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chaud, il fut vidé; Klaas y déposa les quatre pieds de l'animal, les fit recouvrir de cendres chaudes, ensuite de charbons, de quelque menu bois, et ce feu brûla jusqu'au jour. Toute cette nuit je dormis seul; mes gens veillèrent; tel avoit été l'ordre de Klaas. On me raconta qu'on avoit entendu beaucoup de Buffles et d'Eléphans roder à l'entour. Nous nous y étions attendus; toute la forêt en étoit remplie ; mais la multiplicité de nos feux avoit empêché qu'ils ne nous inquiétassent.

Mes gens me présentèrent, à mon déjeûné, un pied d'Eléphant. La cuisson l'avoit prodigieusement enflé; j'avois peine à en reconnoître la forme; mais il avoit si bonne mine; il exhaloit une odeur si suave que je m'empressai d'en goûter; c'étoit bien un manger de Roi; quoique j'eusse entendu vanter les pieds de l'Ours, je ne concevois pas comment un animal aussi lourd, aussi matériel que l'Eléphant, pouvoit donner un mets si fin, si délicat : « Jamais, me disois» je intérieurement, non jamais nos modernes » Lucullus ne feront figurer, sur leurs tables » un morceau pareil à celui que j'ai présente»ment sous la main; vainement leur or con

> vertit et bouleverse les saisons; vainement » ils se vantent de mettre à contribution toutes » les contrées; leur luxe n'atteint point jus» ques-là; il est des bornes à leur cupide sen»sualité ; et je dévorois sans pain le pied de mon Eléphant; et mes Hottentots, assis près de moi, se régaloient avec d'autres parties qu'ils ne trouvoient pas moins excellentes. Ces détails paroîtront puériles, ou tout au moins indifférens au plus grand nombre de Lecteurs ; il faut tout dire, puisqu'on n'a jusqu'ici que des Notions bizarres ou d'absurdes Romans sur le Pays singulier que je parcours.

Nous employâmes le reste de la matinée à arracher les défenses; comme c'étoit une femelle, elles ne pesoient guère que vingt livres ; la bête avoit huit pieds trois pouces de hauteur. Mes gens se chargèrent de toute la viande qu'ils pouvoient porter, et nous reprîmes la route du camp. Nous nous étions proposé de suivre la piste de celui qui m'avoit laissé la vie, et que nous avions si cruellement maltraité; mais il en étoit venu tant d'autres, pendant la nuit, que les traces se trouvèrent confondues. Nous étions d'ailleurs si fatigués ; je craignois

tant de rebuter ces pauvres gens! je les ramenai au plus vite.

Que la vue est un sens subtil dans le Hottentot! qu'il le seconde par une attention difficile et bien merveilleuse! Sur un terrein sec où malgré sa pesanteur l'Eléphant ne laisse aucune trace, au milieu des feuilles mortes, éparses et roulées par le vent', l'Africain reconnoît le pas de l'animal; il voit le chemin qu'il a pris, et celui qu'il faut suivre pour l'atteindre, une feuille verte retournée ou détachée, un bourgeon, la façon dont une petite branche est rompue, tout cela et mille autres circonstances sont pour lui des indices qui ne le trompent jamais; le chasseur Européen le plus expert y perdroit toutes ses ressources ; moi-même je n'y pouvois rien comprendre; ce n'est qu'à force de temps et d'habitude que je me suis fait à cette partie divinatoire de la plus belle des chasses; il est vrai qu'elle avoit pour moi tant d'attraits qu'aucun des plus petits éclaircissemens n'étoient dédaignés; je m'instruisois chaque jour, de plus en plus; et, lorsque je rodois dans les bois avec mon monde, nous passions les journées en questions, et l'épreuve suivoit quelquefois le précepte.

De retour au camp, mon vieux Swanepoël me dit que, pendant mon absence, il avoit été, toutes les nuits, inquiété par des troupes d'Eléphans qui s'étoient si fort approchés qu'on les entendoit casser les branches, et brouter les feuilles; je fis un tour dans la forêt, et je vis effectivement quantité de jeunes arbres cassés, des branches dégarnies, et de jeunes pousses dévorées.

temps

de

C'en étoit assez pour me remettre en camavoient eu tout le gens pagne. Mes reposer, j'aimois mieux aller surprendre de jour ces animaux, que de les attendre chez moi pendant la nuit; dès le matin, je me mis sur la piste ; je ne fus pas obligé de courir bien loin ; car du haut d'une colline, à la lisière du bois j'en aperçus quatre dans de fortes broussailles ; je fis en sorte de n'en point être éventé ; et m'approchant avec précaution, je me donnai le plaisir de les considérer à mon aise, pendant plus d'une demi-heure ; ils étoient occupés à manger les extrémités des buissons. Avant de les prendre, il les frappoient de trois ou quatre coups de trompe; c'étoit, je crois, pour en faire tomber les fourmis ou d'autres insectes.

Après ce préliminaire, ils formoient toujours; avec la trompe, un faisceau de toutes les branches qu'elle pouvoit entourer, et le portant à la bouche, toujours de gauche à droite, sans le broyer beaucoup, ils l'avaloient. Je remar quai qu'ils donnoient la préférence aux branches les plus garnies de feuilles, et qu'ils étoient en outre très-friands d'un fruit jaune, quand il est mûr, et qu'on nomme Cerisier dans le pays.

Lorsque j'eus suffisamment examiné leur manége, je tirai à la tête celui qui se trouvoit le plus près de moi, et en moins de dix minutes › je mis de même les trois autres à terre (*).

Nous nous imaginions qu'il n'y en avoit plus ; mais un grand bruit à côté de nous, nous ayant fait tourner la vue un de mes Hottentots, qui aperçut un petit Eléphant, le tua ; j'en eus beaucoup d'humeur, et le réprimandai fortement. Ce jeune animal n'étoit pas plus gros qu'un veau de cinq à six mois ; j'aurois pu facilement l'apprivoiser.

(*) Lorsque les Eléphans sont en troupe et pressés, si le premier qu'on a tiré tombe mort, on peut se promettre de les abattre tous, les uns après les autres. Je reviendrai sur cette singularité.

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