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ces deux Planches. Il préfente une Peinture Egyptienne, plus entière & plus fuivie dans l'objet de fa compofition, qu'aucune qui ait encore paru. Le trait a confervé tous fes contours ; & la couleur, toute fa vivacité : cette peinture établie fur une affez groffe toile de lin, n'eft exécutée qu'à la détrempe. Il eft vrai que la deftination du Monument rend fa conservation moins étonnante : il a été fait pour couvrir le devant d'une Mumie. La fécheresse du climat, & la caiffe dans laquelle la Mumie a toujours été renfermée, &, qui plus eft, la privation de l'air, ont fans doute garanti la toile & les couleurs des inconvéniens qu'un fi grand nombre de fiècles préfente à l'imagination. Il est plus fingulier cependant que l'air extérieur, depuis que la Mumie eft fortie de fa caiffe, n'ait fait éprouver aucune altération à une toile & à des couleurs, fur lef quelles cet élément n'avoit point frappé depuis fi longtems; l'asphalte dont la toile paroît avoir été imbibée avant toute autre préparation, peut avoir contribué à cette confervation.

Les onze tableaux, grands ou petits, dont cette ancienne peinture eft compofée, me paroiffent avoir beau coup de rapport au fyftême de l'ame après la mort : on la voit ce me femble, dans quatre des petits tableaux de la Planche IX. Elle paroît devant des Juges différens par les têtes, mais femblables tant par la difpofition des attitudes, que par la privation des bras. Je ne fuis point affez fçavant, & je n'aime point affez les conjectures, pour entrer dans un plus grand détail fur une ma→ tière auffi métaphyfique : il ne me refte qu'à examiner ce qui regarde la partie méchanique de l'Art ; & c'eft à ces réflexions que je compte me borner. Je tâcherai de donner, le plus clairement qu'il me fera poffible, une idée du goût du deffein qui y règne : je ferai remarquer que les figures tenues prodigieufement fveltes & allongées, ont plus d'efprit que de correction; que le caractère de chacune eft affez bien faifi, que tous leurs mouvemens

font indiqués avec affez de jufteffe, & qu'enfin l'arrangement des figures, quoique fymmétrique & peu varié, n'eft point déplaifant. Toutes ces figures cependant font vûes de profil, & ifolées fans aucun art, ce qui fait paroître la composition féche & peu riche; mais il faut fe tranfporter dans ces tems reculés, où il eft à fuppofer que ce Monument a été travaillé, & fe rappeller que dans l'enfance de la Peinture, ceux qui exerçoient cet Art, ne penfcient point autrement, & ne connoiffoient point l'intelligence des groupes: enfin, ils n'étoient sensibles à aucun autre arrangement. Ce défaut prouve au moins la haute antiquité du morceau de peinture que je préfente; & je ferois fâché que le reproche ne fût pas auffi bien fondé.

Si j'avois à chercher dans les manières de peindre & de compofer des différens Peuples qui nous font connus, quelque manière dont on pût faire la comparaison avec celle de cette peinture, je croirois l'avoir trouvée dans les Ouvrages de ce genre qui nous viennent des Indes ; & fi l'on veut mettre l'une & l'autre en parallèle, on fera obligé de convenir du rapport fenfible qui fe trouve entre elles; peut-être fera-t-on obligé de convenir qu'il y a eu autrefois une communication d'idées entre les Egyptiens & les Peuples de l'Orient, d'autant que dans cette partie du monde les ufages qui ne dépendent point du goût, ont beaucoup moins éprouvé de changemens que par-tout ailleurs.

Quoi qu'il en foit de cette obfervation, il fuffit que le Monument faffe connoître ce qu'étoit l'Art de la Peinture entre les mains des Egyptiens, pour le rendre auffi précieux qu'il eft intéreffant; il fervira du moins à faire connoître comment ils fe conduifoient pour donner du corps à leurs pensées, & rendre fenfibles fur la toile des idées purement métaphyfiques. Je veux croire que lorf que ce Peuple, grand dans l'exécution de fes projets, vouloit décorer de peintures fes temples & fes palais. il s'adreffoit à de meilleurs Artistes, & cherchoit à rendre

dignes de l'attention des fpectateurs, des ouvrages faits pour être expofés au grand jour; mais à quelque usage que fuffent deftinées les peintures qu'il ordonnoit, elles n'ont jamais dû préfenter des différences marquées, ni pour ce qui concernoit le goût général du deffein, ni pour ce qui regardoit l'ordre, la difpofition & l'arrangement des figures. Je pourrois ajouter, conféquemment aux dépenfes exceffives des Egyptiens pour l'embaumement de leurs corps & la décoration des Mumies, que les Artistes chargés du foin de les peindre, ne devoient pas être du dernier ordre. Il eft vrai que ces fortes d'ouvrages, dont ils faifoient hommage à la fuperftition, devoient être enfermés pour toujours dans un tombeau, dont on ne pou voit prévoir l'ouverture, dans la crainte du facrilége: ces idées pourroient perfuader que la négligence ou l'avarice profitoient de ces circonftances; mais ces vices honteux ne furent point ceux d'une Nation, qui toute occupée du devoir qu'elle rendoit à des morts, dont la mémoire étoit refpectable, fe fût reproché de ne le point remplir, si la magnificence n'eût paru dans tout fon éclat. Et c'eft ainfi que penfoient à fon exemple les Grecs & les Romains pour la décoration des demeures qu'ils confacroient à leurs morts; les peintures dont ils les ont ornées, & qu'on y a découvertes, étoient exécutées avec tout le foin poffible.

