l'on s'attend si peu, dans la relation d'un voyage de France à la Chine, d'entendre parler du royaume d'Achen', et de la ville de Malaque, que vous ne serez peutêtre pas faché d'apprendre comment nous nous sommes jetés dans une route si extraordinaire, et ce que nous y avons trouvé de remarquable. Nous avons cu bien des aventures; mais, avant de vous en parler, je vous dirai que nous rencontrâmes, vers la ligne, l'escadre de M. des Augers qui alloit aux Indes Orientales. Nous cûmes le plaisir d'embrasser nos chers compagnons, qui étoient sur les vaisseaux de cette escadre, et qui n'arriveront à la Chine que dans un an. Ils nous rejoignirent encore au cap de Bonne-Espérance; et le père Bouvet, qui souhaitoit ardemment de conduire à la Chine une troupe nombreuse de missionnaires, crut devoir prendre avec lui quelques-uns de ces Pères. Il prit en effet les pères Domenge et Baborier, et nous nous trouvâmes onze missionnaires jésuites sur l'Amphitrite. Il ne resta

Asham. 2 Malacca.

sur l'escadre de M. des Augers que les pères Fouquet et d'Entrecolles, avec le frère Fraperie.

Pour ce qui est du cap de Bonne-Espérance, on le connoft assez en France, depuis les voyages du père Tachard; mais il faut bien mettre

❘ de la différence entre ce qui se dit du jardin de la compagnie de Hollande, et le reste de ce qui s'y voit. Tout le reste n'est presque rien; le jardin est une des plus belles choses qui se puisse imaginer. Il est vrai que l'art y a beaucoup moins travaillé que la nature. Ce ne sont point, comme dans nos maisons de plaisance, des parterres réguliers, des statues, des jets d'eau, des berceaux artistement travaillés : c'est un assemblage de tout ce qui croît de rare et de curieux dans les forêts et dans les jardins des quatre parties du monde. Outre les orangers. et les citronniers, qui sont là très-hauts et en plein sol, c'est une multitude et une variété infinie d'autres arbres et arbustes, qui nous sont inconnus pour la plupart, et qu'on trouve toujours verts et fleuris. Ce sont des légumes et des fruits en profusion, qui sont excellens et qu'on cucille dans toutes les saisons de l'année. Ce sont des allées tantôt découvertes, et tantôt sombres à en être obscures, qui se coupent et qui se traversent dans un terrain très-vaste et très-uni. C'est un ruisseau d'une cau claire et pure, qui se promène par le jardin ayec autant d'agrément et de symétrie que si son lit avoit été fait exprès. C'est la mer qu'on voit en perspective, et qui, dans sa simplicité, forme à toute heure, aux yeux et à l'esprit, quelque spectacle nouveau. Je vous assure que tout cela réuni seroit, en France même, un des plus beaux lieux de promenade que nous ayons, et des plus capables d'attirer la curiosité et l'admiration des étrangers.

« AnteriorContinuar »