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tires par intervalle. Je jugeai bien qu'ils étoient de mon Compagnon qui me cherchoit. Il faisoit nuit; je ne fus pas curieux de l'aller joindre, et le laissai tirer à son plaisir ; il arriva enfin, mais fort tard. Sa surprise, en me voyant sain et sauf et bien entier, fut égale à sa joie. Il m'avoua qu'il avoit jugé, par la façon dont mon chien aboyoit, que j'étois aux prises avec une Hiène ou quelque Tigre, et que ne m'entendant point répondre à ses coups de fusil, il m'avoit cru déchiré par morceaux. Cette aventure, lorsque je la lui eus racontée en détail, finit par nous faire beaucoup rire; mais ce qu'il m'apprit à son tour sur ce que j'aurois dû tenter dans cette rencontre, me fit regretter de n'avoir point tiré l'animal. Au reste, si nouveau dans la patrie des bêtes féroces, celle-là étoit la première que j'eusse ainsi contemplée, et j'ignorois complètement comment il falloit s'y prendre avec les Panthères. C'est ainsi que j'amusois mes loisirs, et me préparois insensiblement à de plus grands dangers !

Nous nous rendions fort souvent à l'île Schaapen pour y tuer des Lapins. Dans une de ces promenades, qui jusques-là ne nous avoient Tome I.

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procuré que de l'agrément, nous nous vîmes à deux doigts de la mort. Il s'éleva tout d'un coup à côté de notre chaloupe un Cachalot qui nous fit une peur effroyable; il étoit si près que, dans la crainte qu'en retombant il ne nous fît chavirer, et ne nous engloutît à jamais sous son énorme poids, nos Matelots sautèrent à l'eau; mais celui qui étoit au gouvernail revira si lestement que nous évitâmes le monstre. Cet animal s'étoit élancé au moins de douze pieds hors de l'eau; il nous arrosa tous en replongeant, et notre chaloupe reçut une si violente commotion, qu'elle faillit d'être submergée. Il est certain que, sans la présence d'esprit de notre Pilote, aucun de nous n'é, chappoit à la mort.

Le Cachalot porte ordinairement soixante à quatre-vingts pieds de long, quelquefois davantage. Souvent il se dresse perpendiculairement au dessus de la mer, jusqu'à moitié de sa longueur; et, lorsque cette lourde masse retombe, le bruit d'un coup de canon et le bruit de sa chute n'ont point de différence. Un soir que nous étions à souper, Vaisseau fit un mouvement convulsif si extraor

notre

dinaire que, ne sachant ce que ce pouvoit être, nous quittâmes précipitamment la table pour courir au Tillac. L'alarme étoit générale dans tout l'équipage; Vangenep croyoit que nous avions chassé sur nos ancres, et que nous battions au rocher sur lequel nous étions dérivés; mais, remarquant, par la position des autres vaisseaux, que nous n'avions point changé de place, on jugea que ce devoit être autre chose, et l'inquiétude ne fit que redoubler. On chercha la cause de ce mouvement précipité. Enfin on entrevit un Cachalot. Il s'étoit élevé à l'Avant, et venoit de passer, en replongeant, entre nos deux cables qui se croisoient. Comme il se trouvoit arrêté par l'extrémité de sa queue dont l'envergure est excessivement large, les efforts furieux qu'il faisoit pour se débarrasser avoient secoué et secouoient encore le Vaísseau. On sauta à l'instant dans les chaloupes ; on courut aux harpons; mais l'obscurité de la nuit retarda malheureusement la manœuvre nécessaire pour le prendre; et, dans le moment où les chaloupes l'approchoient, il se dégagea. Tout le monde en fut fâché. En mon particulier, je le regrettai beaucoup jusqu'au moment où

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le hasard en mit un, dans la suite, à ma disposition. Le danger passé, nous vinmes nous remettre à table; et, comme une fausse alarme est toujours le signal d'une joie très-vive, nous nous amusâmes à nous persiffler les uns les autres, à dépeindre réciproquement les impressions différentes que la frayeur avoit faites sur chacun des Convives, et personne ne fut épargné.

masque

La promptitude des ordres, et la vigilance de Vangenep, dans cette occasion, m'étoient un sûr indice qu'il avoit eu lui-même beaucoup d'inquiétude; mais il n'en avoit rien laissé paroître; tant il est vrai que le sang froid du Chef le péril, et rassure la foule ! Telle doit être, jusqu'au dernier moment, la conduite d'un bon Marin. La consternation est bientôt générale, quand l'équipage voit l'épouvante écrite sur le front de son Capitaine. Je me rappelois bien alors l'épreuve que j'en avois faite, en passant sous la ligne, lorsque nous nous étions laissé canonner honteusement par un petit Corsaire.

On découvre encore à l'entrée de la baie de Saldanha une petite île appelée Dassen Eyland

(île des Marmotes); j'ignore si, dans les temps antérieurs, on y voyoit de ces animaux ; mais je n'y en ai point trouvé. Une tradition commune à tous les Voyageurs m'avoit appris qu'un Navire Danois, contrarié par les vents, ne pouvant entrer dans la rade du Cap, étoit venu se mettre à l'abri dans cette Baie, et qu'après quelque séjour, le Capitaine y étant mort, son équipage l'avoit enterré dans la petite île, et lui avoit élevé un Tombeau.

Toutes les fois que pour me rendre au Schaapen-Eyland, je passois à la hauteur de cette ile, un bruit sourd qui avoit quelque chose d'effrayant venoit frapper mon oreille. J'en parlai à mon Capitaine. Il me répondit que, pour peu que cela me fît plaisir et m'intéressât, nous y ferions une descente; qu'il seroit curieux lui-même de voir le Tombeau Danois. Dès le matin il donna ses ordres; nous partîmes.

A mesure que nous approchions, ce bruit sourd piquoit notre curiosité, d'autant plus que la mer, se brisant avec violence contre les rochers qui formoient le rempart de cette île, ajoutoit encore au bourdonnement dont nous ne devinions pas la cause.

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