On peut donc croire que celle dont il est question, eft la production d'un Artifte intelligent pour le fiècle où il a vécu ; & dès lors on eft en droit d'avancer que la Peinture avoit en Egypte une marche abfolument différente de celle qu'on pratiquoit pour la Sculpture; & que les deux Arts n'étoient pas regardés fous le même point de vûe. L'un eftimé comme plus durable, & en cela plus d'accord avec la façon de penfer des Egyptiens,étoit traité avec auftérité, fans détails, dans la crainte de l'affoiblir; fans mouvement & fans aucune partie faillante, pour ne point en faciliter la deftruction. L'autre, ( du moins ce morceau de peinture permet de le dire) admettoit au

contraire

contraire toutes les parties de mouvement, & rendoit, quant à la difpofition d'une figure, l'imitation de la Nature plus complete & plus vraie. Je crois enfin que cette efpèce de tableau prouve de plus que les Egyptiens avoient plus de génie & d'élégance qu'on ne leur en avoit foupçonné jusqu'ici. D'un autre côté, il faut convenir

cette toile, & plus de cent fragmens que je poffede d'autres peintures destinées au même usage, & dont les couleurs font également confervées,donnent une nouvelle preuve, & des plus frappantes, des foins & des attentions que les Egyptiens apportoient pour la durée de toutes leurs opérations.

Quelques détails fur la manoeuvre ou la compofition de cette peinture & de fes couleurs, ferviront encore plus à la conviction.

Les couleurs font délayées avec de l'eau, & plus ou moins chargées de gomme; toutes font employées entières, c'eft-à-dire, fans aucune ruption. Elles font au nombre de fix, le Blanc, le Noir, le Bleu, le Rouge, le Jaune & le Verd: mais le Rouge & le Bleu qui dominent, font broyés affez groffièrement, & préfentent un grain faillant & raboteux.

Le Blanc eft compofé fimplement de céruse pareille à celle que nous employons; & fa préparation me paroît femblable à celle dont j'ai parlé, & qui faifoit la base des dorures Egyptiennes fur le bois : elle forme ici un enduit général qui couvre également toute la toile, & produit le même effet que les Impreffions, fur lefquelles nos Peintres appliquent les couleurs. En conféquence, tous les contours des Figures ont été tracés avec du noir fur cette préparation, & ce qui devoit paroître blanc, vient du fond même qui a été réservé à cette intention dans les places jugées néceffaires. Quoique très-délicat en luimême, ce blanc n'a cependant fouffert presque aucune altération.

Le Noir, comme je viens de le dire, forme tous les Tome V.

D

traits extérieurs des Figures, & n'eft employé comme couleur que dans le Scarabée, dont la figure eft dominante dans le premier tableau.

Le Bleu n'eft autre chofe que notre bleu d'émail.

Le Rouge eft le minium tout pur; la teinte en eft foncée, & tient beaucoup de la couleur que nous connoissons. fous le nom de brun-rouge.

Le Jaune & le Verd ne paroiffent avoir été donnés qu'avec des eaux coloriées, ou de fimples teintures. Leur confervation pure & entière mérite d'autant plus d'attention, que ces couleurs ne font employées que légèrement & par glacis fur la préparation blanche.

Mais il faut confidérer que cette toile n'a dû fouffrir aucun frottement depuis qu'elle eft fortie de la caiffe de la Mumie je ne puis dire le tems auquel elle a revû le jour; mais quand elle m'eft arrivée, elle ne m'a point paru avoir été ménagée felon fon mérite, du moins elle étoit ployée plufieurs fois, & de façon à faire éclater la couleur.

On peut inférer de tout ce que je viens d'expofer, que le Dibutade de Pline a pu être l'inventeur de la Peinture dans la Grèce, mais qu'il avoit été précédé dans l'Egypte par des Peintres qui travailloient, peut-être un grand nombre de fiècles avant lui. Pline le fait entendre en quel que façon, mais il auroit dû s'exprimer plus affirmativement. En effet, nous voyons dans ce morceau de peinture des figures preffées, des couleurs compofées, une pratique formée ; &, qui plus eft, un ouvrage établi fur une toile, matière que les autres Nations de l'Antiquité ne paroiffent point avoir employée à cet ufage: enfin, toutes ces pratiques font exécutées dans des fiècles que l'on peut reculer auffi loin qu'on le voudra.

Il ne feroit pas naturel de regarder cette Peinture comme l'ouvrage d'un tems moderne à l'égard de l'Egypte, c'eft-à-dire, depuis que les Arts cultivés dans la Grèce y furent portés, ou depuis que les Romains furent établis

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