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Pourrez-vous toûjours voir vôtre cabinet plein
Et de pedans & de poëtes,

Qui vous fatigueront avec un front ferein
Des fottifes qu'ils auront faites?

Pourrez-vous fupporter qu'un fat de qualité
Qui fçait à peine lire, & qu'un caprice guide,
De tous vos Ouvrages décide?

Un efprit de malignité

Dans le monde a fçû fe répandre,

On achette un bon livre afin de s'en moquer.
C'eft des plus longs travaux le fruit qu'il faut attendre
Perfonne ne lit pour aprendre,

On ne lit que pour critiquer.

Vous riez, vous croyez ma frayeur chimerique,
L'Amour propre vous dit tout bas

Que je vous fais grand tort, que vous ne devez pas
Du plus rude cenfeur redouter la critique.
Hé bien, confiderez que dans chaque maison
Où vous aura conduit un importun ufage',
Dés qu'un laquais aura prononcé vôtre nom,
C'est un bel efprit, dira t-on,
Changeons de voix & de langage.
Alors fur un précieux ton

Des plus grands mots faifant un affemblage,
r ne vous parlera que d'Ouvrages nouveaux :
On vous demandera ce qu'il faut qu'on en penfe;

En face on vous dira que les vôtres fon beaux
Et l'on pouffera l'imprudence

Jufques à vous preffer d'en dire des morceaux.
Si tout vôtre difcours n'est obscur, emphatique,
On fe dira tout bas, c'eft là ce bel efprit!

Tout comme un autre elle s'explique,
On entend tout ce qu'elle dit.

Irez-vous voir jouer une piece nouvelle,
Il faudra pour l'Auteur être pleine d'égards,
Il expliquera tout, mines, geftes, regards:
Et fi fa piece n'eft point belle

Il vous imputera tout ce qu'on dira d'elle,
Et de fa colere immortelle

Il vous faudra courir tous les hazards.

Mais me répondrez-vous, fortez d'inquiétude,
Ne prenez point pour moy d'inutiles frayeurs,
Je me déroberai fans peine à ces malheurs
En évitant la folle multitude.

Il est vray, mais comment pourrez- vous éviter Les chagrins qu'à la Cour le bel efprit attire ? Vous ne voulez point la quitter. Cependant l'air qu'on y refpire

Eft mortel pour les gens qui fe mêlent d'écrire.

A rêver dans un coin on fetrouve réduit;

Ce n'eft point un conte pour rire:

Dés que la renommée aura femé le bruit

Que vous fçavez toucher la lire,

Hommes, femmes tout vous craindra?
Hommes, femmes tout vous fuyra.

Parce qu'ils ne fçauront en mille ans que vous dire.

Ils ont là-deffus des travers

Qui ne peuvent fouffrir d'excufes:

Ils penfent quand on a commerce avec les Mufes Qu'on ne fçait faire

que des vers.

Ce que piête la fable à la haute éloquence,

Ce

que l'hiftoire a confacré,

Ne vaut jamais rien à leur gré

Ce qu'on fçait plus qu'eux les offenfe.

On diroit à les voir de l'air préfomptueux
Dont ils s'empreffent pour entendre
Des vers qu'on ne lit point pour eux.
Qu'à décider de tout ils ont droit de prétendre.
Sur ce dehors trompeur on ne doit point comter :
Bien fouvent fans les écoûter,

Plus fouvent fans y rien comprendre,

On les voit les blâmer, on les voit les défendre.
Quelques faux brillans bien placez,
Toute la piece eft admirable;
Un mot leur déplaît, c'est assez :
Toute la piece eft détestable.

Dans la débauche & dans le jeu nourris,

On les voit avec même audace

Parler & d'Homere & d'Horace,

Comparer leur divins écrits,

Confondre leur beautez, leur tour, leurs caracteres,
Si connus & fi differens,
Traiter des ouvrages fi grands

De badinages, de chimere,
Et cruels ennemis des langues étrangeres
Eftre orgueilleux d'être ignorans

Quelques Seigneurs reftez d'une Cour plus galante
Et moins dure aux Auteurs que celle d'aujourd'huy,
Sont encore, il eft vray, le génereux appuy

De la fcience étonnée & mourante.

Mais pour combien de tems aurez-vous leur fecours?
Helas! j'en pâlis, j'en friffonne,

Les trois fatales fœurs qui n'épargnent perfonne
Sont prêtes à couper la trame de leurs jours.

Que ferez-vous alors? vous rougirez fans doute
De tout l'efprit que vous aurez :

Amarante, vous chanterez
Sans que perfonne vous écoûte.

Plus d'un exemple vous répond

Des malheurs dont icy je vous ay menacée :
Le fçavoir nuit à tout, la mode en eft paffée :
On croit qu'un bel efprit ne fçauroit être bon.

De tant de veritez confervez la memoire,
Qu'elles fervent à vaincre un aveugle defir.

Ne cherchez plus une frivole gloire
Qui caufe tant de peines & fi peu de plaifirs.
Je la connois, & vous pouvez m'en croire :
Jamais dans Hypocrene on ne m'auroit vû boire,
Si le Ciel m'eût laiffée en pouvoir de choisir :
Mais; helas! de fon fort perfonne n'eft le maître,
Le penchant de nos cœurs eft toûjours violent.
J'ay fçû faire des vers avant que de connoître
Les chagrins attachez à ce maudit talent.

Vous que le Ciel n'a point fait naître
Avec ce talent que je hais

Croyez-en mes confeils! ne l'aquerez jamais.

CHANSON.

ON connoit peu l'amour lors qu'on oze affûrer

Qu'avec la jaloufie il ne fçauroit durer:

Loin de le ralentir, tout ce qu'elle confeille.
Ne fert qu'à le rendre plus fort.
Un peu de jaloufie éveille

Un amour heureux qui s'endort.

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