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dans mes piéges; c'est néanmoins de cette façon que je faisois la chasse aux oiseaux les plus petits et les plus délicats.

Il est bon que tout Naturaliste qui travaille lui-même sa Collection, soit instruit du moyen que j'avois inventé. Cette expression n'est point hasardée; cette idée est neuve absolument, et, jusqu'à ce jour, je n'ai ouï dire à personne qu'un autre que moi en ait fait usage.

Voici quel étoit mon procédé ; je mettois, dans mon fusil, la mesure de poudre plus ou moins forte, suivant les circonstances; immédiatement sur la poudre, je coulois un petit bout de chandelle épais d'environ un demipouce; je l'assurois avec la baguette, ensuite je remplissois d'eau le canon jusqu'à la bouche; par ce moyen, à la distance requise, je ne faisois, en tirant l'oiseau, que l'étourdir, l'arroser et lui mouiller les plumes; puis, le ramassant aussi-tôt, il n'avoit pas, comme dans un piége, le temps de se débattre et de se gâter; l'eau, poussée par la poudre, alloit au but, et le morceau de suif n'ayant pas la pesanteur de l'eau, restoit en route; il est bien arrivé

dans mes premières expériences, qu'ayant quelquefois tiré de trop près, ou mis trop de poudre, ou le morceau de chandelle trop épais, je le retrouvois tout entier dans le ventre de l'animal que je venois de tirer; mais, après un court apprentissage, je ne m'y suis plus laissé prendre, et je n'ai jamais manqué mon coup. J'ai souvent laissé, du matin jusqu'au soir, mon fusil ainsi chargé; je ne m'apercevois point que la poudre en fût altérée, et le coup n'en partoit pas moins bien. On devine assez que, de cette manière, je ne tirois jamais horizontalement.

Depuis mon retour en Europe, je me trouvai un jour à la campagne chez un ami. On parla, devant quelques personnes qui m'étoient inconnues, du moyen que j'avois employé et que je viens de décrire; une d'elles, qui n'osoit m'avouer en face son incrédulité, soutenoit, vis-à-vis des autres, par de très clairs argumens, que l'assertion étoit tout au moins exagérée. Tandis qu'ils se disputoient, je disparus, sans que la compagnie le remarquât; et, après avoir préparé un fusil suivant ma manière, je revins par le jardin à la fenêtre

où ces Messieurs continuoient leur dispute; et, leur montrant du doigt un petit oiseau perché tout près de là, je l'ajustai; il tomba. Je le saisis sur le champ, et, le livrant plein de vie aux mains de mon discoureur, je fis cesser ses beaux raisonnemens.

Vers la fin du mois, nous fumes contrariés par de nouvelles pluies; elles durèrent long-temps et presque sans relàche; ces orages se succédoient avec rapidité; le tonnerre tomba plusieurs fois, près de nous, dans la forêt ; l'eau nous gagnoit insensiblement de toutes parts; pour comble de désagrément, dans une nuit, notre camp fut entièrement submergé; nous quittâmes aussi-tôt le bois pour aller nous établir plus haut en rase campagne. Je voyois, avec le plus amer chagrin, qu'il n'étoit pas possible de sortir de l'endroit où nous nous trouvions circonscrits ; ces petits ruisseaux qui, auparavant, nous avoient paru si agréables et si rians, s'étoient changés en torrens furieux qui charioient les sables, les arbres, les éclats de rochers; je sentois qu'à moins de s'exposer aux plus grands dangers, il étoit impossible de les traverser; d'un autre

côté,

côté, mes bœufs harassés, transis, avoient déserté de mon camp ; je ne savois par où et comment envoyer après eux pour les rattraper; ma situation n'étoit assurément point amusante; je passois de tristes momens. Déjà mes pauvres Hottentots fatigués et malades commençoient à murmurer: plus de vivres, plus de gibier; ce que nous en tuyons suffisoit à peine à notre subsistance, parce que, resserrés par le torrent qui grossissoit chaque jour davantage, nous n'avions pas même la ressource de nos voisins pour en obtenir quelqu'assistance. Quelle position et quel affligeant appareil ! On eût dit qu'un déluge universel alloit inonder l'Afrique. Je renfermois au-dedans une partie de mes alarmes ; je voyois mes tristes Compagnons promener leurs regards inquiets, et m'attester, par leur silence, tout ce qu'ils éprouvoient de craintes pour eux-mêmes. Jamais spectacle ne vint s'offrir sous des couleurs plus sombres en un moment, nos charmantes promenades ravagées, dévastées par leurs eaux ; ces jardins délicieux et rians changés en un désert inhabitable et noir ! dans cette détresse, je rassemblai toutes mes forces, et conjurai Tome I.

L

mes amis de chercher au moins nos Boeufs dispersés et perdus, et de se déterminer à traverser l'un des torrens, au risque de tout ce qui pourroit en arriver. Par la plus étrange bizarrerie du sort, l'événement fatal qui nous menaçoit d'une perte prochaine, causa une partie de notre salut. L'un de mes Hottentots, en cherchant un passage, aperçut, au milieu des eaux, un Buffle qui s'étoit probablement noyé la veille; car il étoit encore assez frais. Il vint, avec des cris de joie, nous apporter cette heureuse nouvelle. Rien n'arrivoit plus à propos. Nous tirâmes, non sans quelque péril, l'animal à bord; il fut dépecé sur la place. On en leva les parties les plus saines; mes Chiens, qui jeûnoient depuis long-temps, trouvèrent dans celles que nous leur abandonnâmes de quoi se refaire et se ravitailler un peu. Nous les voyons revenir de la curée avec des ventres qu'ils avoient peine à porter. Un dernier trait ne sauroit échapper à ma plume: il peindra mieux encore l'état cruel où nous nous voyons réduits; nos chiens, qui n'étoient plus que des squelettes ambulans, épioient nos démarches, et se traînoient sur nos pas, lorsque

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