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Tilh qu'elle fit très-femblable à Martin Guerre. Il fe prévalut fi bien de cette reffemblance, qu'il auroit remplacé pendant fa vie Martin Guerre abfent, fi celui-ci ne fût revenu, & n'eût diffipé l'illufion. Encore Arnaud du Tilh, après avoir été confronté à Martin Guerre fous les yeux d'un Parlement, balança-t'il quelque tems après la confiontation les lumieres des Juges.

L'Hiftoire, qui nous préfente plufieurs célebres impofteurs qui ont abusé de la ressemblance qu'ils avoient avec les perfonnes dont ils vouloient ufurper le nom, les biens & l'état, ne nous en offre point qui ait pouffé l'impudence & l'effronterie plus loin que le faux Martin Guerre.

Voici toutes les circonftances de cette Hiftoire merveilleufe, dont Monfieur Coras, Rapporteur du Procès, a fait part au Public: il l'a enrichi de fçavantes Obfervations. Il feroit à souhaiter que les Juges nous fiffent l'Hif toire des Proces extraordinaires dont ils ont fait le rapport: ils nous appren droient à l'exemple de Monfieur Coras, les véritables motifs des juge, mens qui ont été rendus. (a)

(4) II feroit qulli à souhaiter que dans les Causes,

Quelque curieufes que foient les Obfervations de Monfieur Coras comme il promene fon Lecteur dans des recherches qui ne font pas de fon fujet, je ne m'égarerai point avec lui. Je ne le fuivrai point dans ces traits d'érudition déplacés, qui étoient alors en usage parmi les Sçavans, & que le bon fens, qui met chaque chofe à fa place, retranche à préfent de nos Ouvrages.

Martin Guerre, né dans la Biscaye âgé d'environ onze ans, époufa, au mois de Janvier 1539. Bertrande de Rols de la Ville d'Artigues, au Diocese de Rieux : ils étoient à peu-près de mê me âge:elle uniffoit la fageffe à la beauté, fuivant le témoignage de Monfieur Coras, qui dit que dans le tems du Procès elle étoit jeune, fage & belle. Ces deux époux jouïffoient d'une fortune honnête: on ne parle point de leur naiffance; mais on juge qu'ils étoient d'une condition un peu au-deffus de celle du fimple Payfan. Dès que le Payfan n'eft pas affujetti abfolument à gagner fa vie, il prend l'ef

où Meffieurs les Avocats Généraux ont parlé, lorf qu'on les rend publiques on fit part de leurs Plai-> doyers: on feroit inftruit des principes qui on inspiré les Arrêts, & qui en font l'aine.

V

Fable lxjv.

gneur.

for au-deffus de fon rang; & c'eft ce Le Jardinie: que la Fontaine appelle un demi bour& fon Sei- geois, un demi manant. Martin Guerre demeura avec fa femme neuf ou dix ans: les huit ou neuf premieres années il eut le fort de Tantale (a): quelque, brûlant defir qu'il eût, il ne pouvoit pofféder fa femme; il fe croioit maléficié, enforcelé. La crédulité, qui régnoit davantage en ce tems-là que dans celui-ci, le confirmoit dans cette opinio. Il devoit plûtôt penfer que l'âge tendre où il étoit lui refufoit des plaifirs qui lui étoient réfervés dans un âge plus avancé. En effet, lorfqu'il approcha de vingt ans, il fut en état de faire ufage des appas de fa femme,, Bertrande de Rols, qui fe croyoit enforcelée auffi-bien que fon mari, s'imagina que le charme étoit rompu parceque, fuivant le confeil qu'on lui donna, elle fit dire quatre Meffes, *Pain cuit mangea quelques Hofties & fouaffes.* Ainfi on fe fert de la crédulité même pour guérir le mal qu'elle a caufé. Un trait de la fageffe de cette femme fut la réfiftance qu'elle fit à fes parens

fous la cen

dre.

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(a) Horace compare un avare à Tanta e. La comparaifon eft plus juite en l'appliquant à un Mari im puiffant. Le premier peut jouir de l'objet de ies affons; le fecond ne le peut pas.

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qui lui confeillerent, dans le tems de cette difgrace, de fe féparer en Justice d'avec fon mari. Elle fit voir que fa tendreffe n'avoit pas befoin d'être foutenue par les plaifirs des fens. Un fils appelle Sanxi fut le fruit de leur mariage dans la dixieme année. Martin Guerre, ayant fait à fon pere un larcin de bled qui n'étoit pas confidérable s'abfenta pour fe dérober à fa colere. Il fut tenté de voyager, foit qu'il commençât à fe laffer de fa femme: car celles qui font les plus charmantes ne font pas plus privilégiées que les autres, & ne mettent pas leurs marís à l'abri du dégoût que la poffeffion traîne ordinairement après elle; foit que le libertinage eût des attraits pour lui. Quoi qu'il en foit, il fut huit ads fans donner de fes nouvelles à fa femme.C'eft alors qu'une femme négligée, pour ne pas dire méprifée par un mari abfent, a befoin de toute fa vertu pour ne pas fuccomber. La médifance -n'a pourtant rien publié contre la conduite de Bertrande de Rols, quoique l'abfence de fon mari ait été de huit années. Arnaud du Tilh, dit Panfette, du lieu de Sagias, fe préfenta. Comme il avoit les mêmes traits, les mêmes

1..:

les

linéamens de vifage queMartin Guerre, il fut reconnu pour être le véritable mari de Bertrande de Rols par quatre fœurs du mari, fon oncle, & les parens de lafemme, & par elle-même. Il avoit étudié fon rolle parfaitement, & ayant connu Martin Guerre dans fes voyages, il avoit appris de lui ce qu'il avoit fait de plus particulier avec fa femme, les paroles qu'ils avoient tenues, qu'ils n'avoient confiées dans leur lit qu'aux ténebres; les époques de certains évenemens fecrets. Enfin Martin Guerre avoit revélé à Arnaud du Tilh des mysteres qu'un mari couvre ordinairement du voile du filence. L'Impofteur étoit parfaitement inftruit de mille circonftances particulieres. On peut dire qu'il fçavoit fon Martin Guerre parfaitement mieux encore que Martin Guerre luimême. (a)

Bertrande de Rols, qui aimoit fon mari, & qui foupiroit ardemment après fa préfence, fut d'abord facile.

(a) Pafquier dans fes Recherches, Liv. 6. chap. 36. Tom. I. dit: » Ce qui rend cette Hiftoire ,, plus émerveillable, c'eft que ce fuppofé mari n'avoit jamais familiarifé avec l'autre. M. Coras Rapporteur du Procès, que j'ai fuivi, dit pourtant le contraire. Il devoit être inftruit mieux que Falquier.

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