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EN SYRIE

ET

EN ÉGYPTE,

PENDANT LES ANNÉES

1783, 1784 ET 1785,

Avec deux Cartes géographiques.

PAR M. C-F VOLNEY.

NOUVELLE ÉDITION.

J'ai pensé que le genre des voyages appartenoit à l'Histoire, & non aux
Romans. Préface, page v.

TOME SECOND.

I 792.

HAGAUSAN

LIBERTA
PATRIE

ÉTAT POLITIQUE

DE

LA SYRIE.

CHAPITRE XXI V.

Des Peuples Agricoles de la Syrie.
§. I. Des Anfarié.

LE premier peuple agricole qu'il faut diftinguer dans

la Syrie, du refte de ses habitans, eft celui que l'on appelle dans le pays, du nom pluriel d'Ansarié, rendu fur les cartes de Delisle par celui d'Enfyriens, & fur celles de Danville, par celui de Naffaris. Le terrain qu'occupent ces Anfârié, eft la chaîne de montagnes qui s'étend depuis Antâkié jufqu'au ruiffeau dit Nahrel-Kebir, ou la grande-riviere. Leur origine eft un fait historique peu connu, & cependant assez instructif. Je vais le rapporter tel que le cite un écrivain qui a puifé aux fources primitives (1).

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L'an des Grecs 1202, (c'est-à-dire, 891 de J. C.) il y avoit dans les environs de Koufa, au village de Nafar, un vieillard que fes jeûnes, fes prieres affidues

(1) Affemani, Bibliotheque Orientale. Tome II.

A

& fa pauvreté, faifoient paffer pour un faint: plu-. fieurs gens du peuple s'étant déclarés fes partifans, il choifit parmi eux douze fujets pour répandre fa doctrine. Mais le commandant du lieu, alarmé de fes mouvemens, fit faifir le vieillard, & le fit mettre en prifon. Dans ce revers, fon état toucha une fille esclave du geolier, & elle fe propofa de le délivrer. Il s'en préfenta bientôt une occafion qu'elle ne manqua pas de faifir. Un jour que le geolier s'étoit couché ivre, & dormoit d'un profond fommeil, elle prit tout doucement les clefs qu'il tenoit fous fon oreiller, & après avoir ouvert la porte au vieillard, elle vint les remettre à leur place, fans que fon maître s'en apperçût : le lendemain, lorfque le geolier vint pour vifiter son prisonnier, il fut d'autant plus étonné de trouver le lieu vuide, qu'il ne vit aucune trace de violence. Il crut alors que le vieillard avoit été délivré par un ange, & il s'empreffa de répandre ce bruit, pour éviter la répréhenfion qu'il méritoit. De fon côté, le vieillard raconta la même chose à fes difciples, & il fe livra plus que jamais à la prédication de fes idées. Il écrivit même un livre dans lequel on lit entr'autres choses : Moi, un tel, du village de Nafar, j'ai vu Christ, qui eft la parole de Dieu, qui eft Ahmad, fils de Mohammad, fils de Hanafa, de la race d'Ali, qui eft auffi Gabriel, & il m'a dit : Tu es celui qui lit (avec intelligence), tu es l'homme qui dit vrai; tu es le chameau qui préferve les fideles de la colere; tu es la bête de charge qui porte leur fardeau ; tu es l'efprit (faint), & Fean, fils de Zacharie. Va, & prêche aux hommes qu'ils fassent quatre génuflexions en priant; à favoir, deux avant le lever du foleil, & deux avant son coucher, en tournant be visage vers Férufalem, & qu'ils difent trois fois : Dieu tout-puissant, Dieu très-haut, Dieu très-grand : qu'ils n'observent plus que la deuxieme & troisieme fête ; qu'ils ne jeûnent que deux jours par an; qu'ils ne se bavent

point le prépuce, & qu'ils ne boivent point de biere, mais du vin tant qu'ils voudront; enfin, qu'ils s'abftiennent de la chair des bêtes carnacieres. Ce vieillard étant paffé en Syrie, répandit ces opinions chez les gens de la campagne & du peuple, qui le crurent en foule, & après quelques années, il s'évada, fans qu'on ait su ce qu'il devint",

cantons,

>

Telle fut l'origine de ces Anfâriens,qui fe trouverent, pour la plupart, être des habitans de ces montagnes dont nous avons parlé. Un peu plus d'un fiecle après cette époque, les croifés portant la guerre dans ces & marchant de Marrah par l'Oronte vers le Liban, rencontrerent de ces Nafiréens, dont ils tuerent un grand nombre. Guillaume de Tyr (1), qui rapporte ce fait, les confond avec les affaffins, & peutêtre ont-ils eu des traits communs. Quant à ce qu'il ajoute que le terme affaffins avoit cours chez les Francs comme chez les Arabes, fans pouvoir en expliquer l'origine, il eft facile d'en réfoudre le problême. Dans l'usage vulgaire de la langue arabe, hassâfin (2) fignifie des voleurs de nuit, des gens qui tuent en guetà-pens; on emploie ce terme encore aujourd'hui dans ce fens au Kair & dans la Syrie; par cette raison il convint aux Bâténiens, qui tuoient par furprise; les croifés qui le trouverent en Syrie au moment que cette fecte faifoit le plus de bruit, dûrent en adopter l'ufage. Ce qu'ils ont raconté du vieux de la Montagne, eft une mauvaise traduction de la phrafe Chark-el-Djebal, qu'il faut expliquer Seigneur des montagnes; & par là, les Arabes ont défigné le chef des Bâténiens, dont le fiege principal étoit à l'orient du Kourdestan, dans les montagnes de l'ancienne Médie.

(1) Lib. 20, chap. 30.

(2) La racine hass, par une h majeure fignifie tuer, affaflner, écouter pour furprendre; mais le compofé haffas manque dans Gollius.

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