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en peu de temps, je m'en servis avec beaucoup d'adresse ; je passois les journées entières à l'affût; j'étois devenu un Chasseur déterminé. Ce fut alors qu'on s'aperçut, et que je sentis moi même que ce goût se changeoit en passion; passion vive qui troubloit jusqu'aux heures du sommeil, et que les années n'ont fait que fortifier.

Quelques amis m'ont accusé de froideur et d'insensibilité; un plus grand nombre a trouvé téméraires les voyages singuliers que j'ai entrepris dans la suite; je pardonne volontiers aux uns et n'ai rien à dire aux autres; cependant pour peu qu'on daigne s'arrêter aux premiers pas de mon enfance cette apparence d'originalité surprendra moins et l'on verra que mon éducation en est à la fois et la cause et l'excuse.

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Quelque temps après mes parens, qui avoient fixé leur départ pour l'Europe, et qui n'aspiroient plus qu'au bonheur de se réunir dans le sein de leurs familles, ayant mis ordre à leurs affaires, je montai avec eux sur le Navire Catharina; le 4 Avril 1763, on leva l'ancre et l'on prit la route de la Hollande. Je partageois, dans la joie de mon cœur, tous les projets de plaisirs et de fêtes auxquels se livroient mes parens durant la traversée; une curiosité bien naturelle à mon âge ajoutoit à mes transports; mais cette agitation, ou plutôt ce délire me rendoit pas insensible aux regrets. Je ne pouvois devenir ingrat en si peu de temps, et perdre de vue si tranquillement la terre bienfaisante qui m'avoit vu naître ; je jetois souvent mes regards vers les rives heureuses

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dont je m'éloignois de plus en plus. A mesure qu'elles fuyoient et qu'emporté par les vents je m'approchois des climats glacés du Nord une tristesse profonde flétrissoit mon ame et venoit dissiper les prestiges de l'avenir.

Après une traversée cruelle et dangereuse, nous jetâmes l'ancre au Texel, à neuf ou dix heures du matin, le 12 Juillet suivant.

Nous étions donc enfin en Europe; tout ce que je voyois étoit si nouveau pour moi, je montrois tant d'impatience, je fatiguois les gens de tant de questions, chaque objet qui s'offroit à ma vue, me paroissoit si extraordinaire que j'étois moi-même un objet d'étonnement aux yeux de ceux qui m'entouroient. Cependant mes importunités ne mettoient pas toujours les rieurs contre moi, et je payois bien amplement en remarques piquantes sur l'Amérique les instructions qu'on avoit la complaisance de me donner sur l'Europe.

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Après avoir passé quelque temps en Hollande nous nous rendîmes en France dans la Ville où mon père est né, et l'on me fixa dans le sein de sa famille c'est là que je donnai nouvelle carrière à mes goûts, dans le Cabinet de M. Bécœur. Il offroit, pour l'Ornithologie d'Europe, la collection la plus nombreuse et la mieux conservée que j'aie jamais rencontrée.

A Surinam, je m'étois fait une manière de déshabiller les Oiseaux qui me réussissoit assez bien, mais qui parloit fort peu à l'imagination

encore moins aux yeux. Je ne connoissois d'autre méthode que d'en déposer les peaux dans de grands livres pour les conserver; ici, un autre spectacle éveilloit tous mes sens; il falloit, outre le mérite de la conservation, leur restituer leurs formes ces deux points essentiels m'embarassoient; je résolus de m'en faire une étude particulière et je m'y livrai tout entier ; j'étois chasseur déterminé. Pendant un séjour de deux ans en Allemagne, un autre de sept en Lorraine et en Alsace, je fis un dégât d'oiseaux incroyable; je voulois aussi joindre la connoissance approfondie des mœurs à la distinction des espèces, et je n'étois parfaitement satisfait de mes chasses que lorsque j'étois parvenu à surprendre le male et la femelie en situation qui ne me permît pas de douter de leur sexe; j'ai souvent passé des semaines entières à épier des espèces d'oiseaux avant de pouvoir me procurer la paire.

