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Peuple indolent de la Seine; le sacrifice qu'il fait de son argent, pour satisfaire son inepté curiosité, ne devroit-il pas du moins servir à son instruction?

Il y avoit à peine trois mois que nous séjournions dans la Baie ; j'en connoissois déjà tous les environs; je m'étois tellement occupé de mon objet que, dans ce court espace de temps, j'avois rassemblé une collection considérable et précieuse d'oiseaux, de coquilles, d'insectes, de madrépores, etc. Mais un évènement funeste m'eût bientôt et pour toujours privé du fruit de mon travail, de mes recherches et de mes courses si pénibles.

Nous reçûmes, par terre, un Exprès du Gouverneur qui nous apprit que M. de Suffren, après son affaire de St.-Jago, étoit arrivé au Cap, et qu'on y attendoit incessamment une autre Flotte Françoise. Cet Exprès apportoit au Held-Voltemaade, le même sur lequel j'étois arrivé d'Europe, l'ordre de partir, à l'instant, pour Ceylan, lieu de sa destination. Le pauvre Capitaine S** V** mit donc à la voile dans les premiers jours du mois d'Août. Ce fatal Navire me poursuivoit par-tout. Il étoit écrit

au livre des destins qu'il ne disparoîtroit qu'après m'avoir ruiné. En me rappelant notre ridicule combat avec le Corsaire, il ne m'étoit pas difficile de pressentir que, le HeldWoltemaade seroit aussitôt pris qu'appercu par les Anglois : c'est en effet ce qui lui arriva. A peine entroit-il en marche qu'il fut rencontré, et paisiblement amariné par l'Escadre du Commodore Jonston. Cette prise fit notre malheur. Instruit par la plus làche indiscrétion de l'équipage, Jonston vint droit à nous, et se présenta à l'ouverture de la Baie, avec pavillon de France. On crut d'abord que c'étoit la flotte Alliée qui nous avoit été annoncée; mais un Cutter qui précédoit ayant arboré pavillon Anglois, nous envoya sa bordée, qui fut suivie de celle des autres vaisseaux. Le nombre ne permettant point à nos gens de disputer la place, il ne resta d'autre ressource que de couper précipitamment les cables pour se faire échouer. On abandonna les Navires; chacun chercha son salut dans la fuite. Le désordre et la confusion se répandirent de toutes parts: les malheureux Navires furent en proie au pillage le plus affreux. Chacun en emporta ce

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qui lui convenoit davantage. Mon Capitaine mit le feu au sien, et les Anglois arrivèrent assez à temps sur les autres pour les empêcher de brûler ou d'échouer. La crainte d'être poursuivis, pris ou massacrés par l'ennemi, précipitoit nos Matelots sur le chemin du Cap. Vingt lieues de sable à traverser, jusqu'à la Ville, en avoient découragé beaucoup. Ces misérables s'étoient tellement surchargés qu'ils avoient été contraints d'abandonner sur la route, une partie de leurs effets. Les différens sentiers qu'ils avoient pris en étoient parsemés; on en rencontroit par-tout. Ce jour là, malheureusement je chassois. Le bruit des canonnades parvint jusqu'à moi. Je m'arrêtai à l'idée toute naturelle de quelque fête donnée sur notre Escadre, et je hâtai mes pas pour m'y rendre, afin d'en jouir. Arrivé sur les Dunes, quel spectacle vint frapper mes regards! Le Mildelbourg sautoit ! Et la mer et les airs, tout fut, dans un moment, rempli de ses débris enflammés. J'eus la douleur mortelle de voir mes collections, et ma fortune, et mes projets, et toutes mes espérances gagner la moyenne région, et s'y résoudre en fumée.

Cependant les Anglois ne cessoient de ca nonner les Dunes, et de poursuivre les traîneurs que la cupidité avoit retenus trop longtemps sur nos Vaisseaux. De cinq prisonniers que nous avions sur notre bord, quatre s'étoient jetés à la mer, en reconnoissant le Pavillon de leur Nation, et avoient rejoint leur Flotte. Le cinquième avoit préféré de débarquer avec nos gens. Je le vis qui longeoit la Dune à dix pas de l'endroit où j'arrivois. Je le reconnus. Dans le moment où je lui faisois, en sa langue, du mieux qu'il m'étoit possible, une question sur cette catastrophe effroyable, un boulet, qui lui coupa la tête, emporta sa réponse. Un autre, de la même bordée, en fit autant à un gros chien qui avoit l'air de chercher son maître, et s'approchoit de moi effaré et tremblant. Ces deux boulets m'en faisant craindre un troisième, je désemparai à l'instant, et m'allai mettre à l'abri dans le revers de la Dune.

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Quelle étoit ma position, après une aussi terrible aventure! En supposant que je ne voulusse point aller au Cap mendier des secours pécuniaires, et grossir la foule des malheureuses

víctimes échappées à la flamme, au fer de l'ennemi, indifférent à cette scène d'horreur où je n'aurois dû courir aucun risque, puisqu'elle ne m'eût donné nul profit; sans titre, sans état, sans commission; seul, éloigné de tous les miens, dont l'image trop chérie, comme un éclair, vint se retracer devant moi; à deux mille lieues de ma femme, de mes enfans, de ma patrie adoptive; dans un pays sauvage, sans espoir d'y trouver même un abri tranquille et sûr; n'ayant, pour toute ressource, que mon fusil, dix ducats dans ma bourse, et le mince habit que je portois, quel parti me restoit-il à prendre, et qu'allois-je devenir ! Toutes ces idées vinrent me frapper à la fois, et je sentis couler mes larmes. Dans ma situation déplorable, je tournai mes yeux vers le rivage; les Vainqueurs, à la poursuite des fuyards, pouvoient disposer de ma vie, et, d'un coup de fusil, m'en épargner les misères !... Je formai un moment ce souhait barbare, et trouvai, pour la première fois, de la férocité dans mon cœur.

Mais, bientôt replié sur moi-même, et songeant à mon extrême jeunesse qui m'offroit un

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