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LETTRES

ÉDIFIANTES ET CURIEUSES

CONCERNANT

L'ASIE, L'AFRIQUE ET L'AMÉRIQUE,

AVEC

QUELQUES RELATIONS NOUVELLES DES MISSIONS,
ET DES NOTES GÉOGRAPHIQUES ET HISTORIQUES.

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MISSIONS DE LA CHINE.

PREFACE.

Les tentatives faites pour introduire le christianis- | me dans les contrées centrales et orientales de l'Asie remontent aux temps les plus reculés. Dès le ve et le vi siècle on rencontre dans le Tibet, le Kaptchax et la Mongolie des traces d'ouvriers évangéliques. Les apòtres de la foi se rendoient par terre de Constantinople à Gartope, et de là côtoyant les fleuves, franchissant les montagnes, traversant les forêts et les plaines, ils pénétroient jusqu'à l'empire du Catay, car c'étoit ainsi qu'ils nommoient la Chine septentrionale. Les Arabes, qui s'étoient mis en rapport avec la partie méridionale du même empire, l'appeloient Sin ou Tsing, du nom de la dynastie qui régnoit lors de leur découverte, et c'est ce nom arabe qui, adopté par l'Europe, est devenu pour elle celui de Chine, qu'elle a donné depuis à toute cette vaste domination de l'Orient.

Les premières descriptions de ce pays nous vinrent de deux moines franciscains; l'un, Jean Carpin, né en Italie, l'autre, connu sous le nom de Rubruquis, né dans le Brabant.

Tous deux, au xe siècle, furent envoyés au camp des Tartares, savoir: Carpin, par le pape Innocent IV, et Rubruquis, par le roi Louis IX, pour ouvrir des communications qui devoient tourner au profit de P'Europe et de toute la chrétienté.

A leur retour ils publièrent des lettres qui furent dès ce temps-là curieuses et édifiantes, et qui excitèrent l'intérêt au plus haut point.

Nicolas et Matthieu Paolo, Vénitiens, mais surtout Marc Paolo, leur fils et neveu, voyagèrent vers la même époque, s'enfoncèrent plus avant dans la contrée, et les récits qu'ils en firent étant venus à la connoissance de Henri III, roi de Portugal, ils firent naitre dans l'esprit hardi de ce prince l'idée d'une expédition qui devoit, par ses résultats inouïs, changer la face de la politique et du commerce.

En 1418, il fit armer deux vaisseaux, qui, s'étant élancés vers le sud, atteignirent le cap des Tempèles, le doublèrent, et parvinrent aux Indes par une route qu'aucun navire jusque-là n'avoit pratiquée.

Un établissement considérable fut fait à Goa, et un siècle après, en 1517, le vice-roi de ces provinces

conquises, Lopez Souza, jaloux d'agrandir les possessions de son maître, expédia huit vaisseaux chargés de marchandises, et les mit sous le commandement de Fernand d'Andrada, avec Thomas Pereira, qui reçut le titre d'ambassadeur. D'Andrada, d'un caractère doux et liant, gagna l'amitié du mandarin gouverneur de Canton, et fit avec lui un traité de commerce avantageux.

Pereira partit pour se rendre à Pékin. Mais pendant qu'il étoit en route, les Portugais restés au bas de la rivière de Canton se conduisirent avec tant de violence, que les Chinois prirent les armes et leur retirèrent toute la faveur qu'ils leur avoient d'abord accordée.

L'empereur, promptement informé de ces excès, reçut fort mal Pereira; il le fit arrêter, charger de fers et reconduire à Canton, où le malheureux ambassadeur fut jeté dans un cachot où il périt de misère et de chagrin.

Cependant, quelques années après, les Portugais rentrèrent en grâce. Ils eurent occasion de rendre aux Chinois un service sigualé, et de réparer ainsi la faute qu'ils avoient commise. Ils prirent un pirate qui infestoit les mers de la Chine et en désoloit les côtes. L'empereur, en reconnoissance de ce service, leur permit de s'établir à Macao, mais avec les restrictions sévères que les Chinois imposent encore aux Européens.

Saint François-Xavier avoit prèché au Japon. Son exemple excita le zèle des missionnaires, qui envahirent bientôt toute la colonie portugaise, contre la volonté des princes qui gouvernoient ces lointaines régions.

Il faut suivre ces premiers pasteurs et assister pour ainsi dire à leurs études, à leur préparation, à leurs travaux, pour juger de l'étendue de leur mérite, de la difficulté de leur entreprise, de la constance de leurs efforts et de la gloire de leurs succès.

Ce succès même excita l'envie, et ceux qui s'étoient voués à une tâche aussi louable et aussi pénible, attaqués dans leurs moyens et jusque dans leurs intentions, eurent besoin de défenseurs.

Laissons parler un de leurs apologistes, et traçons par son secours l'histoire abrégée des pères Ricci,

Schall et Vierbest, ces trois vénérables religieux, qui furent regardés comme les fondateurs des missions de la Chine.