C'est donc dans l'espace de huit ou neuf ans qu'à force de soins, de peines, de tentatives et de dégâts, je suis parvenu non seulement à rendre à ses animaux, si frêles et si délicats, leur forme naturelle, mais même à les maintenir dans cette conservation intacte et pure qui fait le mérite de ma collection. C'est aussi par cette longue habitude de vivre avec eux dans les champs, dans les bois, dans tous les lieux de leurs retraites les plus cachées, que j'ai appris à distinguer les sexes d'une manière invariable: Art divinatoire, si je puis m'exprimer ainsi, que je ne prétends pas donner comme un mérite bien éminent, mais qui est l'apanage d'un très-petit nombre d'Ornithologistes. Combien

de fois ne m'est-il pas arrivé de voir dans des Cabinets, d'ailleurs assez curieux, tantôt des divorces forcés, tantôt des alliances monstrueuses et contre-nature; là on place, comme mâle et femelle, deux êtres qui jamais ne se sont rencontrés; plus loin un mâle et sa femelle sont annoncés et classés comme deux espèces différentes, etc.

J'amassois de plus en plus des connoissances dans cette partie intéressante de l'HistoireNaturelle; mais j'avoue que loin de me contenter, elles ne faisoient que me prouver toute l'insuffisance de mes forces: une carrière plus étendue devoit s'ouvrir devant moi; l'occasion sembloit m'appeler de loin et m'inviter à ne pas différer plus long-temps.

Dans le courant de 1777, une circonstance favorable me conduisit à Paris. Je portai, comme tout Etranger qui arrive pour la première fois dans cette Capitale, mon tribut d'admiration aux Cabinets des Curieux et des Sçavans. J'étois ébloui, enchanté de la beauté, de la variété des formes, de la richesse des couleurs, de la quantité prodigieuse des individus de toute espèce, qui, comme une contribution forcée, viennent des quatre parties du monde se classer méthodiquement, autant que cela se peut faire, dans un espace malheureusement toujours trop limité. En trois années de séjour, je vis, j'étudiai je connus tous les Cabinets importans; mais, le dirai-je, ces superbes étalages me donnèrent bientôt un mal-aise, ils laissèrent dans mon ame un vide

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que rien ne pouvoit remplir; je ne vis plus dans cet amas de dépouilles étrangères, qu'un dépôt général où les différens êtres rangés, sans goût et sans choix, dormoient profondément pour la science. Les mœurs, les affections, les habitudes, rien ne me donnoit des indications précises sur ces choses essentielles? C'étoient l'étude qui, dans ma première jeunesse, m'avoit le plus intéressé; je connoissois, il est vrai, divers Ouvrages d'Histoire Naturelle mais remplis de contradictions si rebutantes que le goût qui n'est pas encore formé ne peut que beaucoup perdre à les lire : j'avois sur tout dévoré les chefs-d'œuvres immortels consacrés à la postérité par un des plus grands génies; je brûlois tous les jours un nouvel encens aux pieds de sa statue; mais son éloquence magique ne m'avoit pas séduit au point d'admirer jusqu'aux écarts de son imagination et je ne pouvois pardonner au Philosophe les exagérations du Poëte.

D'ailleurs et par-dessus tout, je songeois continuellement aux parties du Globe qui n'ayant point encore été fouillées, pouvoient, en donnant de nouvelles connoissances, rectifier les anciennes ; je regardois comme souverainement heureux, le mortel qui auroit le courage de les aller chercher à leur source; l'intérieur de l'Afrique, pour cela seul, me paroissoit un Pérou. C'étoit la terre encore vierge. L'esprit plein de ces idées, je me persuadois que l'ardeur du zèle pouvoit suppléer au génie, et que pour peu qu'on fut un observateur scrupuleux, on seroit toujours un assez grand écrivain. L'enthousiasme me nommoit tout bas l'être privilégié

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