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PREFACE.

E NE PUIS m'empêcher de dire que l'éJtude de l'Antiquité ne ressemble, en aucune façon, à l'idée qu'on en a prise assez généralement dans le monde. On ne l'a point approfondie : on ne la voit que par un côté, qu'il eft facile de trouver ridicule. Je prie même le Lecteur d'être perfuadé que je fçaurois me moquer tout aussi bien qu'un autre, d'un homme qui ne feroit occupé que de l'examen d'un vieux pot, ou d'une ftatue mutilée, &c. Ma critique feroit même plus vive que la plaifanterie ordinaire, fi je voyois qu'il ne regardât ces objets que des yeux du corps, fans avoir aucun des projets de recherche qui peuvent conduire à la véritable Philosophie. Car il ne faut pas s'y tromper, & je le dis avec la plus entière conviction, l'étude de l'Antiquité doit procurer la fageffe à fes Ama

teurs.

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Pour faire comprendre une vérité qui doit

furprendre, & prouver l'injuftice de l'opinion commune, je vais préfenter cette étude fous deux aspects; le Physique, & le Moral. J'espère que je pourrai convaincre de leur différente utilité, & faire fentir non-feulement l'avantage mais le bonheur de celui qui pourroit réunir ces deux parties.

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Celle que je préfente sous le nom de Physique, confifte dans l'examen du Peuple, & du Pays qui a produit les Monumens ; dans l'objet & dans l'ufage de ces mêmes Monumens; dans l'étude de leur matière; dans les réflexions fur leur forme.

Ces quatre points de vûe engagent à des recherches de diverse nature: malgré leurs différences, elles tendent au même but; & leur variété augmente l'agrément que l'on trouve à fe livrer à cette étude.

Je vais entrer dans quelques détails pour ne laiffer aucun doute fur les termes, & donner une idée jufte de cette première partie, qui dans le fonds eft la plus effentielle, & celle que les Antiquaires ont plus ou moins fuivie.

La recherche du Pays, établie fur le travail des Monumens, augmente néceffairement les connoiffances de l'ancienne Géographie, & développe les particularités de l'histoire d'une Nation. Sur le nombre, le goût, ou la barbarie des Monumens d'un Peuple, on peut juger de la culture de fon

efprit, quelquefois même du caractère de ses

mœurs.

La découverte de l'ufage auquel les Monumens ont été employés, donne des éclairciffemensfur les inclinations & le goût d'un Peuple; elle fert en même tems à l'intelligence de plufieurspaffages des Auteurs, qui ne peuvent être entendus fans le fecours des Monumens: car les Hiftoriens ont prefque toujours négligé les détails les regardant avec raifon comme inutiles à leur objet.

La connoiffance des matières fournit des lumières fur les productions de la terre: celles-ci font ordinairement conftantes. On peut donc, en indiquant le lieu qui les fourniffoit autrefois, les faire retrouver, & les rendre communes dans la fociété. La certitude que l'on a, qu'une matière existe dans un pays, produit le même avan-tage qu'on éprouve fur les opérations anciennement pratiquées; c'est-à-dire, qu'elles font toujours plus faciles à retrouver, ou à répéter. La poffibilité, dont on eft convaincu, répond du fuccès, & bannit le dégoût d'une recherche ou d'une expérience, dont on eft en quelque façon. afsuré.

La forme non-feulement eft capable de rendre les ufages modernes plus commodes, mais encore d'en rectifier le trait, & de conduire à une élégance qui produit l'embelliffement des Arts; le travail des

Artistes devient par conféquent plus heureux & plus étendu.

On conviendra fans peine que les détails de ces quatre objets d'étude font peu limités, & qu'ils font capables d'occuper & d'amuser. Mais on dira peut-être que toute la gloire d'un Antiquaire se borne à pouvoir être utile un jour, aux Lettres & aux Arts; car il travaille toute fa vie à leur affembler des matériaux, dont les Littérateurs & les Artistes n'aiment à profiter qu'après la mort de celui qui les a réunis. Mais cette réflexion ne peut être donnée comme un reproche; & rien n'eft en droit de diminuer le devoir d'obliger; c'est le premier de la fociété. Il est donc agréable de travailler dans l'efpérance de procurer à fes pareils la plus médiocre utilité, tandis qu'un fi grand nombre d'hommes meurent infolvables à cet égard.

Je paffe au fecond objet de l'étude de l'Antiquité. Toutes les Nations célèbres, ou plutôt celles dont il fubfifte des Monumens, & dont il est mention dans l'Histoire, font, en quelque façon, fubordonnées à l'Antiquaire. Il est à portée, comme je l'ai dit plus haut, de juger de leurs mœurs, de leur caractère, & de leur conduite, par le genre & la répétition de leurs ouvrages. On sçait aifément que ce jugement n'eft pas fans appel, & qu'on ne doit le regarder que comme un préjugé plus folide qu'aucun autre ; mais l'Antiquaire tire

une

une plus grande certitude de la comparaifon de ce qu'il voit, avec le récit des Hiftoriens; fouvent même il peut fuppléer à ce qu'ils ont omis.

Ces avantages font grands, mais ils ne font pas comparables à celui d'apprendre à connoître les hommes, c'est-à-dire, à voir, fans aucune obfcurité, le plus grand nombre de leurs foibleffes : il apprend à les éviter, tandis que leur répétition & leur reffemblance le conduifent même à les ex

cufer. Il ne peut douter que la nature de l'homme

ne l'engage à ces abus: mais le plus grand objet de la méditation de l'Antiquaire, celui qui fe trouve le plus lié à fes recherches, fera fans doute la lenteur & la médiocrité du génie inventif, que les hommes s'attribuent. Les Réflexions lui feront fentir qu'un befoin simple a fait naître en premier lieu un moyen groffier, qui n'a point été prévâ, & dont la découverte n'est dûe qu'au hasard. La longue répétition de ce moyen a mis fucceffivement d'autres hommes en état de profiter des nouveaux hafards qui fe font présentés : ce moyen devenu complet, a été adapté dans la fuite à d'autres moyens, plus ou moins utiles, à proportion de l'étendue de la fociété. Enfin, après la révolution de plufieurs fiècles, le résultat d'un fi grand nombre de hasards, fe trouve mis au rang des inventions, & l'on admire le grand effort de l'efprit humain. C'est en effet ce que doivent faire ceux qui placés, comme nous, au-def Tome V.

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