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l'empressement avec lesquels on ferme et portes et fenêtres et volets, la poussière pénètre jusqu'aux armoires et aux malles. Toutincommode! qu'il soit, ce vent procure cependant un grand bien à la Ville. Il la purge des vapeurs méphi tiques, occasionnées par les immondices qui s'amassent naturellement au bord de la mer,

par

celles que les habitans y font jeter, et, plus que cela, par les débris ensanglantés que les bouchers de la Compagnie, qui ne font point usage des pieds, des têtes, ni des intestins des animaux qu'ils égorgent, jettent et laissent aux portes des boucheries où ils s'a massent en tas, se corrompent, empoisonnent l'air et les Habitans, et fomentent ces maladies épidémiques trop ordinaires au Cap dans le cours de la saison où le Sud-Est n'a pas beaucoup régné.

Le fléau le plus dangereux et le plus cruel est le mal de gorge. Les personnes les plus robustes y succombent en trois ou quatre jours. C'est un coup violent qui ne donne pas le temps de se reconnoître.

La petite-vérole est une autre peste pour toutes les Colonies. Cette partie du Globe ne

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la connoissoit point avant l'arrivée des Euro-
péens; et, depuis qu'elle appartient aux Hol-
landois, on l'a vue à deux doigts de sa destruc-
tion. La première fois sur-tout qu'elle se ma-
nifesta, plus de deux tiers des Colons périrent.
Ses ravages furent plus meurtriers encore parmi
les Hottentots, il sembloit que cette maladie
les attaquât de préférence : aujourd'hui même
ils
y sont fort sujets.

Ce sont des vaisseaux arrivant d'Europe qui ont fait ce présent à cette Colonie. Aussi a-t-on grand soin d'envoyer les. Chirurgiens de la Compagnie pour en faire la visite la plus scrupuleuse, à leur arrivée dans la Rade. Au moindre vestige de ce mal, toute communication de l'équipage avec la Ville et les Habitans leur est rigoureusement interdite. On met un embargo sur la cargaison dont on ne souffre pas, que la moindre partie vienne à terre. On fait, jour et nuit, une garde sévère. Si l'on apprenoit qu'un Capitaine eût trouvé quelque moyen de eacher cette maladie sur son Bord, lui et ses Officiers seroient sur le champ dégradés et condamnés à une forte amende, si c'étoit un Vaisseau de la Compagnie : j'ai dit ses Officiers

parce que chacun d'eux, tenu de répondre du Vaisseau pour la partie qui le concerne, il ne seroit pas possible de cacher la contagion, sans le consentement et le complot unanimes de tout l'équipage. Si le Navire étoit étranger, rien ne pourroit le sauver de la confiscation.

La saison des pluies commence ordinairement vers la fin d'Avril. Elles sont plus abondantes et plus fréquentes à la ville que par-tout ailleurs dans les environs: en voici la raison naturelle ; le vent du Nord fait au Cap ce que fait en France celui du Sud-Ouest; il voiture les nuages qui, passant sur la Ville, vont s'arrêter et se briser contre la Table, le Diable et le Lion; les pluies sont alors continuelles au Cap, tandis que, deux lieues à la ronde, on jouit du plus beau ciel et du temps le plus sec; quelquefois, elles tombent sur toute la partie qui se trouve entre la baie de la Table et la baie Falso, à l'Est de cette chaîne de monts énormes qui s'étend jusqu'à l'extrémité de la pointe d'Afritandis que, le côté Ouest est pur et sans nuages. C'est une foible image de ce qui arrive aux côtes de Coromandel et du Malabar, excepté qu'ici ce spectacle est plus merveilleux,

que

parce qu'il est plus sensible et plus rapproché.. En effet de deux amis partant ensemble de la Ville pour aller à la baie Falso, celui qui prend sa route à l'Est de la montagne emporte son parapluie, celui qui va par l'Ouest emporte son parasol. Ils arrivent au rendez-vous, l'un haletant et trempé de sueur, l'autre mouillé et glacé par la pluie.

Les étrangers sont généralement bien accueillis au Cap, chez les personnes attachées au service de la Compagnie et quelques autres Particuliers; mais les Anglois y sont adorés, soit qu'il y ait de l'analogie dans les mœurs des deux Nations, soit plutôt parce qu'ils affectent beaucoup de générosité. Ce qui doit passer pour constant, c'est qu'on s'empresse, dès qu'il en arrive, à leur offrir des logemens. En moins de huit jours, tout est Anglois dans la maison qu'ils ont choisie, et le maître et la femme et les enfans en prennent bientôt toutes les manieres. A table, par exemple, le couteau ne manque jamais de faire les fonctions de la fourchette.

De toutes les Nations, la Françoise est la moins considérée. La Bourgeoisie sur-tout ne

peut la souffrir. Cette haine est portée au point que souvent j'ai ouï dire à des Habitans qu'ils aimoient mieux être pris par les Anglois que de devoir leur salut aux armes de la Nation Françoise. Je prenois d'abord ces discours pour de l'exagération, et pensois, au contraire, que ces gens-là se faisoient une illusion de commande pour diminuer, à leurs propres yeux, le mérite des services que leur rendoit actuel lement la France, et se dispenser tout bas du fardeau de la recomoissance. Quoiqu'il en soit, je crois aujourd'hui que les François auroient eu beaucoup à se plaindre de cette Colonie, si quelques personnes distinguées, dont la prudence mettoit un frein aux murmures de la multitude, n'avoient un peu balancé l'injustice de cette inimitié par tous les services obligeans et les secours essentiels dontles circonstances leur faisoient un devoir. Ces hommes fecommandables ne sont point inconnus au Ministère de France, qui honora l'un d'eux de lettres de remercimens de la part du Souverain. Eh! qui n'a point eu à se louer des procédés nobles et désintéressés de M. Boers, Fiscal, et n'en conserve à jamais la mémoire dans son cœur! Je lui rends, pour

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