Le P. Matthieu Ricci naquit à Macerate, dans la marche d'Ancône, en 1552. Après ses études de belles-lettres, il fut envoyé à Rome pour y faire son droit. Il n'y négligea pas la science du salut, et, se sentant appelé à la vie religieuse, il entra au noviciat des jésuites en 1571. Il eut pour maître le P. Alexandre Valignan, missionnaire célèbre, qu'un prince de Portugal appeloit l'apôtre de l'Orient. Le disciple se sentit vivement inspiré par un tel maître, et quand celui-ci s'en retourna aux Indes, d'où il ne s'étoit absenté que pour un temps, l'autre n'eut point de repos qu'il ne fût admis à l'y accompagner. Dès que cette faveur lui eut été accordée, il redoubla ses soins pour apprendre tout ce qu'il étoit nécessaire de savoir afin de réussir dans la conversion des infidèles, et de bien remplir, de toutes façons, les devoirs qu'il s'étoit imposés. Car un dessein pareil à celui qu'il formoit exige qu'on joigne des connoissances profondes et sûres à des vues saines, justes, droites; à beaucoup de détachement et d'oubli de soi-même, de sangfroid et de résolution.

Au jour marqué, Valignan partit pour Macao avec Ricci. Quand il y fut rendu, il se sentit extraordinairement touché de voir les Chinois, peuple si fameux, encore assis dans l'ombre de la mort. La difficulté de pénétrer dans une région ennemie de tous les étrangers ne le rebuta pas. Ses premières tentatives n'eurent point de succès; mais elles ne lui firent pas perdre courage. On l'entendoit quelquefois soupirer et s'écrier, en se tournant vers le rivage de la Chine : «Rocher, rocher, quand t'ouvriras-tu ? »

Il choisit les ouvriers qu'il erut les plus propres à cette entreprise noble et difficile, et voulut qu'ils s'appliquassent surtout à apprendre la langue chinoise. Je ne crois pas que chez aucun peuple il y en ait une plus épineuse : elle n'a pas un grand nombre de mots, mais chaque mot y signifie un grand nombre de choses, dont il n'y a qu'un ton très-délicat qui détermine le vrai sens. L'écriture y est une science sans bornes, parce qu'il y a peu de termes qui ne 'écrivent avec un caractère particulier; mais que ne peut point la charité dans des cœurs bien pénétrés de Dieu! Les élèves du P. Valignan en surent bientôt assez pour entrer dans la Chine; mais ces voyages ne produisirent d'autres effets que de se procurer la bienveillance de quelques Chinois, de les familiariser un peu avec des étrangers, de diminuer l'horreur et le mépris qu'ils ont pour eux. Il fut cependant impossible de s'y arrèter plus longtemps, ce qui étoit néanmoins nécessaire pour y prècher et y établir solidement la religion. Ce ne fut qu'après bien des tentatives qu'on y réussit. La patience du P. Ricci surmonta tous les obstacles: Dieu bénit son courage, et, dans un temps où Macao et ses habitans avoient es

suyé de grandes pertes, il y trouva des secours pour acheter un terrain, bâtir une maison, fournir à son entretien et à celui de deux de ses confrères, et faire des présens aux mandarins et aux autres officiers dont il falloit acheter la protection.

Ce fut au commencement de septembre 1583 que Ricci arriva à Choaquin, et obtint des lettres-patentes portant permission de s'y fixer, et d'y acheter un endroit convenable pour son habitation. Ce premier pas fait, il falloit étudier les mœurs de ses nouveaux hôtes, connoître leur caractère, saisir les moyens les plus propres à les instruire, à les éclairer.

Le P. Ricci, étant depuis à Pékin, disoit qu'il étoit effrayé quand il pensoit à tout ce qu'il avoit faliu faire, et plus encore à ce qu'il avoit fallu éviter, pour en venir où il en étoit. De toutes les nations du monde, la chinoise est la plus délicate et la plus difficile à vivre pour les étrangers. Naturellement elle les méprise, et il faut qu'ils sachent s'y montrer par des endroits bien estimables, pour s'y attirer de l'estime. L'aversion est égale au mépris, et elle paroissoit en ce temps-là si insurmontable, qu'il n'y avoit qu'un grand intérêt qui pût faire tolérer aux Chinois le commerce d'une autre nation. Par-dessus tout cela, les conquêtes que les Espagnols et les Portugais avoient faites, depuis quelque temps, en divers lieux proches de la Chine, avoient inspiré beaucoup de défiance à ces peuples ombrageux, en sorte qu'aucun mandarin ne pouvoit voir sans inquiétude un étranger dans son gouverne

ment.

La connoissance de ces obstacles à surmonter fit résoudre les missionnaires à garder de grandes mesures, et à ne traiter avec les Chinois qu'avec une grande circonspection. Ils tâchèrent de les apprivoiser peu à peu, et de gaguer insensiblement leur estime par les sciences, pour gagner plus sûrement leurs cœurs par la prédication. Ils commencèrent à les attirer chez eux, en exposant dans leur chapelle des tableaux de dévotion très-bien peints; ce qui étoit une chose fort nouvelle pour les Chinois. Ensuite, comme ils n'ignoroient pas l'estime que ces peuples faisoient des mathématiques, le P. Ricci, qui avoit étudié à Rome sous le fameux Clavins, se fit une grande réputation par l'habileté qu'il y montra. Il leur fit une carte de géographie qui leur plut extraordinairement, et par laquelle il les détrompa de l'erreur grossière où ils étoient de croire que la plus grande partie du monde fût là Chine, et que tout le reste n'étoit que des morceaux dè terre rangés autour d'elle pour lui servir d'ornement, s'étant toujours imaginė que la terre étoit carrée, et que la Chine en occupoit le milieu.

Cette opinion de science, où les missionnaires se mirent d'abord, leur attira l'estime des personnes distinguées par leurs emplois et par leurs talens. On les visitoit souvent, et l'on s'en retournoit d'auprès d'eux charmé de leur érudition, et même de ce qu'ils

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